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Valeur des hypothèses...


Re: Infinité d'Univers & Hasard -- Dominic Doucet
Postée par Gaël , Mar 16,1999,13:46 Index  Forum

Hello.

Désolé, je vais être très (trop) long. Bon, il y a plusieurs points :

1- A propos du hasard
Pour moi évidemment tout est hasard...
En mécanique quantique le débat dure depuis longtemps sur le sujet, mais la plupart des physiciens croient que le hasard est prépondérant au niveau fondamental de la matière. Du moins c’est ainsi que les choses apparaissent. Maintenant certains rejettent cette idée, comme Einstein qui tenait à ce que dieu ne joue pas aux dès et qui préférait une théorie avec des variables cachées, c’est à dire une théorie dans laquelle on considère que des facteurs inconnus gèrent ce qui nous apparaît comme du hasard. Mais cette conception a toujours été très critiquée et n’a jamais mené a aucune découverte intéressante. Il n’y a guère qu’en France, à cause d’une tradition un peu trop rationaliste (et de Louis de Broglie), que cette théorie domine. Le gros problème, c’est qu’elle postule l’existence de facteurs inconnus et inobservables, et qui resteront à jamais inobservables car certains principes, notamment le principe d’incertitude, limitent nos possibilités d’observation... et ces «variables cachées» elle les imagine pour monter une théorie qui est moins performante que celles qui ne font pas appel à de tels artifices. Mon opinion sur les variables cachées est la même que sur Dieu : je ne vois pas l’intérêt d’imaginer des entités qui sont à la fois inutiles, inobservables et inconnaissables, si ce n’est pour satisfaire des préjugés métaphysiques qui n’ont rien a faire ici.
Il faudrait aussi parler de la théorie du Chaos. De plus en plus de chercheurs s’accordent pour voir dans l’ordre macroscopique une résultante du désordre microscopique. La notion de loi de la nature est désormais remise en cause : les prétendues lois de la natures ne seraient que des exceptions, des discontinuités (elles-même dues au hasard), du désordre fondamental, et l’univers devient une simple fluctuation du néant (car le vide est un état instable). Ces idées se développent depuis une vingtaine d’années seulement, mais elles sont de plus en plus solides.

2- Métaphysique.
Je suis désolé je hais profondément toute forme de métaphysique...
Donc ton discours me paraît simplement, non pas idiot, mais dénué de sens. Ou du moins il ne prend du sens que si on veut bien le lui en donner, mais ce ne serait que «notre sens», et non pas le sens du discours.
Je n’apprécie pas du tout le fait de personnifier des concepts en leur donnant une majuscule, «Vie», «Esprit», «Vide», «Plein», etc... Ca me donne l’impression de retourner au moyen-âge, à l’époque de la philosophie scolastique, qui abusait de ces artifices. Spinoza a un peu trop subi ce genre d’influences, et tes propos me font la même impression d’absurdité que lorsque j’ai lu son «Ethique», il y a quelque années.
Quand je parle du vide, c’est simplement une manière de désigner vaguement l’ensemble des lieux où il n’y a pas de matière. Plus précisément, si on veut une définition (je n’aime pas les définitions, d’habitude je préfère me contenter de descriptions) je définirais le vide comme un morceau de continuum où il n’y a aucune particule réelle. Par contre quand tu parles du Vide, j’ai l’impression que c’est du vide en soi, d’un absolu, d’une réalité (ou d’une absence de réalité), etc. - ce qui pour moi n’a pas de sens. Tout mot auquel on ne peut relier aucun référent concret est simplement un mot qui n’a pas de sens. Et l’essentiel de l’histoire de la philosophie a consisté a se faire des illusions et à inventer de fausses questions en montant des réflexions insensées à partir de ces mots insignifiants.

A ce sujet, le philosophe et logicien Ludwig Wittgenstein disait en 1918 :
«La juste méthode en philosophie serait en somme la suivante : ne rien dire sinon ce qui peut se dire, donc les propositions des sciences de la nature - donc quelque chose qui n’a rien a voir avec la philosophie - et puis à chaque fois qu’un autre voudrait dire quelque chose de métaphysique, lui démontrer qu’il n’a pas donné de signification à certains signes dans ses propositions. Cette méthode n’est pas satisfaisante pour l’autre - il n’aurait pas le sentiment que nous lui enseignons de la philosophie - mais elle serait la seule rigoureusement juste.»

