Je suis en train de lire plusieurs articles sur ces questions, avec des rappels historiques sur l'origine et la genèse de ces mouvements. Il n'y a pas de réponse simple. Le constat est que les faits existent, que des actions sont commises, et leur analyse, par des journalistes, passent à travers des filtres, des prismes, multiples.Est-ce ça qui a amené ces activistes autocollants à cibler ainsi leurs actions ?
Ce qui aboutit à disposer d'un ensemble d'informations avec lesquelles l'individu, le lecteur, se débrouille en essayant de se positionner, suivant ses paramètres personnels, son fonctionnement interne. Personnellement, je me débrouille avec le doute en tentant d'assumer des contradictions. Comme je l'ai précisé par ailleurs, je ne cautionne pas mais peut faire acte de compréhension. Avec ça, on est bien avancé...

Une proposition de lecture qui offre une synthèse des différents avis en recontextualisant des faits.
Maculer une toile de Van Gogh ne sauve pas le monde. Voir l’Occident s’en prendre à ses chefs-d’œuvre est le plus affligeant spectacle de suicide.
Par Kamel Daoud
Outre le malheur du ridicule, il y a dans l'autodafé
par des soupes à la tomate dont on macule les chefs-d'œuvre de l'Occident, le malheur de l'inutilité : que va devenir l'écologisme, même bénin, réduit à des canulars ? De la vision de ces ados à l'assaut des toiles et des sculptures majeures de l'art, on retient à peine qu'il faut sauver la planète, mais surtout qu'il faut la sauver de l'idiotie en bande organisée. On en conclut que l'écologie ne se porte pas mieux après les attaques contre les toiles de Van Gogh, que ces spectacles devenus viraux donnent lieu à une réflexion non sur la surconsommation mais sur le saccage culturel, réintroduit (encore une fois) sous le prétexte démodé de la « révolution ».
Vu d'ailleurs, c'est-à-dire de ces géographies du « Sud » pauvre, où l'art est un défi quotidien, une révolte qui peut coûter la vie face aux dictateurs et au kitsch qu'ils affectionnent, ce spectacle occidental de « militants » à la soupe à la tomate désempare, sinon inquiète au plus haut point : on peut donc se suicider par bouffonnerie ? C'est à cela que mène la démocratie ? Mais pire encore est l'autre question : en quoi consiste la différence entre la destruction des bouddhas géants en Afghanistan par les talibans et ces jeunes qui croient sauver la planète en souillant un Van Gogh ? Pour les uns comme pour les autres, une idée, devenue une radicalité, s'est transformée tragiquement en futilité pour aboutir à l'autodafé. Les uns comme les autres croient au salut par la destruction.
Autodafé. Grand mystère de la futilité : à chaque époque qui doute et s'égare, on s'en prend d'abord aux femmes, ensuite aux chefs-d'œuvre, enfin à toutes les libertés. Dans l'ordre. Sauver la planète en détruisant des chefs-d'œuvre et en attaquant les musées est une stratégie de médiatisation destinée à éveiller les consciences, dit-on, presque admiratif. Certains leur trouveront, à ces illuminés de la colle et de la soupe, l'excuse de l'efficacité. Mais, par là, ils ne feront qu'excuser, paresseux, ce qui est concomitant à ces gestes : la déclaration que l'art est accessoire, « bourgeois » disait-on autrefois, superflu. Que barbouiller un chef-d'œuvre est une révolution et que la fin justifie ce moyen - qui est justement la fin de tout. « Lequel est le plus beau, de Shakespeare ou d'une paire de bottes ? » s'interroge un personnage de Dostoïevski. Un faux dilemme qui résume un vieux procès fait à l'art, un verdict d'insignifiance qui constitue les prémices de la dictature, sinon de l'effondrement. On croyait donc avoir clos le débat sur la primauté singulière du chef-d'œuvre opposée au totalitarisme, du moins en Occident, et voilà qu'on se trompe : rien n'est acquis. Ni la liberté, ni la démocratie, ni le bon sens, ni même la vie protégée du chef-d'œuvre. Il suffit de rien pour que le « rien » soit déclaré noble cause.
Cap sur la pédagogie des foules : expliquer, sans s'arrêter, que maculer une toile ne sauve pas le monde. Que ce geste n'est pas excusable même si son intention l'est aux yeux de la presse (vieille rengaine des moyens, des justifications), qu'il faut rééduquer à la liberté et à sa nécessité, aux bottes et à Shakespeare, et ne pas hésiter à dénoncer l'autodafé, le talibanisme soft face à l'art, en faisant fi d'une prétendue erreur juvénile ou d'un spectacle médiatique. Doucement, dans le braille de la précaution, reprendre la leçon sur le capital de nos humanités, l'étincelle de l'art comme contrepoids à nos banalités, la nécessité du musée et l'utilité du chef-d'œuvre pour faire barrage au mauvais goût. Doucement, réinculquer l'essentiel aux plus jeunes : si une paire de bottes était plus importante que Les Possédés, l'auteur, le peintre n'auraient pas choisi de crever de faim pour produire leur œuvre. Ces gestes de profanateurs ne sauvent pas la planète mais alertent sur le déboisement des esprits, rabaissent la conscience au niveau du nihilisme banal et du fanatisme. On n'en récoltera rien.
On sait même encore plus précisément où mènent les grandes idées du salut au nom d'un dieu, d'une forêt ou d'un tribunal. Et, au « Sud », là où l'art est une clandestinité, une liberté en lutte et un défi aux unanimités ravageuses, voir l'Occident s'en prendre à ses chefs-d'œuvre est le plus affligeant spectacle de suicide. Il y a là un insupportable gâtisme et une inquiétante dégradation du sens des luttes.