Le prix Nobel de médecine a été décerné ce lundi à la Hongroise Katalin Kariko et à l'Américain Drew Weissman pour leurs découvertes dans le champ de l'ARN messager qui ont ouvert la voie aux vaccins contre le Covid-19.
Les comploplos, leur nouvel ordre mondial, et autres fariboles doivent être dans tous leurs états...
Prix Nobel de médecine : l'incroyable aventure de Katalin Kariko, messagère de l'ARN.
ENTRETIEN. En mars 2022, la chercheuse hongroise, qui vient d'être nobélisée avec Drew Weissman, nous avait raconté le développement du vaccin ARN messager dans un entretien revigorant.
Propos recueillis par Gwendoline Dos Santos et Guillaume Grallet
Publié le 02/04/2022 à 14h00, mis à jour le 02/10/2023 à 12h37
Selon Katalin Kariko, pionnière de l'ARN messager, le droit d’être vacciné doit être considéré comme un droit de l’homme.
Obstinée, passionnée et surtout… désireuse de transmettre. Voilà comment on pourrait résumer le caractère de Katalin Kariko, une des pionnières de l'ARN messager, qui joue un rôle clé dans les vaccins développés pour lutter contre le Covid-19. Certes, la découverte de cette molécule qui sert d'intermédiaire dans la synthèse des protéines est une aventure collective (les travaux du Français Jacques Monod ont par exemple été décisifs), mais elle doit beaucoup à la pugnacité de cette chercheuse, qui a dû fuir la Hongrie avec moins de 100 dollars d'économies cachés dans l'ours en peluche de sa fille. Direction l'université de Pennsylvanie, où elle est ensuite placardisée car ses recherches sont jugées iconoclastes. Ayant choisi de rejoindre la start-up allemande BioNTech en tant que vice-présidente, en 2013, elle reste mordue de recherche. Le prix Nobel de médecine lui a été décerné lundi 2 octobre, avec son collègue américain Drew Weissman. Le prix récompense leurs avancées dans le domaine des vaccins à ARN messager. À cette occasion, nous republions cet entretien datant de mars 2022.
Le Point : Il y a un an, vous obteniez le prix Princesse des Asturies. Cette fois-ci, c'est celui de Solvay pour la science du futur. Vous allez pouvoir garder les pieds sur terre ?
Katalin Kariko: C'est un grand honneur de recevoir le prix Solvay. Je suis à la fois touchée et enthousiaste. Pendant quarante ans, j'ai travaillé très dur et je n'ai reçu aucun prix, aucune reconnaissance pour mes recherches, mais j'étais malgré tout heureuse dans mon laboratoire. C'est très agréable de voir son travail reconnu, mais être sous les projecteurs n'est pas le principal moteur des scientifiques. Pour moi, le moment le plus joyeux survient quand je trouve une solution à un problème. Chaque fois que je reçois un prix, je pense à mes pairs scientifiques, qui ont travaillé durement pendant des années. Donc, quand mon travail est distingué, je ressens toujours une grande gratitude envers ceux qui m'ont aidée. La chose dont je suis le plus fière est d'être restée une scientifique enthousiaste et honnête pendant toutes ces années. Avec la même passion.
Cela peut-il vous permettre d'aller plus loin ?
Pour moi, l'essentiel est de voir les chercheurs mis à l'honneur ; dans mon cas, une femme immigrée. J'espère aussi que mon exemple donnera envie à des enfants de devenir scientifiques. Nous avons besoin de la nouvelle génération, car il y a encore énormément de problèmes à résoudre.
On assiste en France à une nouvelle vague de contaminations…
Le vaccin original Covid-19 ARNm, qui est particulièrement efficace, a été produit en un temps record. Cette maladie respiratoire est, comme beaucoup de maladies respiratoires, contagieuse car elle peut être contractée à partir de l'air contaminé. Mais, dans la plupart des cas, une personne infectée qui est vaccinée et à jour de ses doses aura uniquement des symptômes légers. Il sera difficile d'éradiquer les coronavirus, parce que les animaux peuvent être infectés et porteurs du virus. À l'inverse, le virus de la variole, qui ne contamine que les humains et les singes, a pu être éradiqué.
Nous avons besoin de la nouvelle génération, car il y a encore énormément de problèmes à résoudre.
Parviendrons-nous à obtenir un vaccin universel, capable de contrer tous les variants ?
Les scientifiques travaillent à l'alignement des séquences de différents coronavirus, que l'on trouve chez les chauves-souris, et ils essaient d'identifier les séquences conservées chez tous les coronavirus. Le développement de ce que l'on appelle un vaccin à ARNm pan-corona est en cours de réalisation.
Au début de vos recherches, vous travailliez sur d'autres applications visant à booster notre système immunitaire. Où en est-on ?
Je suis optimiste par nature, et l'ARN est si facile à synthétiser, si rapide que vous pouvez faire beaucoup de produits différents à un faible coût en un rien de temps, qu'il s'agisse de thérapies ou de vaccins. Et cela quelle que soit la protéine. C'est ce qui permet d'accélérer la recherche sur un vaccin contre le sida.
Cela peut-il être utile dans la lutte contre le paludisme ?
Les chercheurs travaillent sur un vaccin à ARN messager contre le paludisme depuis deux ans maintenant. Ils ont essayé d'identifier quelle était la molécule cible, quelles protéines de ce parasite devaient être encodées dans le vaccin ARNm. Mais maintenant que cette technologie est très avancée, ils identifient les personnes qui ont été infectées, et qui ne seront ni réinfectées ni malades. Leurs anticorps sont analysés et les protéines ciblées par ces anticorps identifiées comme les cibles idéales du vaccin. Un projet de vaccin développé par l'université d'Oxford montre une efficacité de 77 % dans un essai clinique de phase II. Enfin, BioNTech annonce un essai en 2022 utilisant la technologie à ARN.
