ABC a écrit : 08 juin 2022, 22:18La présence d'un observateur n'est nécessaire ni avant, ni pendant, ni après l'enregistrement irréversible d'une information. L'existence d'une classe d'observateurs partageant une même grille de lecture (la caractérisation d'états macrocopiques par des grandeurs dites macroscopiques que sont : température, pression, composition chimique, fréquence et intensité des rayonnements électromagnétiques...) et un même mode d'interaction avec l'univers suffit pour faire émerger, sous forme d'enregistrements irréversibles (c'est à dire par création d'entropie = fuite d'information hors de portée de l'observateur), les propriétés caractérisant cette interaction (propriétés de notre interaction que nous avons tendance à interpréter comme des propriétés intrinsèques de l'univers).
spin-up a écrit : 08 juin 2022, 23:09En quoi le fait que ces propriétés proviennent d'interactions avec l'observateur fait qu'elles ne sont pas des propriétés intrinsèques de l'univers?
Je précise mieux ce que j'ai voulu exprimer. Par "non intrinsèque", je veux dire que l'on a besoin de ces parties de l'univers que l'on appelle des observateurs pour pouvoir attribuer des propriétés à l'univers. Pour qu'une propriété puisse exister (en un sens que l'on puisse définir opérationnellement) il faut bien que l'on puisse la mesurer.
La symétrie CPT
De façon plus détaillée (en lien avec la flèche du temps, une question qui m'intéresse) la symétrie CPT implique des évolutions unitaires, donc déterministes et réversibles, c'est à dire conservant l'information dans le sens présent-futur comme dans le sens présent-passé. L'émergence d'évolutions indéterministes et irréversibles, violant cette unitarité (en tout premier lieu la mesure quantique) demande (me semble-t-il, mais ce point de vue me semble peu contesté)
une violation de la symétrie CPT (cf. Sean Caroll
La violation de la symétrie T n'est pas la flèche du temps ou encore
Huw Price, séminaire Poincaré 2010, "The thermodynamic arrow isn’t just a T-asymmetry, it is a PCT-asymmetry as well.")
Irréversibilité et entropie (1)
L'observation, autrement dit l'enregistrement irréversible d'informations, demande une création d'entropie, une fuite d'information hors de portée de l'observateur, une redondance et une résistance aux agressions de l'environnement garantissant la
reproductibilité de l'extraction d'information (les traces du passé) enregistrée dans des bains thermiques.
Cette fuite d'information n'est pas contenue dans les lois fondamentales connues à ce jour.
Cette fuite d'information demande, me semble-t-il (l'école de Bruxelles-Austin est toutefois profondément hostile à ce point de vue) une classe d'observateurs caractérisée par une limitation
identique d'accès à l'information (cf.
Incomplete descriptions and relevant entropies, R. Balian) ainsi qu'un mode
commun de partitionnement de gigantesques classes d'états microscopiques en états macroscopiques (on peut ainsi parvenir à éviter tout recours à la notion délicate, et je pense inutile, de conscience pour faire émerger le temps et l'intersubjectivité des observations).
spin-up a écrit : 08 juin 2022, 23:09Un observateur n'est pas un objet extérieur à l'univers, c'est toujours l'univers qui s'observe. Si le temps est une propriété emergent de l'interaction de parties de l'univers (au moins une classe d'observateurs et leur environnement), c'est bien une propriété intrinsèque.
Et il est très difficile (peut-être impossible) de définir ce que serait un univers sans aucun observateur interagissant avec lui. Si on se range à cette hypothèse, l'existence d'une classe d'observateurs est, de toute façon, une propriété intrinsèque de notre univers car cette condition d'existence d'une classe d'observateurs est nécessaire à l'existence des propriétés que cette classe d'observateurs lui attribue (sans observateurs, pas de propriétés).
Le point de vue réaliste
Toutefois,
Prigogine est en profond désaccord avec ce point de vue ramenant l'observateur au centre du village. Pour feu Prigogine et pour des physiciens adoptant une interprétation réaliste de l'irréversibilité des évolutions tels que M. Gadella, A. Bohm, R. De la Madrid, P. Patuleanu et quelques autres (cf. par exemple
Hilbert Space or Gelfand Triplet - Time Symmetric or Time Asymmetric Quantum Mechanics, A. Böhm, H. Kaldass, P. Patuleanu),
le temps n'a nul besoin (de ces parties de l'univers qu'on appelle) des observateurs pour s'écouler. Dans la même veine, pour les physiciens réalistes, ces parties de l'univers qu'on appelle des observateurs, seraient inutiles pour que l'univers puisse posséder des propriétés (pour ma part, je n'y crois pas).
