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par Charles Danten » 14 juin 2011, 14:26
Si on limite la discussion uniquement à la condition animale, c'est-à-dire en aval, on pourra débattre longtemps sans jamais se rapprocher des vrais enjeux, la condition humaine, l'ultime point d'intérêt de ma démarche personnelle.
La question n'est pas tant de savoir si les animaux sont heureux en captivité? combien y a-t-il exactement d'animaux abandonnés? est-ce qu'ils sont bien soignés? peuvent-ils s'épanouir? ou pourquoi nous font-ils du bien? que de savoir :
Pourquoi avons-nous tant besoin d'eux?
Quelles sont les raisons qui se cachent derrière cet usage immodéré des animaux, à des fins récréatives et thérapeutiques, d'une envergure inédite dans tous les pays riches?
Depuis 40 ans c'est-à-dire depuis les travaux de Boris Levinson, l'instigateur de la zoothérapie moderne, cette forme de psychothérapie par animal interposé s'est imposée en force avec les résultats que l'on connaît.
Pourquoi? Comment? Où? Depuis quand? Qui? est-ce justifié? Est-ce efficace? Quels sont les conséquences sur nous, autrui, la nature et les animaux au sens large, pas au cas par cas.
Que quelques animaux dans le lot soient bien traités, selon nos propres critères égocentriques, est accessoire, quand on y pense bien.
Il faut voir le tableau d'ensemble pour juger de l'utilité véritable de cette coutume.
Le danger de s'adresser uniquement à la périphérie du problème est de passer à côté de l'essentiel : nous-mêmes et nos valeurs, nos idées à propos des animaux, notre logique de société, notre credo fondateur, le concept même d'animal de compagnie.
En d'autres mots, le débat au niveau de la condition animale est un faut débat, un miroir aux alouettes qui nous éloignent de la vraie cause: nous-même. Ce serait à ce moment-là, une forme de sentimentalisme selon la définition que j'en ai faite au point 1) de ma boutade maladroite : un moyen de ressentir de bonnes intentions sans avoir à changer, « le prix que la vertu paie au vice ».
Pendant qu'on s'applique à débattre sur les problèmes de la condition animale, on néglige le débat le plus important, sur ceux qui tiennent le gros bout de la laisse.
Il y a plusieurs pistes qui peuvent nous aider dans cette voie.
A- Henri Laborit, un célèbre chercheur spécialiste du stress, écrit dans La Légende des comportements:
La civilisation industrielle conduit à l’entassement dans les gigantesques cités modernes d’hommes soumis à un travail parcellaire, répétitif et sécrétant l’ennui; l’espace d’improvisation se réduit et les dépendances augmentent chaque jour. La drogue tranquillisante ou psychotogène, la névrose ou la psychose, le suicide – celui des adolescents s’accroît en nombre, de façon inquiétante – constituent autant d’échappatoires. Il en va de même des mythes répandus par les multiples sectes souvent exploiteuses et cachant leur intérêt économique sous le masque de la spiritualité.
On pourrait rajouter la zoothérapie à cette longue liste de paliatifs. Si je peux me permettre de paraphraser Laborit, il en va de même à propos des mythes répandus par l'industrie des animaux de compagnie souvent exploiteuses et cachant ses intérêts économiques sous le masque de l'intérêt publique.
C'est une facette du débat. Mais il y en a de nombreuses autres. Il faudrait un livre pour les colliger.
B- L'égocentrisme, l'anthropomorphisme, la logique marchande, notre attitude envers la nature, les animaux, les pays les plus pauvres, tous cela est interrelié, car nous agissons envers les uns comme nous agissons envers les autres, c'est du moins l'opinion de plusieurs psychologues, sociologues et ethnoloques.
