Car c’est là l’autre ambition: briser la suprématie des Grecs et des Romains, pour les remplacer par l’étude d’autres peuples soi-disant «invisibilisés»: Numides, Phéniciens, Carthaginois, Hittites…
Par suite, ces chercheurs se refusent à exiger une bonne connaissance du grec et du latin chez leurs étudiants. Katherine Blouin, professeur associé d’histoire romaine à l’université de Toronto, a appelé à abandonner «l’orthodoxie selon laquelle tous les classicistes devraient avoir une maîtrise de niveau philologique de ces deux langues», jugeant qu’il y avait de la «violence» et de la «cruauté» à attendre des chercheurs en lettres classiques qu’ils connaissent bien le latin et le grec - au motif que la version latine constituerait un «héritage colonial».
Les tunisiens sont fiers de leur passé antique et le héros n°1 est Jugurtha, roi berbère en guerre contre Rome. Comment raconter son histoire si on n'enseigne plus la langue du vainqueur qui a raconté son histoire
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Jugurtha premier nationaliste maghrébin
19 septembre 2005 à 01h00 | Écrit par Ridha Kéfi
Dans la première biographie consacrée au roi numide, Haouaria Kadra apporte un éclairage inédit sur l’une des figures les plus marquantes de la période antique en Afrique du Nord.
Dans le panthéon maghrébin, Jugurtha occupe une place aussi importante qu’Hannibal. Les deux chefs militaires ont d’ailleurs de nombreux points en commun. Ils ont défié le puissant Empire romain, tenu longtemps en échec les légions envoyées pour les soumettre, avant de perdre finalement la guerre contre Rome non pas sur un champ de bataille, mais à la suite d’une trahison.
Si les faits d’armes du général carthaginois sont plus spectaculaires que ceux du roi numide, c’est ce dernier, cependant, qui symbolise le mieux aujourd’hui, aux yeux des Maghrébins, la résistance à l’invasion étrangère. À la différence d’Hannibal, né dans la péninsule Ibérique de parents originaires de Phénicie, Jugurtha est né en Afrique et a une ascendance berbère avérée.
Jugurtha est venu au monde en l’an 155 av. J.-C., soit vingt-huit ans après la mort de son prestigieux aîné. Mais si la vie, la personnalité et le parcours militaire du fils d’Hamilcar Barca nous sont bien connus grâce aux travaux des historiens de l’Antiquité, nous en savons beaucoup moins sur le petit-fils de Massinissa. En l’absence de textes numides ou puniques anciens, les historiens actuels n’ont d’autre choix, pour reconstituer le personnage, son ascension et sa chute, que de puiser dans La Guerre de Jugurtha, de Salluste (86-36 av. J.-C.), écrite plus de soixante-dix ans après le début de cette guerre.
L’auteur latin présente, malheureusement, un « récit romano-centré » où « la scène est presque constamment occupée par les Romains ; les Numides, à notre grand regret, n’y font que de rapides apparitions, ou ne se laissent furtivement entrevoir que de loin », note Haouaria Kadra, auteure de la première biographie consacrée au roi numide, Jugurtha : un Berbère contre Rome. Aussi, pour compléter sa documentation, l’universitaire algérienne a-t-elle recouru à des fragments d’historiens latins (Plutarque, Tite-Live…) et grecs (Jean d’Antioche, Appien…).
Elle a essayé de pallier la rareté de l’information par des recoupements, qui éclairent sinon le personnage, du moins son époque. Plus historienne que biographe, elle s’est bien gardée, cependant, de combler les trous en recourant à son imagination. On pourrait le regretter, tant son récit est resté académique, précis mais austère. Quant au personnage de Jugurtha, il est, mille neuf cent un ans et deux cent vingt-six pages après, à peine mieux connu. L’Histoire n’aura finalement retenu de lui que l’image qu’ont voulu en laisser ses ennemis. Celle d’un prince usurpateur, d’un roi turbulent, d’un chef de guerre plus prompt à l’esquive qu’au combat franc, intrigant et corrupteur, « perfide, inconstant et amoureux du changement », mais aussi impulsif et rancunier, cherchant à se venger des Romains au mépris de ses intérêts et de ceux de son peuple, sacrifié sur l’autel d’irréalistes ambitions.