Le point de vue réaliste de l'école de pensée de Bruxelles-Austin quant à l'écoulement irréversible du temps, est en opposition frontale avec le point de vue positiviste, notamment concernant les phénomènes irréversibles. Ce point de vue est assez bien et synthétiquement décrit dans la vidéo
Ainsi parle Y. Prigogine.
Implicitement, si on adopte le point de vue réaliste, il pourrait exister des univers
possédant des propriétés (autres que celle d'exister, mais c'est quoi l'existence d'un univers inobservable ?) sans pour autant avoir (de parties que l'on puisse qualifier) d'observateurs. A mon sens, ce n'est pas possible. Il ne peut exister de propriété sans aucune possibilité (au moins d'un point de vue principe) de les observer, et il ne peut y avoir de possibilité d'observation sans notion d'observateur.
Les modèlisations dynamiques intrinsèquement T-asymétriques
Pour défendre une interprétation réaliste de l'écoulement irréversible du temps, ces physiciens réalistes proposent des modèles d'évolution
dynamiques time-asymmetric (et non pas thermodynamiques statistiques). Dans ces modélisations, nul besoin de recours à du coarse graining. Ces modèles dynamiques se passent du recours à une fuite d'information au beau milieu d'un modèle mathématique respectant une dynamique hamiltonienne donc isentropique donc conservant l'information (comme l'hypothèse du chaos moléculaire requise, au coeur d'une modélisation de cinétique des gaz à la base respectueuse de la symétrie T, donc isentropique, pour engendrer, dans le théorème H de Boltzmann, une fonction d'état H = -S, monotonement décroissante, modélisant la croissance de l'entropie S).
J'ai un peu regardé les articles des physiciens de cette école de pensée. Leurs modèles sont très intéressants, à la fois mathématiquement et physiquement. Concernant la nature de l'irréversibilité des évolutions, si j'ai bien compris leur positionnement philosophique, leur point de vue est le suivant : "puisque je peux modéliser des évolutions irréversibles
dynamiquement, c'est à dire
sans recours, en cours de route,
à une fuite d'information entrant en conflit avec le cadre mathématique initialement choisi, c'est donc qu'il y a bien fuite "objective" d'information dans les évolutions irréversibles que j'ai ainsi modélisées.
A mon sens, en dépit des apparences, les modèles proposés n'apportent pas de démonstration scientifique de l'
objectivité (non dépendance à la notion d'entropie) de l'écoulement irréversible du temps. Cette hypothèse est un acte de foi ajouté à ces modèles (des modèles parfaitement défendables à par ça et même mathématiquement requis, concernant les triplets de Gelfand, quand on veut héberger un pic de Dirac (2)).
L'hypothèse d'
objectivité de la violation de symétrie CPT satisfaite par leurs modèles dynamiques time-asymmetric c'est l'ajout d'un crédo
philosophique (moins visible qu'avec du coarse graining ou la fuite d'information se voit comme un nez au milieu de la figure). La physique d'aujourd'hui, fondamentalement, nous dit l'inverse via la symétrie CPT.
Le paradoxe de l'irréversibilité et le point de vue positiviste
Pour être surmonté, le
paradoxe de l'irréversibilité n'a pas besoin de l'hypothèse philosophique d'
objectivité (au sens indépendance vis à vis des limitations d'accès à l'information et de la grille de lecture de l'observateur macroscopique). Si on est prêt à accepter le rôle spécifique de "ces parties de l'univers que l'on qualifie d'observateurs" (3), il n'y a pas de paradoxe de l'irréversibilité. L'enregistrement irréversible d'information, donc la création d'entropie, c'est à dire la fuite d'information hors de portée de l'observateur, est à la base de l'émergence de l'écoulement irréversible du temps et, plus généralement, de propriétés que nous attribuons à l'univers (ce à quoi il pourra être rétorqué, par ceux qui sont d'un avis opposé, qu'il s'agit d'une confusion/inversion entre la carte et le territoire. Je comprends ce point de vue mais ne le partage pas).