(Sergio Dalla Bernardina (2006). L'éloquence des bêtes. Métaillé. Stuart Spencer (2006). « History and Ethics of Keeping Pets: Comparison with Farm Animals. » Journal of Agricultural and Environmental Ethics, vol. 19, p. 17-25; David Sztybel (2006). « Can the Treatment of Animals Be Compared to the Holocaust? » Ethics and the environment, 11(1); Leslie Irvine (2004). « Pampered or Enslaved? The Moral Dilemmas of Pets. » International Journal of Sociology and Social Policy, vol. 24, no 4, p. 5-16; Patrick West (2004). Conspicuous compassion. Why sometimes it's cruel to be kind. Civitas; Nibert D. (2002). Animal Rights/Human Rights. Entanglement of Oppression and Liberation. Yi-Fu Tuan (1984). « Animal Pets: Cruelty and Affection. » Dominance and Affection: The Making of Pets. Yale University Press;Jean Pierre Diggard (2005). Les Français et leurs animaux. Ethnologie d’une passion. Hachette, p. 128; Armelle Le Bras-Chopard (2000). Le zoo des philosophes: De la bestialisation à l’exclusion. Plon; Marjory Spiegel. (1996). The Dreaded Comparison: Human and Animal Slavery. Mirror Books;
L’ethnologue André G. Haudricourt pour sa part est convaincu, et de nombreux sociologues penchent en a faveur, que « le rapport à l’animal a fourni (et fourni encore) l’analogie mentale sur laquelle bien des arrangements politiques et sociaux sont fondés. C’est ainsi, dit-il, que la domestication des animaux et des plantes est devenue l’archétype des relations interhumaines » . Entre autres, l’élevage du mouton a servi de modèle à la société occidentale fortement hiérarchisée et dirigée par un « pasteur » qui gouverne son troupeau, avec l’aide de ses fidèles « chiens », avec plus ou moins de fermeté selon les systèmes politiques.
(André G. Haudricourt (1962). « Domestication des animaux, culture des plantes et traitement d’autrui. » L’Homme, vol. 2, no 1, p. 40-50.)
Dès lors, il n’est pas absurde de se demander, à l’instar d’Haudricourt, « si les Dieux qui commandent, les morales qui ordonnent, les philosophes qui transcendent n’auraient pas quelque chose à voir avec le mouton par l’intermédiaire d’une prédilection pour les modes de production esclavagiste et capitaliste ».
Ce qui voudrait dire, si je comprends bien, que les effets nuisibles de la relation entre les humains et les animaux de compagnie échappent au collimateur, car il n’y a pas dans notre culture d’autre point de référence comportemental pouvant servir de comparaison. À l’intérieur des limites permises par la loi et la bienséance, nous agissons — en essence et non dans la forme, du moins en Occident — avec nos conjoints, enfants, employés et électeurs, par exemple, comme nous agissons avec les animaux.
Et si c'est bien vrai, ne serait-il pas temps dans le contexte social, démographique, écologique, géopolitique présent de changer du tout au tout cette logique.
C- L'homme s'est toujours cru au fait de la création. Il a toujours pensé qu'il dominait la nature, les animaux et les plus démunis et que ce jardin légué par Dieu lui appartenait et qu'il pouvait en faire ce qu'il voulait, selon son bon plaisir.
Puis Dieu dit dans Genèse, I, 26 : Faisons l'homme à notre image selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons e la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre.
Vous serez un sujet de crainte et d’effroi pour tout animal de la terre, pour tout oiseau du ciel, pour tout ce qui se meut sur la terre, et pour tous les poissons de la mer: ils sont livrés entre vos mains. [...] Je vous donne tout cela comme l’herbe verte.
Genèse, IX, 2-3
Ces impératifs profondément ancrés dans notre psychologie dominent nos rapports avec le monde, même chez ceux qui se disent Athée et qui ont été élevé dans le dogme chrétien. Ces notions sont tellement bien intégré qu'ils échappent à la conscience, faisant figure de dogme. Elles sont transmises de génération en génération par l'État, l'École, l'Église. Elles dictes nos rapports avec la nature avec les résultats qu'on connaît.
Or, quand on s'aperçoit qu'une ligne de conduite bien adapté à une époque ancienne est devenue contre-productive, on l'a laisse tomber. N'importe quel chef d'entreprise le moindrement compétent vous dira qu'il faut réévaluer son credo fondateur régulièrement pour rester compétitif sur le marché de la sélection naturelle.
