Dans [url=http://dogma.free.fr/txt/JB-Science01.htm][i]Science et religion : l'irréductible antagonisme[/i][/url], Jean Bricmont a écrit :On ne peut que s’étonner du fait que d’éminents scientifiques non-croyants se laissent parfois enfermer dans la problématique du concordisme. Steven Hawking, par exemple, affirme :
« Mais si l’Univers n’a ni singularité ni bord et est complètement décrit par une théorie unifiée, cela a de profondes conséquences sur le rôle de Dieu en tant que créateur. »(13) En réalité, cela n’en a aucune, à moins d’arriver à caractériser Dieu de façon suffisamment précise pour servir d’alternative à l’absence de singularité et de bord (qui, eux, sont définis de façon mathématique). Le biologiste Richard Dawkins explique qu’il a un jour déclaré à un philosophe, au cours d’un dîner, qu’il ne pouvait pas imaginer être athée avant 1859, année de la parution de L’origine des espèces de Darwin(14). Ce qui revient implicitement à critiquer l’attitude des athées du 18e siècle. Pour comprendre néanmoins pourquoi ceux-ci avaient raison, imaginons, ce qui est évidemment impossible, qu’on démontre demain que toutes les données géologiques, biologiques et autres sur l’évolution sont une gigantesque erreur et que la Terre est vieille de 10.000 ans. Ceci nous ramènerait plus ou moins à la situation du 18e siècle. Nul doute que les croyants, surtout les plus orthodoxes, pousseraient un immense cri de joie. Néanmoins, je ne considérerais nullement cette découverte comme un argument en leur faveur. Cela montrerait que nous n’avons, après tout, pas d’explication de la diversité et de la complexité des espèces. Bien ; et alors ? Le fait que nous n’ayons aucune explication d’un phénomène n’implique nullement qu’une explication qui n’en n’est pas une (par exemple, une explication théologique) devient subitement valable.
La célèbre phrase de Jacques Monod :
«L’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers d’où il a émergé par hasard »(15) souffre également d’une certaine ambiguïté, qu’on retrouve chez certains biologistes ; que veut dire ici le mot « hasard » ? S’il signifie que l’homme n’était pas prédestiné, ce n’est pas réellement une découverte scientifique ; les explications en terme de causes finales ont été abandonnées pour des raisons similaires à celles qui ont mené à l’abandon des explications de type religieux (impossibilité de les formuler de façon à ce qu’elles soient testées). Mais si le terme désigne ce qui n’a pas de causes (antécédentes), alors la phrase exprime simplement notre ignorance concernant l’origine de la vie ou certains aspects de son évolution. Le hasard n’est pas plus une cause ou une explication que Dieu(16).
En fin de compte, le Dieu soi-disant découvert par la science, comme le hasard, n’est qu’un nom que nous utilisons pour recouvrir notre ignorance d’un peu de dignité.
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13) HAWKING (Stephen),
Une brève histoire du temps. Du Big Bang aux trous noirs, Paris, Flammarion, 1989. On trouve une confusion bien plus grande encore chez Claude Allègre qui considère que
« le Big Bang établit la supériorité des religions du Livre sur toutes les autres croyances du monde » ALLÈGRE (Claude),
Dieu face à la science, Paris, Fayard, 1997 (p.94). Cité (p.146) dans LAMBERT (Dominique),
Science et théologie ; Les figures d’un dialogue, Bruxelles, Éditions Lessius, 1999, 218p.
14) Voir DAWKINS (Richard),
The Blind Watchmaker, New York, W.W.Norton, 1997, 332p. Dawkins explique correctement l’argument sceptique et pré-darwinien de Hume, mais il ne semble pas apprécier le fait que de tels arguments sont toujours nécessaires, même après Darwin, pour faire face par exemple à l’argument anthropique. La découverte de Darwin déplace le « problème » lié à l’argument basé sur la finalité apparente de l’univers, mais il ne le résout pas. La solution passe, même aujourd’hui, par une critique philosophique de la religion. Ceci dit, il n’y a pas de doute que le darwinisme a apporté un immense soutien psychologique à l’athéisme.
15) MONOD (Jacques),
Le hasard et la nécessité, Paris, Le Seuil, 1971, 197p.
16) Remarquons que cette idée était parfaitement claire aux yeux de certains scientifiques « mécanistes » du 18e siècle ; par exemple, Laplace écrivait, à propos des « événements » :
« Dans l’ignorance des liens qui les unissent au système entier de l’univers, on les a fait dépendre des causes finales ou du hasard, suivant qu’ils arrivaient et se succédaient avec régularité ou sans ordre apparent ; mais ces causes imaginaires ont été successivement reculées avec les bornes de nos connaissances, et disparaissent entièrement devant la saine philosophie, qui ne voit en elles que l’expression de l’ignorance où nous sommes des véritables causes ».