Nathalie a écrit :
Est-ce que vous affirmez que la rigueur intellectuelle du professeur Poulin comporte des failles ? Est-ce que vous iriez jusqu’à affirmer que ces failles sont tellement importantes qu’il faudrait le discréditer ?
Je pense qu'il serait plus juste de parler de
fraude intellectuelle dans son cas.
Richard Poulin est considéré comme expert de la prostitution par les cercles abolitionnistes. Il est d’abord et avant tout un militant abolitionniste. Il n’a jamais mené d’enquête de terrain dans le domaine de la prostitution. Qu’il soit professeur émérite dépasse carrément l’entendement compte tenu du manque de rigueur scientifique dont il fait part. Rendu à ce point, je pense qu’on peut carrément appeler ça de la fraude scientifique.
Il existe des règles précises pour faire des inférences statistiques (ce qu’un échantillon nous apprend de la population dont il est tiré). On pourrait excuser Poulin de ne pas bien les maîtriser s’il était écrivain (ce qu’il est d’ailleurs) ou journaliste. Mais il enseigne la sociologie pardi ! Une discipline dans laquelle la statistique est l’instrument le plus important.
Je vais vous donner un seul exemple, auquel la juge Himel fait d’ailleurs allusion et qui a sans aucun doute contribué à jeter à terre sa crédibilité d’expert.
Poulain affirme que l’âge moyen d’entrée dans la prostitution est de 14 au Canada et dans les pays développés. C’est une « information » qu’il répète ad nauseam dans la plupart de ses articles.
Rendez-vous tout au haut de la page 40 de l’article suivant tiré des actes d’un colloque scientifique :
http://www.cifas.ca/PDF_livreCifas/02-M ... _27-46.pdf.
Vous y lirez la phrase : « Ce n’est donc pas surprenant que l’âge moyen de l’entrée dans la prostitution, pour des pays capitalistes développés comme le Canada, se situe autour de 14 ans. » Il y a un renvoie à la note 9 qui se trouve au bas de la 42. Je vous la reproduis ici.
9 « Selon le Service canadien de renseignements criminels, l’âge moyen de l’entrée dans la prostitution au Canada est de 14 ans. L’enquête de Nadon, Kovela et Schludermann (1998) a révélé que 89% de leurs personnes interviewées ont commencé à être prostituées avant l’âge de 16 ans, et que l’âge moyen de l’entrée des filles dans la prostitution en Alberta est de 14,1 ans. Boyer, Chapman et Marshall (1993), qui ont interviewé 60 prostituées, ont souligné que toutes ces personnes avaient commencé à être prostituées entre l’âge de 12 et 14 ans. Selon Cunningham et Christensen (2001), 52% des 183 prostituées de Vancouver qu’ils ont interrogées ont commencé avant l’âge de 16 ans et 70% avant l’âge de 18 ans. Selon Busby et al. (2002), les trois quarts des personnes prostituées interviewées dans trois provinces de l’Ouest ont commencé à vivre des situations de prostitution lorsqu’elles avaient moins de 15 ans. Une autre recherche menée à Calgary indique que l’âge moyen des jeunes au moment où ils ont connu une première situation de prostitution est de 14 ans – 75% avaient moins de 16 ans et 86% moins de 18 ans (McIntyre,1999)."
Dans cette note :
1 Le service canadien du renseignement ne dispose out tout simplement pas de ce genre de statistiques. Il n’y a d’ailleurs aucune référence sur la manière dont il l’aurait obtenu auprès du SCRS.
2 L’échantillon de Nadon et al est constitué exclusivement d’adolescents : toutes les personnes interrogées sont des mineures.
3 Je n’ai jamais réussi à mettre la main sur le document de Boyer et al.
4 L’échantillon de Cunningham est composé exclusivement de prostituées de la rue à Vancouver
5 L’échantillon de Bushi est composé exclusivement de femmes adultes impliquées dans la prostitution alors qu’elles étaient mineures : c’était une condition pour être choisi.
