Salut Mikaël,
Mikaël a écrit :
Le principe premier du libéralisme pourrait se résumer comme suit : "tout un chacun a le droit de faire tout ce qui ne porte pas atteinte à la liberté d'autrui de faire de même", et pour préciser les choses : "tout un chacun a le droit de faire ce que bon lui semble de sa propre personne et de sa propriété".
Partant de cette définition, il me semble clair que le libéralisme économique (qui n'est qu'une application particulière du libéralisme) ne peut pas être sans contradiction accusé d'un éventuel autoritarisme/despotisme des dirigeants d'entreprises sur la société. Bill Gates gagne plusieurs millions de dollars. En quoi est-ce du despotisme autoritaire envers la société ?
Ce n’est pas le fait de gagner beaucoup d’argent qui est autoritaire, c’est le principe de fonctionnement d’une entreprise.
Pour ce qui est des fondements du libéralisme, ce sont des postulats moraux que l’on accepte ou pas. Personnellement, je ne les accepte pas à cause des conséquences qui en découlent (notamment la nuisance concernant les libertés sociales).
De plus, la capacité d’initiative économique est fortement conditionnée par le milieu social pour être libre et équitable. Si je suis le fils de Bill Gates, c’est tout gagné d’avance pour moi. Aucune initiative économique et donc aucun mérite. Si je suis d’un milieu social défavorisé, j’aurais beaucoup moins de chance d’accéder à des grandes écoles et à des postes bien rémunérés que si je suis issu d’un milieu aisé. Les dés sont pipés dès le départ.
Après, on a tous entendu l’histoire du fils de cordonnier devenu ministre, mais ces cas sont marginaux : dans la réalité, les fils de cadres finissent cadres et les fils de paysans deviennent paysans.
=> la liberté d’initiative économique est un mythe néoclassique.
Personne n'est obligé d'acheter ses logiciels (il n'y a pas de fusil braqué sur toi pour te forcer à acheter).
La liberté/rationalité du consommateur est un autre mythe de la théorie néoclassique. En pratique, tout est fait pour réduire la rationalité du consommateur et l’inciter à acheter : marketing de masse, marketing furtif, undercover marketing, marketing viral, astrosurfing et neuromarketing. Les formes modernes du marketing exploitent ainsi l’émotionalité et l’irrationalité des consommateurs pour créer de faux besoins. C’est comme ça qu’on arrive à faire un carton avec des produits aussi inutiles tels que les bracelets power balance ou l’homéopathie.
Un dirigeant d'entreprise veut que ses salariés travaillent le dimanche et ça ne leur convient pas : ils sont libres de démissionner. Personne ne les menace de les passer à tabac s'ils s'en vont (et si tel était le cas, ce serait illibéral et mériterait une sanction en régime libéral).
Tu me diras que ces gens ont besoin de travailler, sinon ils ne pourront pas élever leur famille. Certes, mais en économie libérale, puisqu'il y aurait moins de prélèvements et de réglementations, les entreprises - plus nombreuses car il n'y aurait plus toutes les formalités administratives... - hésiteraient moins à embaucher, et ainsi, une personne compétente et besogneuse retrouverait plus facilement du travail.
Les réglementations actuelles n’ont pas toujours existé. Dans les débuts du capital-libéral, elles étaient pratiquement absentes. Et pourtant la situation de l’emploi conduisait les ouvriers à travailler 14h par jour pour un salaire médiocre. C’est pourquoi je doute qu’une levée des réglementation débouche sur une baisse substantielle du chômage ou sur une amélioration de la condition des travailleurs.
D'ailleurs, la mondialisation de l'économie fait que l'Etat a de moins en moins de prise sur le fonctionnement de l'économie (cette dernière se développe plus rapidement que la réglementation). Pourtant, on observe un accroissement des inégalités, une paupérisation et une concentration des capitaux vers une minorité toujours plus réduite. Du coup, le bilan de la libéralisation croissante est plutôt sombre.
