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Esprit ou matière: réponse à Elmo


Postée par Gilles B. , Mar 21,1999,19:26 Index  Forum


>>>Ainsi, selon Rostand et toi, ma pensée n'est vraiment que très peu de chose...

Elmo tu ne m'a pas encore compris. Je n'ai jamais dit que LA pensée ou TA pensée n'étaient pas grand chose, au contraire.

Pour moi, la pensée, c'est le traitement conscient de l'information perçue et mémorisée. Il faut donc un cerveau pour qu'il y ait pensée (à moins qu'on réussisse à fabriquer une machine pouvant aussi penser, si évidemment la chose est possible). Et je ne connais rien de plus grand, de plus extraordinaire, de plus fascinant, de plus merveilleux que la pensée produite par un cerveau.

Ce serait en fait plutôt à toi de bien vouloir m'expliquer à quoi peuvent bien penser un atome d'hydrogènes ou un caillou puisque tu affirmes que ces objets ont une pensée. Si tu crois que ces objets pensent, c'est que POUR TOI la pensée est un concept qui s'applique à n'importe quoi, c'est que POUR TOI, selon TA définition, la pensée n'est pas grand chose. C'est la même chose pour le concept de "vie". Si tu considères que le soleil, une roche ou même un atome sont vivants, j'aimerais bien savoir comment tu définis alors la vie. Évidemment, si POUR TOI toute matière, pour peu qu'elle existe, est vivante, alors oui je comprends, POUR TOI, tout est vivant. Mais je ne vois vraiment pas qu'est-ce que ça peut te donner de diluer les concepts de vie ou de pensée à un tel point. C'est comme si moi je décidais que tout ce qui est vert est un végétal ou que tout ce qui bouge est un mammifère. Tout ce que ça change, c'est que les concepts de "végétal" ou de "mammifère" n'ont alors plus tellement de sens. En les diluant autant, je leur enlève toute signification pratique et donc toute valeur.

Où est la frontière, pour moi, dans le monde animal entre ce qui pense et ce qui ne pense pas demandes-tu? Je ne le sais pas. En biologie, on apprend qu'il n'y a jamais de frontière fixe, qu'il n'y a pas, par exemple, de frontière absolue et rigoureuse entre la vie et la mort, entre la jeunesse et la vieillesse, on passe imperceptiblement de l'un à l'autre sans traverser une frontière définie. Il en est de même, j'imagine, pour la pensée au cours de l'évolution. Celle-ci est apparue progressivement au fur et à mesure que le cerveau se développait. De même, je ne peux pas définir le moment précis où apparaît la pensée après la conception. Est-ce au stade foetal, dans la première année de vie? Je ne sais pas, il n'y a pas de frontière fixe. Il en serait de même à l'autre bout de la vie, lorsque le cerveau meurt par manque d'oxygène, par exemple. Il cesse lentement de fonctionner jusqu'au moment où il est si dégradé qu'il n'y a plus de pensée. On ne peut définir aucun instant correspondant au moment où la pensée a cessé. Et pourquoi te faut-il absolument une frontière?

La vie, c'est une notion que l'on décide subjectivement d'attacher à certaines choses, quand on y voit un comportement type (capacité à s'adapter et à se reproduire, par exemple). La plupart des biologistes s'entendent pour dire qu'un être vivant se caractérise par les propriétés d'autoconservation (il peut maintenir sa structure), d'autoreproduction (il peut la reproduire) et d'autorégulation (il peut contrôler son fonctionnement). D'autres auteurs ont proposé d'autres définitions basées sur ce qu'on connaît des êtres vivants et de leur évolution. Personnellement, ma définition préférée est celle proposée par Lesley Orgell. Celui-ci qualifie les êtres vivants de "CITROENS" (rien à voir avec la marque d'automobile!), c'est à dire "Complex Information-Transforming Reproducing Object that Evolve by Natural Selection" (Objets Complexes, capables de Reproduction et de Transformation de l'Information, Évoluant par Sélection Naturelle). C'est une définition un peu plus large que la précédente (elle a le mérite d'inclure les virus), mais pas large au point de ne plus rien signifier. Et qu'on adopte cette définition ou l'autre, la vie est pour moi aussi un phénomène merveilleux et fascinant. Je n'ai pas besoin de sacraliser le vivant pour m'en émerveiller.


Un sceptique n'a jamais rien inventé dis-tu. Or rien n'est plus faux. Le scepticisme est à la base même de toute démarche scientifique. Le pire frein au développement des connaissances, c'est au contraire l'absence de doute. Sans le doute, on accepte n'importe quoi et on perd son temps à explorer de fausses pistes. Il y a tellement d'hypothèses possibles, qu'il faut sélectionner les plus valables et écarter les moins prometteuses, quitte à les reprendre plus tard si on n'a pas abouti à quoi que ce soit. Je pourrais te citer d'innombrables scientifiques de renom qui tous ont souligné l'importance du scepticisme dans la démarche scientifique. La science ne pourrait absolument pas progresser sans le scepticisme nécessaire pour séparer le bon grain de l'ivraie. Et puis sans le doute, les hypothèses deviennent des certitudes et on ne les remet plus en question, on cesse de chercher. C'est justement là la principale différence entre la science et la religion. La religion procède par dogmes irréfutables qui sont déclarés VRAIS une fois pour toute et dont on n'a plus le droit de douter alors que la science cultive le doute systématique en tout. C'est pourquoi comme je le disais dans un autre message, la religion stagne et la science avance.

"La plus belle chose au monde pour un esprit est de pouvoir habiter un corps physique" écris-tu. Je me trompe peut-être, mais j'ai l'impression que pour toi il s'agit là d'une certitude personnelle, d'un dogme religieux dont tu ne doutes pas. Pour moi, une telle affirmation ce n'est qu'une hypothèse (l'hypothèse de l'existence de je ne sais quoi de surnaturel lié à la matière), une hypothèse fragile, hautement spéculative qui n'est étayée par aucun élément solidement établi. Personnellement, je la trouve même inutile puisque non seulement elle n'explique pas grand chose mais en plus, elle est invérifiable. C'est ce qui m'irrite dans la littérature ésotérique. On n'y retrouve qu'une longue liste d'affirmations hautement spéculatives qui sont présentées comme des vérités révélées même si parfois elles se contredisent les unes les autres d'un livre à l'autre. Je ne sais pas si l'existence de l'univers en général et mon existence en particulier ont un sens, mais je préfère demeurer dans le doute plutôt que de m'accrocher à des croyances invérifiables. Croyance n'est pas connaissance.

Que serait le monde s'il était dirigé par des sceptiques, demandes-tu? Je ne sais pas, les sceptiques ne font pas nécessairement de bons politiciens! Je crois quand même qu'il serait meilleur que s'il était dirigé par des gens qui ne doutent de rien et qui sont persuadés de détenir la Vérité. Voir n'importe quelle dictature de droite ou de gauche ou encore le régime Taliban ou toute autre théocratie actuelle ou passée.


Gilles Bourbonnais

You see, one thing is I can live with doubt and uncertainty and not knowing.
I think it's much more interesting to live not knowing than to have answers which might be wrong. I have approximate answers and possible beliefs and different degrees of uncertainty about different things, but I am not absolutely sure of anything and there are many things I don't know anything about, such as whether it means anything to ask why we're here... I don't have to know an answer. I don't feel frightened not knowing things,by being lost in a mysterious universe without any purpose, which is the way it really is as far as I can tell. It doesn't frighten me.
Richard P. Feynman (Nobel de physique, 1965)


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