MaisBienSur a écrit : 02 oct. 2020, 15:31Ok, mais où se tient alors la limite de ce qui n'est pas calculable aujourd'hui, et qui ne sera pas calculable demain ? Parce qu'affirmer qu'on n'en a pas les moyens ne veut pas dire que c'est impossible.
On ne peut jamais être définitivement sur de quoi que ce soit, mais, vis à vis de la calculabilité, l'obstacle est le suivant :
toutes les informations pouvant être considérées comme appartenant au domaine de la science doivent, pour cela, être
reproductiblement "recueillables" par des observateurs
distincts. L'
intersubjectivité qui en découle est la condition
requise (du moins tant que l'on reste sagement dans le domaine de la science établie et même dans celui un peu plus large de la science en construction) pour pouvoir qualifier d'information une donnée recueillie.
Cette condition de reproductibilité (dans le temps et par des observacteurs distincts) implique un enregistrement
irréversible de l'information en question. Or l'irréversibilité d'un enregistrement d'information implique, nécessairement, une création d'entropie, c'est à dire une fuite d'informations (dites non pertinentes) hors de portée de l'
observateur macroscopique.
Par exemple, si je m'intéresse au café que je vais prendre le matin, c'est quoi l'information pertinente ?
- la quantité d'eau,
- la quantité de café,
- son goût,
- dans une (très faible) mesure sa composition chimique (histoire d'être bien sûr qu'il n'y a pas de plomb ou d'arsenic dedans ;-)),
- sa température.
J'en oublie surement un peu, mais pas des tonnes.
Or, pour caractériser l'état exact de mon café, il faudrait bien plus d'information, il faudrait
de nombreuses fois 10^23 bits d'information (
informations dites non pertinentes dont, bien sûr, je me moque éperdument).
Le problème de prévisibilité est donc le suivant.
Considérons un environnement clos (qu'on peut, pourquoi pas, prendre comme étant l'univers dans son ensemble car du coup il est forcément clos par définition). Dans cet environnement, l'information reproductible (la seule information dont je puisse me servir pour faire des prédictions fiables) est disponible en quantité
plusieurs fois 10^23 fois insuffisante pour faire des prédictions exactes et complètes. Comme la plupart des évolutions (1) sont régies par une
dynamique du chaos (cf. l'effet dit papillon), au bout de quelques fois le temps de chaos, mes prédictions ne valent plus rien.
Concernant maintenant non plus l'imprévisibilité (même si, à la base, la question du déterminisme ne peut pas être dissociée de celle de la prévisibilité puisqu'un modèle n'a de sens que par ses possibilités d'application à ce que l'on observe) mais l'indéterminisme (une imprévisibilité sensée être "absolue", un terme "dangereux" car il nous enferme dans une approche réaliste que je crois fausse)
En fait, les raisons de l'indéterminisme/imprévisibilité sont encore plus fortes car, ci-dessus, je me suis implicitement placé dans le cadre d'une dynamique du chaos déterministe (donc un modèle dans lequel, avec une connaissance infiniment précise du passé, on pourrait, comme
le démon de Laplace, prédire exactement et complètement le futur).
L'indéterminisme/imprévisibilité est, en fait, encore plus marqué que cela. L'exemple le plus typique est celui de la
mesure quantique où l'on ne peut pas prédire à l'avance, par exemple, le résultat de mesure de spin horizontal d'un système en état quantique initial de spin vertical.
C'est même pire que cela. Si l'on réalise des
mesures faibles de spin vertical de systèmes en état initial de spin horizontal, suivies de mesures fortes de spin vertical,
les résultats de mesure faible dépendent des résultats de mesures fortes obtenues postérieurement à ces mesures faibles.
Le présent dépend du passé
ET du futur.
J'ai d'ailleurs donné, dans un précédent post (qui aurait pu avoir sa place dans le
fil sur le temps) l'exemple de l'
origine de l'inertie et de la
réaction de radiation pour montrer que, selon certaines interprétations objet de débat, mais à mon avis (actuel) plus légitimes que le point de vue opposé, cette dépendance d'effets présents à des évènements
futurs est déjà observable indirectement en physique classique.
(1) Tout particulièrement l'évolution de notre société humaine actuelle de presque 8 milliards d'individus. Ça rend son évolution sensible à des décisions et actions individuelles pouvant sembler, en première approche, presque insignifiantes. Notre responsabilité individuelle s'en trouve terriblement accrue.
De plus, les affirmations nous incitant à conclure que nous ne sommes responsables de rien en mettant en avant, par exemple, le fait exact que nous sommes manipulés sont, de ce fait, très dangereuses. En effet, bien présentées, elles sont tout à fait susceptibles de nous convaincre :
- soit de l'utilité de ne surtout rien faire car depuis que le monde est monde...patati patata (et en fait patatras)
- soit de déployer l'essentiel de notre temps et de notre énergie à surveiller, pourchasser et punir "les coupables".