Et les inaptes au travail, qu'est-ce qu'on en fait ? Dans un monde libéral, puisqu'il y aurait moins d'impôts, les gens seraient plus prompts à donner aux plus démunis. Dans notre monde actuel, il y a déjà des œuvres de bienfaisance qui font beaucoup de choses. Dans un monde libéral, elles continueraient d'exister et pourraient même se développer davantage.
J’en doute fort. D’après ce qu’on peut observer dans nos sociétés, la richesse ne rend pas les gens plus généreux ou plus altruistes (j’aurais même tendance à dire que c’est l’inverse). Il est fort possible que les œuvres de bienfaisance persistent et se développent dans une économie plus libérale, mais je ne pense pas qu’elles prennent en charge les plus démunis de façon aussi efficace que des institutions publiques.
Les systèmes étatiques de sécurité sociale pourraient avantageusement être remplacés par des assurances ou mutuelles privées comme il en existe déjà (sauf qu'elles subissent beaucoup de contraintes réglementaires qui les empêchent d'être aussi efficaces qu'elles pourraient l'être).
Il suffit de voir comment fonctionne le système de santé américain, entièrement privé, pour invalider cet argument. Dans la pratique, tout est fait pour limiter l’accès aux soins : moins de remboursements, plus de profit. Et les contraintes réglementaires n’y sont pour rien. Du coup, l’espérance de vie des américains n’est pas bonne et la mortalité infantile y est élevée pour un pays développé. Le système de mutuelle privée n’est pas la seule cause, mais il y est pour une bonne part.
Il faudrait également prendre conscience que le problème, ce n'est pas d'atteindre l'égalité matérielle réelle qui est d'ailleurs impossible, mais de faire en sorte que chacun ait juste ce dont il a réellement besoin pour son émancipation personnelle. Vouloir avoir autant que les autres et ne pas supporter qu'ils aient plus, c'est de l'envie et de la jalousie. Pas très moral tout ça...
Ou alors c’est du bon sens moral : ne pas trouver normal que certains gagnent des millions pendant que d’autre n’ont pas de quoi se nourrir, ça semble logique. Ce n’est pas de l’envie ou de la jalousie, juste une volonté de voir une société plus équitable.
Il faut trouver un juste équilibre entre être trop assisté et se déresponsabiliser d'une part, ne recevoir aucune aide et crever la bouche ouverte d'autre part. Il est évident que je ne suis pas pour que les gens sombrent dans le désespoir en cas de défaillance du privé, donc je pense que l'État, mais un État subsidiaire, non pas un État providence, doit rester vigilant, prêt à intervenir en cas de problème insoluble par le privé. Mais par ailleurs, je pense que si l'État ne cherchait pas constamment à s'imposer en lieu et place de l'initiative privée et à fortement réglementer et imposer cette dernière, que le secteur privé suffirait à répondre à la plupart des aspirations humaines légitimes.
Pourtant si on regarde l’histoire, on voit que les progrès en matière humaine ne sont pas l’initiative des institutions privées. En fait, ces progrès ont eu lieu
malgré la résistance des institutions privées. Ils font suite à des pressions exercées par les employés et/ou par l’Etat. Sans cela on en serait encore à la journée de 14h. L’Etat est en fait la seule entité capable de légiférer sur ce que les entreprises ont le droit ou n’ont pas le droit de faire et améliorer ainsi la répartition des richesses et les conditions de travail.
Réduire l’influence de l’Etat dans l’économie, c’est affaiblir la seule barrière qui sépare les populations de l’autoritarisme des entreprises. Si on prend le cas de la santé en France, on voit que le système de soin perd en efficacité depuis que ce qui est pris en charge par la Sécu (publique) glisse vers les mutuelles privées. Si on enlève d’autres ingérences de l’Etat dans la vie économique (pas de salaire minimum, pas de normes environnementales, pas de normes de sécurité au travail), j’imagine très mal qu’il puisse y avoir des conséquences positives en matières de bien-être général. La diminution des prélèvements permettraient sûrement aux entreprises de mieux fonctionner (du point de vue économique), mais vu la façon dont se concentre les capitaux dans ce système, ça m’étonnerai que ça soit en faveur d’un bénéfice social global.
Poulpeman