6 L’objectif déclaré de McIntyre dans cette étude étonnamment faite pour le ministère de Justice du Canada : « the goal was to establish that most of the youth interviewed entered the
trade under the age of 18 and that there was a predominance of a history of sexual abuse before the street. » Recrutement boule de neige devant un « outreach center » pour les jeunes. Aucune donnée démographique sur l’échantillon. Aucune distribution de l’âge des répondants.
À vue de nez, comme ça, Nathalie, ça vous dit quoi ?
1 Si vous interrogez exclusivement des prostituées mineures, se pourrait-il qu’elles ne soient pas tout à fait représentatives de l’ensemble des prostituées ? Est-il raisonnable de penser qu’elles aient commencé à se prostituer plus jeunes que les autres ?
2 Si vous interrogez exclusivement des prostituées de la rue (on estime qu’elles représentent autour de 10% de toutes les travailleuses du sexe. Poulin tire la corde entre 15 et 25%) se pourrait-il que votre échantillon ne soit pas représentatif de l’ensemble des prostituées ?
3 Si le chercheur vous dit : « mon objectif est de démontrer que les jeunes prostituées commencent avant 18 ans », se pourrait-il qu’il choisisse d’aller recruter son échantillon au complet devant le Wood’s Homes, « helping troubled children and their families since 1913 », organisme sans doute honorable par ailleurs ? (c’est ce qu’elle a fait)
Ce ne sont pas les chercheurs qui je mets en cause ici (encore qu’on lit des horreurs dans trois de ces études). C’est le professeur de sociologie, celui qui doit maîtriser, à son niveau, des règles élémentaires de l’inférence statistique. Mais vous savez qu’il n’est pas idiot. Et c’est là le problème. Il sait fort bien ce qu’il fait. Il a choisi, à escient j’en suis certain, des études mineures et relativement difficile à repérer, et il a choisi d’ignorer d’autres études avec des échantillons plus adéquats qui tendraient à infirmer ses résultats.
Vous savez comment on a appelle ça ? Je vous le donne en mille, de la fraude intellectuelle.
Jamais je ne l’accuserais de fraude intellectuelle s’il décrivait les échantillons des études qu’il cite et s’il faisait les mises en garde nécessaires : c’est une obligation scientifique !
Vous voulez un avant-goût pour Melyssa Farley ? Poulin refait le même gag ailleurs. Prenez ce texte :
http://www.prostitutionresearch.com/pro ... 00020.html
Elle y écrit : « A conservative estimate of the average age of recruitment into prostitution in the USA is 13-14 years (Silbert and Pines, 1982; Weisberg, 1985) »
L’étude de Pines et Silbert, est un classique, plutôt bon, dans la littérature scientifique sur la prostitution. La méthodologie est expliquée en détail et les mises en garde sur la représentativité de l’échantillon sont faites. C’est du bon boulot même si s’il n’est à l’abris de quelques failles, notamment liées à l’embauche de prostituées pour conduire les entrevues. Ils ont interrogé 200 prostituées de rue à San Francisco en 1981. L’âge moyen d’entrée dans la prostitution de leur échantillon était de … tadam… 16,1 ans. Huh ! Dékécé ? D’après Farley ce serait plutôt 13 qu’ils diraient. Tu sais pourquoi elle dit ça ? Eh bien, Pines et Silbert ont eu l’idée, très bonne du reste, de comptabiliser l’âge d’entrée dans la prostitution pour leurs participantes mineures et pour leurs participantes majeures. Ça a donné 13 ans pour les premières et 18 ans pour les deuxièmes.
Elle a un doc en psycho, Farley. Elle connaît très bien la statistique. C’est de la fraude intellectuelle. Et tout comme Poulin, elle continue aujour’hui de diffuser ce chiffre.
Oh, j’allais oublier. Farley a rassemblé elle-même l’un des plus gros échantillons jamais étudié pour sa célèbre étude sur le syndromes post traumatiques : N=850 prostituées. Age moyen d’entrée dans la prostitution de cet échantillon : 19 ans ! La juge Himel a remarqué la chose d’ailleurs !
Nathalie, ces deux chercheurs cumulent les cas de fraude intellectuelle. Vous en voulez d’autres ?