D- Les thèses de la zoothérapie s'appuient en grande partie sur des mythes et des légendes, voire des impostures, d'une autre époque et qui n'ont ni queue ni tête
Voici quelques exemples tiré d'un dossier fort épais:
Le mythe du chien guide
L’image du bon Saint-Bernard qui sauve les pèlerins perdus dans la montagne ou ensevelis sous une avalanche a des résonances dans toutes les cultures. Le chien est traditionnellement perçu comme une psychopompe, un guide et un protecteur autant sur terre que dans l’au-delà. Pour les anciens Égyptiens, cet animal au pouvoir multiple était capable d’emprisonner ou de détruire les ennemis de la lumière. Les Aztèques, eux, pensaient que le chien avait le pouvoir d’abaisser le rideau de la nuit. Les anciens Mexicains, pour leur part, élevaient des chiens qu’ils sacrifiaient pour aider et guider l’âme des défunts vers le septième ciel ou le paradis . Dans la mythologie gréco-romaine, le chien Cerbère à trois, voire cinquante têtes, garde les portes de l’enfer pour empêcher les vivants d’y rentrer et les morts d’en sortir.
Dès lors, bien des gens sont convaincus que leur toutou va les défendre ou les guider, en général vers le salut ou le bonheur. « Le Christ en a besoin pour mener son troupeau à bon port. » a dit Victor Hugo. Une notion prise au pied de la lettre par moult leaders occidentaux, y compris Adolf Hitler qui ne manquait pas une occasion de faire belle figure en s’affichant avec son chien berger. Sur une photo diffusée à la une des journaux occidentaux, on pouvait voir Barack Obama, le plus récent berger en liste, avec son chien berger Bau au pied qui semble guider son maître, et l’humanité tout entière, vers la rédemption.
L’aura entourant les chiens guides, qui servent désormais de faire-valoir à toute l’industrie des animaux de compagnie, s’explique essentiellement par ces idées fantômes qui hantent encore l’imaginaire collectif. Une majorité de gens se reconnaissent dans l’aveugle guidé par son chien, une image très forte qui marque les esprits. Dans l’imaginaire chrétien, l’aveugle symbolise l’humanité temporairement perdue dans les ténèbres, depuis sa chute du paradis, et qui cherche son chemin vers la rédemption avec l’aide de son fidèle chien, cet envoyé de Dieu. Il y a ici toute la chimie nécessaire pour entretenir les illusions du public sur l’efficacité de ces chiens, voire leur nécessité, qui à ma connaissance n’a jamais été démontrée scientifiquement. Quoi qu’il en soit, la vision artificielle, une technologie qui arrive à maturité, va bientôt remplacer ces chiens robots à l’utilité fort douteuse.
Le mythe de l’animal médecin
Au cœur de la zoothérapie se trouve l’idée voulant que les animaux en soi, par leur nature toute spéciale, aient un don, qu’ils aient sur nous des effets magiques où surnaturels, et que par leur seule présence près de nous, ils aient le pouvoir mystérieux de nous transformer, de nous guérir et de nous remettre sur le droit chemin . Selon la professeure Corinne Morel, « dans la mythologie le chien serait pourvu d’un sixième sens et d’une perception intuitive. Bien des peuples, y compris les Indiens d’Amérique et les hindous, croient qu’on peut faire passer les mauvais esprits ou la maladie d’un être humain dans un chien » .
Ces idées fortement ancrées se traduisent par des comportements bizarres. Un cas parmi cent. Sur une de ces chaînes de télévision spécialisées en propagande silencieuse, on pouvait voir ceci : dans une prison aux États-Unis, des zoothérapeutes encourageaient des délinquants graves à se coucher et à caresser des chiens entraînés à rester immobiles comme des sphinx, sous prétexte que ce contact avec un animal ferait d’eux comme par magie des hommes meilleurs. On pouvait voir les prisonniers rirent dans leur moustache pendant que la zoothérapeute en chef, une sorte de Dr Stangelove en sarrau blanc immaculé, expliquait avec tout le sérieux du monde comment sa brigade de chiens allait contribuer à changer le monde.
Dans un autre cas semblable, montré d’un œil favorable aux nouvelles du soir de Radio Canada, une psychothérapeute, adepte farouche de la zoothérapie, prétendait que les animaux placés dans des cages à différents endroits stratégiques de sa clinique de consultation avaient le pouvoir d’aider ses patients à transcender la maladie.