A part ça, même si elles sont enrobées d’une rhétorique mystico-charlatanesque, tes idées se ramènent quand même à l’un des arguments basiques que j’avais donné : dieu était là de tout temps. C’est bien ce que tu veux dire en disant qu’il est intemporel. Quelle que soit la manière dont on l’exprime, en disant qu’il est hors du temps, ou qu’il est le temps, ou qu’il est tout, ça revient au même et il me semble que cela n’a rien d’un argument, tout au plus c’est un artifice rhétorique.
D’autre part puisque ton dieu est immatériel ce que tu dis implique que quelque chose (en l’occurrence, une sorte de conscience cosmique) peut exister hors de la matière (ou disons de l’énergie, la matière n’étant qu’une forme de l’énergie). Je peux accepter cette supposition comme une hypothèse, mais en fait je ne vois pas l’intérêt de cette hypothèse : non seulement elle n’a pas la moindre base mais en plus elle est superflue, elle ne sert à rien et fournit pour l’univers une explication globalement nettement moins satisfaisante que l’hypothèse matérialiste. Son seul atout est d’être très exaltante, mais ce n’est pas un argument, seulement une remarque qui permet d’expliquer la persistance de ce genre d’hypothèses malgré leurs défauts évidents.
J’aimerais énormément que les choses soient comme tu les décris. Mais si on veut garder un minimum d’objectivité, ce n’est pas crédible une seule seconde.

Sinon pour le reste : je n’ai rien contre ton explication «divine» des univers multiples, mais la science n’en a pas besoin, car ton explication n’apporte rien de nouveau - ou plutôt elle n’apporte aucune solution mais beaucoup de problèmes (ceux que j’ai précisés précédemment par rapport à l’hypothèse d’une existence hors de la matière).

Tu auras bien noté que mon message d’avant hier, comme celui d’aujourd’hui, n’avait pas pour but de dire que l’existence d’un Dieu est impossible, ni même qu’elle est stupide. Je veux simplement dire que les théories scientifiques forment un système cohérent qui n’a pas le moindre besoin de Dieu, et réfuter ton affirmation selon laquelle l’existence de l’univers sans architecte est absurde.
Et par la même occasion me demander ce qui peut bien pousser tant d’hommes, parfois pourtant intelligents et cultivés, à croire en un Créateur, alors que c’est une hypothèse qui n’a rien pour elle. Elle est généralement basée sur de très hypothétiques entités abstraites (l’Esprit, le Vrai, le Beau, le Bien, la Vie, etc.) et inobservables, alors que la science fournit pour l’univers des explications non seulement plus performantes mais en plus basées sur des éléments concrets (particules élémentaires) qui ont entre eux des interactions très simples susceptibles d’une description mathématique - alors que pour ce qui est de la description, la religion ne peut passer que par la rhétorique, qui est un outil plutôt...peu fiable, c’est le moins qu’on puisse dire.
Le jour où tu me mettras tes concepts d’Esprit ou de Vide sous forme d’équations, comme tentent de le faire les neuropsychologues dans le cas de l’esprit et les physiciens dans celui du vide (parce que le vide, étant instable, est plein de particules virtuelles), je serais d’accord pour accorder du sens à tes discours métaphysiques.

Voilà...
Ceci dit, bien que je pense que hors de la matière, il n’y a point de salut, et que la croyance en un Dieu me paraisse absurde, je n’ai rien contre la foi. Malgré les apparences, je ne suis pas très attaché à la science et encore moins au rationalisme. A vrai dire je suis même très antirationaliste.
J’aurais plutôt des tendances néo-utilitaristes et instumentalistes, dans le sens ou pour moi la vérité n’a pas la moindre importance, que ce soit dans les théories scientifiques ou religieuses ce qui compte ce n’est pas leur justesse ni leur cohérence mais ce que l’on peut faire avec, comment on vit avec, si elles peuvent nous permettre de contrôler plus de choses ou d’être plus heureux, etc. Si des hommes vivent heureux avec la foi, tant mieux pour eux, il serait con de les taxer de stupidité alors qu’ils ne font qu’adopter une attitude qui leur est profitable. Je suis sûr que, sur le plan psychologique, la foi est très utile à la majorité des hommes.
Je suis pour une foi fonctionnelle.

Gaël.