Salut Ubu,
Je réagis avec un peu de retard, et je vois que le débat a évolué, mais je réponds tout de même à ton message.
Ubu a écrit :C'est une objection intéressante, je dois l'avouer. Je peux seulement répondre que le bien est plus difficile à faire que le mal, en particulier quand cela demande d'être anticonformiste et de faire des sacrifices importants, parfois sa vie. Devenir un barbare, cela ne me semble pas au-delà (ou au-dessous?) des capacités humaines. Les singes auxquels nous sommes apparentés peuvent être très brutaux (quoique les singes bonobos se démarquent par leur bonne conduite, pour ainsi dire). Il y a aussi des mauvais gènes et une éducation manquée, parfois des traumatismes.
En tout cas, devenir un saint, c'est plus compliqué que de devenir un barbare. Un humain peut se briser de multiples façon, mais pour faire un humain exceptionnel, c'est tout un contrat... Les philosophes médiévaux disaient: «bonum ex integra causa, malum ex quocumque defectu». Le bien résulte d'un processus fonctionnant dans son intégrité. Le mal résulte d'une défectuosité quelque part dans le processus.
Je n'ai donc pas besoin de recourir aux «démons» ou à un «dieu du mal» pour expliquer la méchanceté.
Qu'en penses-tu?
Peut être qu'il est effectivement plus difficile de faire le bien, mais il me semble que la faculté de faire le mal dans le seul but de faire le mal est rarissime. L'immense majorité des gens veulent faire le bien, et pensent la plupart du temps qu'ils sont de bonnes personnes. Seule une infime minorité veut consciemment faire le Mal. De ce fait, je trouve beaucoup plus ambigu qu'il puisse exister des tueurs/tortionnaires/criminels dénués de toute sensibilité (on dit souvent d'eux qu'ils sont "inhumains", comme s'il y avait quelque chose en eux qui ne relève pas de la nature humaine), que des hommes vraiment bons, puisque chacun aspire avec plus ou moins de réussite à être quelqu'un de bien. S'il y a vraiment des faits ambigus pouvant éventuellement être expliqués par l'action d'un Dieu, je trouve personnellement plus légitime de chercher du côté du Mal que du Bien (dans l'optique où la question devait se poser de manière manichéenne).
Comment doit-on définir le Bien exactement ? Par l'intention ou par l'action ? Selon ta propre définition, la conséquence morale est importante puisqu'il s'agit de tirer l'humanité dans son ensemble vers le haut. Or, il est impossible de connaitre dans sa totalité, l'impact que va avoir une action, même si celle-ci est motivée par une bonne intention. Jésus était de nature altruiste et généreuse, mais les conséquences de son enseignement et de ses actions ont peut être causé au final plus de mal que de bien : millions de morts dans les guerres de religion, persécutions, obscurantisme, frein au progrès social et humain, etc. Je sais que tel n'était pas son but, au contraire, mais on voit bien que l'intention et la conséquence ne vont pas forcément dans le même sens. Comme on dit, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Inversement, on peut imaginer un chercheur égoïste souhaitant découvrir un vaccin contre le sida non pas pour aider l'humanité, mais pour sa gloire personnelle et pour l'argent. Son intention n'est pas vraiment bonne, ou en tout cas elle ne l'est que pour lui, mais les conséquences de ses actions le sont s'il parvient à atteindre son but.
Les notions de Bien et de Mal n'existent pas de manière absolue dans la Nature, de même qu'il n'y a pas de phénomènes moraux, seulement une interprétation morale des phénomènes. Si nous qualifions certains hommes de notre histoire de "saints", "prophètes", "grands hommes", c'est parce que nous avons interprété leurs actes à notre échelle, de manière relativiste, et en accord avec l'intention qu'on leur prêtait. Mais nous ne pouvons juger de la réalité de la conséquence morale que de manière imparfaite, et aucun homme n'a causé le Bien, dans son sens le plus absolu. D'autre part, aucun homme ne peut avoir non plus une intention bonne dans l'absolu, car il prévoit toujours l'action morale qui va s'en déduire, et cherchera ainsi souvent le moindre mal (qui est donc en contradiction avec le bien absolu).
Pour en venir à l'essentiel, je ne pense pas qu'il y ait besoin de faire appel à Dieu pour expliquer l'existence du sens moral chez l'homme. Personnellement je vois deux choses :
1) l'éthique de réciprocité : en s'organisant en société, l'homme a compris qu'en agissant uniquement pour son propre bien, il tire moins d'avantages et il risque trop d'inconvénients qu'en agissant dans l'intérêt général. L'élaboration de règles de vie sont nécessaires (tu ne tueras point, tu ne voleras point, etc). C'est une morale utilitariste.
2) L'empathie : la capacité à la fois affective et cognitive à comprendre autrui. En voyant autrui souffrir, je souffre avec lui, car je me mets à sa place. Il est donc logique de refuser qu'il souffre, et de se refuser à le faire souffrir. C'est une morale émotionnelle.
L'altruisme dont tu veux parer tes hommes supposément touchés par Dieu, ce n'est rien d'autre que la manifestation d'un grand sens compassionnel. Je ne pense personnellement pas qu'il existe d'altruisme "pur", car agissant par empathie, l'homme agit toujours en partie pour lui-même. S'il souffre trop à voir souffrir autrui, il agira essentiellement pour effacer sa propre souffrance. L'amour de l'humanité n'est pas non plus désintéressé, puisqu'il y a un bonheur et un plaisir personnel immense à aimer. Ceux qui se sacrifient pour leur Dieu agissent encore moins de manière désintéressée, puisqu'ils le font autant par devoir et obéissance (et donc le besoin de se débarrasser de leur dette envers Dieu), que pour le salut de leur âme.
L'ego ne disparait jamais.
Après, se demander pourquoi certains sont plus empathiques que d'autre, c'est comme se demander pourquoi certains sont plus intelligents, pourquoi certains sont plus drôles, pourquoi certains sont plus violents, etc (car là aussi on pourrait arbitrairement dire que c'est parce que Dieu se manifeste en eux). Énormément de facteurs entrent en jeu, les dispositions et qualités naturelles, l'expérience de vie, le conditionnement culturel, le cadre familial et social, etc. La religion pourrait éventuellement être un facteur encourageant l'empathie chez certains. Mais c'est loin d'être le cas de la majorité je pense, car les croyants placent leur foi en Dieu avant toute chose (cf. Abraham, qui à défaut de manquer de foi, manque clairement et cruellement d'empathie).
Voilà, désolé pour cette longue réponse ^^