Le point de vue positiviste, concernant l'écoulement du temps, interprète cet écoulement irréversible comme une émergence à caractère thermodynamique statistique, indissociable, donc, de nos limitations d'accès à l'information. Le point de vue positiviste vis à vis de l'écoulement irréversible du temps est défendu, par exemple, par les M. Gell-mann (4), J. Lebowitz (5), M. Bitbol (6), R. Balian (7), C. Rovelli (8).
D'un point de vue plus général (relatif à l'ensemble de notre physique), l'interprétation positiviste (proche de celle des Bohr, Heisenberg et Born notamment) vis à vis de l'état quantique (la description la plus complète que l'on puisse donner des systèmes physiques) est défendue, notamment, par Fuchs (9), Peres (10) et de nombreux autres physiciens.
spin-up a écrit : 08 juin 2022, 23:09Peut etre pas universelle, mais ca reste à prouver que le temps n'existe pas pour d'autres formes d'observateurs (dont l'existence elle même est à prouver).
Pour ma part, je préfère rester sur des questions semblant susceptibles d'être tranchées par une ou des expériences (au besoin de pensée).
(1)
Entropie Bitbol
(2) Comme le fait remarquer De la Madrid (cf.
The role of the rigged Hilbert space in Quantum Mechanics) un pic de Dirac n'a pas sa place dans l'espace de Hilbert. Mathématiquement, les triplets de Gelfand (reposant sur la théorie des distributions de L. Schwarz) sont nécessaires pour héberger un pic de Dirac.
Par ailleurs physiquement, le vecteur de Gamow (cf.
A primer on resonance in Quantum Mechanics O. Rosas-Ortiz, N. Fernandez-Garcia, Sara Cruz y Cruz) avec sa partie imaginaire modélisant l'inverse de la durée de vie finie d'un état quantique instable ou métastable, un état propre d'énergie complexe donc (cf.
Time Asymmetric Quantum Mechanics Arno R. Bohm, Manuel Gadella, Piotr Kielanowski) est légitime pour modéliser les phénomènes irréversibles de diffusion résonante par exemple.
(3) Observateurs attribuant des propriétés aux régularités constatées lors de ces observations. Ces régularités et la redondance, donc aussi le manque d'information (requis par la redondance des informations irréversiblement enregistrées dans notre environnement) sont une condition de reproductibilité des informations recueillables. Cette reproductibilité est requise pour pouvoir faire des prédictions et faire ainsi émerger un monde classique, un monde auquel nous puissions attribuer des propriétés intersubjectives (cf. Harold Ollivier, David Poulin, Wojciech H. Zurek
Environment as a Witness: Selective Proliferation of Information and Emergence of Objectivity in a Quantum Universe)
(4) The Quark and the Jaguar, Londres. Little Brown and Co, 1994, p. 218-220, M. Gell-Mann
"L’entropie et l’information sont étroitement liées. En fait, l’entropie peut être considérée comme une mesure de l’ignorance. Lorsque nous savons seulement qu’un système est dans un macroétat donné, l’entropie du macroétat mesure le degré d’ignorance à propos du microétat du système, en comptant le nombre de bits d’information additionnelle qui serait nécessaire pour le spécifier, tous les microétats dans le macroétat étant considérés comme également probables".
(5)
BOLTZMANN'S ENTROPY AND TIME'S ARROW, J. Lebowitz
(6)
PRÉLUDE À L’IRRÉVERSIBILITÉ: LA « FLECHE DU TEMPS » EST-ELLE UN FAIT DE LA NATURE?, M. Bitbol
(7)
Le temps macroscopique, R. Balian
(8)
Forget time, C. Rovelli
The time of our experience is associated with a number of peculiar features that make it a very special physical variable. Intuitively (and imprecisely) speaking, time “flows”, we can never “go back in time”, we remember the past but not the future, and so on. Where do all these very peculiar features of the time variable come from? I think that these features are not mechanical. Rather they emerge at the thermodynamical level. More precisely, these are all features that emerge when we give an approximate statistical description of a system with a large number of degrees of freedom. We represent our incomplete knowledge and assumptions in terms of a statistical state ρ. The state ρ can be represented as a normalized positive function on the relativistic phase space Γ.
Diamonds's Temperature: Unruh effect for bounded trajectories and thermal time hypothesis P. Martinetti, C. Rovelli
Von Neumann Algebra Automorphisms and Time-Thermodynamics Relation in General Covariant Quantum Theories
A. Connes, C. Rovelli
(9)
QBism and the Philosophers, C. Fuchs
(10)
Quantum Theory Needs No Interpretation, A. Peres