Des allégations grotesques, dans les deux cas. Si c’était vrai les éleveurs de porcs, par exemple, qui sont en contact avec des milliers d’animaux, ainsi que leurs voisins, les pauvres, ne seraient jamais malades. À moins bien entendu, que le porc ne fasse pas partie des animaux médecins.
Le mythe de l’animal faire-valoir
Dans la liturgie chrétienne du Moyen Âge, souligne l’historienne Rosalind Hill, notamment chez Saint François D’Assise le saint des animaux, on retrouve la notion voulant que ce soit les bêtes plutôt que les hommes qui soient les plus aptes à reconnaître la sainteté ou la bonté d’une personne.
Dès lors, comme les animaux sont en général perçus comme étant de meilleurs juges de caractère que les humains, dans l’esprit du public, réussir à faire manger un animal dans sa main, l’apprivoiser, et se faire aimer par lui, est une preuve de confiance de la part de l’animal qui en dit long sur les grandes qualités humaines d’une personne. Les amoureux des bêtes étant généralement considérés comme de bonnes gens, dans les films grand public par exemple, voire en affaire, en politique et en amour, ces notions fausses qui font figure de lieux communs sont souvent exploitées pour pincer le cœur du passant, du spectateur, du consommateur, de l’électeur ou d’un éventuel partenaire amoureux.
Une notion démentie, encore une fois, par l‘expérience nazie. Si un chien peut s’attacher à Hitler, l’un des monstres les plus horribles de l’histoire, un chien peut s’attacher à n’importe qui et à n’importe quoi, sans discernement aucun, pourvu que l’attachement se fasse à une période propice de son développement ou qu’il obéisse à certains critères. Dans une expérience horrible, le psychologue américain Harry Frederick Harlow a même réussi à faire adopter par des jeunes macaques rhésus des substituts maternels en grillage ou en tissu. C’est peu dire…
Le mythe de l’animal rédempteur
Il est couramment admis que se mettre à aimer les animaux, à la façon des saints comme Saint François et Saint Cuthbert — un sentiment qui s’exprime de multiples manières, notamment par le végétarisme, la défense des animaux, voire la simple possession d’un animal de compagnie — est « un procédé fort ingénieux, rapporte l’ethnologue français Eric Baratay, pour établir parmi les hommes le règne pur de la charité […] Il s’agit d’extirper le goût du sang et de la cruauté, de rendre l’homme meilleur pour ses congénères et donc de protéger l’humanité elle-même. » Plusieurs personnalités saintes de cette époque sont des végétariens notoires, un style d’alimentation couramment pratiqué par les protecteurs des animaux comme Peter Singer et Brigitte Bardot. Dans toutes les cultures, autant chez les Anciens Grecs comme Plutarque que chez les moralistes comme Montaigne, les bouddhistes, les taoïstes et les hindouistes comme Gandhi, la bonté et la compassion envers les animaux sont des qualités morales et spirituelles hautement prisées.
Or, à moins de remette en question ces mythes et ces légendes et d'arrêter de les transmettre aux enfants, les efforts fait en surface au niveau de la condition animale, ne font que jeter de l'huile sur le feu.
Une solution qui s'appuie sur un malentendu sera elle-même un malentendu.
E- Est-ce une bonne chose pour une société de fuir systématiquement ses problèmes dans un quelconque échappatoire?
Quelle genre de société voulons-nous, une société infantilisée au point d'être incapable de sortir de sa zone de confort, où voulons-nous des gens d'esprit et de caractère qui ne s'en font pas facilement imposer?
F- pourquoi la logique marchande? D'où vient-elle? Pouvons-nous la changer pour une logique plus conviviale qui tient compte des autres, de la nature et des animaux?
G- Quel est le message véritable que nous donnons aux enfants en leur faisant croire, bêtement, que la vie sans animaux est indispensable?
H- Pourquoi sommes-nous incapable devoir que les soins vétérinaires vu de la perspective d'un animal sont absurdes? Sommes-nous devenus aveugle aux besoins de ceux qui ne sont pas comme nous?
Sommes-nous devenu tellement égoïste que les besoins des autres au-delà de notre petit plaisir, de notre petite personne, ne comptent pas?
Je laisse le soin à mes interlocuteurs d'en trouver d'autres.