Quid d'un vaccin contre le cancer ?
Les recherches avancent bien. Mais n'ayant pas de boule de cristal [sourires], je me garderais bien de vous donner une date..
La guerre en Ukraine vous inquiète-t-elle ?
Il y a quelques jours, j'étais en Allemagne et je me suis réveillée au milieu de la nuit en pensant entendre une sirène. Puis j'ai compris qu'il n'y en avait aucune. C'est terrible ce qui se passe et je n'arrive pas à comprendre. Nous consacrons nos vies à sauver celle des autres et, en Ukraine, des milliers de civils jeunes et âgés meurent aux côtés de militaires. Beaucoup d'efforts ont été faits pour inclure la Russie dans le concert des nations, car isoler un pays comme l'est la Corée du Nord n'est pas une solution. Les gens peuvent traverser la frontière, aller où ils veulent, alors pourquoi se battre pour un pays ? Je ne comprendrai jamais parce que, en tant que scientifique, je recherche une logique. Et il n'y en a pas ici.
Vous avez encore de la famille en Hongrie ?
Ma sœur, mes tantes et mes cousins. Le reste de ma famille est disséminé dans le monde entier : mon mari est à Philadelphie, en Pennsylvanie, ma fille [NDLR : Zsuzsanna Francia, championne olympique d'aviron] vit à San Diego et moi en Allemagne, en ce moment. Ma famille en Hongrie va y rester. Optimistes, ils croient que la guerre s'arrêtera bientôt.
Avez-vous beaucoup de collaborations scientifiques avec la Russie ?
BioNTech emploie des scientifiques et des experts de 57 nationalités différentes. Donc nous avons des collègues d'Ukraine et de Russie, ainsi que du reste du monde. La science est un domaine très international où nous travaillons ensemble, côte à côte. Nous avons des collaborations fructueuses avec des scientifiques de différents pays, j'aimerais que le reste du monde soit ainsi.
C'est un beau message que celui envoyé depuis la station spatiale internationale, où l'on a vu des astronautes russes revêtir des combinaisons ukrainiennes ?
Ils ont essayé d'envoyer un message, car la science peut être comme une sorte d'espéranto. Mais cela ne va rien changer. Ces gens à qui vous voulez envoyer un message s'en fichent. C'est ça le problème. Vous ne savez pas quoi faire pour les faire changer d'avis. Les hommes sont capables du meilleur pour sauver des vies et du pire.
La science peut-elle réunir les peuples ?
Oui, bien sûr. Parce que nous scientifiques sommes toujours à la recherche d'une solution à différents phénomènes, en les analysant et en essayant de les comprendre. En doutant, et en travaillant de manière collective.
Que faut-il faire pour améliorer la recherche en France ?
Il devrait y avoir plus de start-up dirigées par des scientifiques. Pour cela, vous avez besoin de chercheurs qui souhaitent transformer leur idée en un produit, en abandonnant une position académique sûre et en prenant un risque. Et vous avez également besoin de capital-risqueurs qui aideraient à financer ces projets inédits. Il y a des preneurs de risque ici, en Europe, mais il devrait y en avoir plus. Aux États-Unis, l'essaimage d'entreprises à partir d'universités est plus répandu, et obtenir de l'argent est plus facile. Cela dit, mon cas contredit un peu ces propos car, quand j'ai essayé de présenter mes idées aux investisseurs, ça n'a pas marché, ils n'ont pas donné d'argent… [NDLR : dans les années 1990, ses demandes de financement ont été rejetées plusieurs fois, la communauté scientifique étant plus intéressée par la recherche sur l'ADN et la thérapie génique]. Cependant, à la fin, j'ai réussi à obtenir une bourse de 1 million de dollars d'un crédit gouvernemental consacré aux petites entreprises, et cela m'a aidée à faire avancer notre projet. Donc nous avons besoin de plus de preneurs de risque. Savez-vous combien de fois j'ai été licenciée, ou écartée ? J'ai eu besoin de tous ces échecs pour me ressourcer, me recentrer et voir ce qui était important. Nous devons nous concentrer sur ce que nous pouvons faire et nous améliorer, au lieu de nous torturer en nous demandant pourquoi c'est nous qui avons été licenciés.
Savez-vous combien de fois j’ai été licenciée, ou écartée ? J’ai eu besoin de tous ces échecs pour me ressourcer, me recentrer et voir ce qui était important.
Si beaucoup ont remis en question le sujet de vos recherches, votre famille a été une source d'inspiration.
Oui, bien sûr, je suis très fière de ma fille. J'étais étudiante diplômée quand elle est née. Quatre mois plus tard, j'ai repris le travail parce que, à ce moment-là, en Hongrie, nous pouvions nous appuyer sur des services de garde d'enfants abordables. Une infirmière diplômée était présente dans cette garderie et, chaque jour, un pédiatre se rendait dans l'établissement, qui offrait également les vaccins gratuitement. J'ai vu des femmes scientifiques se poser la douloureuse question : dois-je avoir un enfant ou dois-je poursuivre ma carrière ? Je leur répondais : vous pouvez avoir les deux. N'abandonnez pas vos rêves. Vous ne pouvez pas être parfaite en tout. Pas besoin d'être la bonne à tout faire de votre famille et de trop dorloter vos enfants, car ils doivent apprendre à avoir des responsabilités. Ma fille a appris à se lever le matin, à préparer son repas pour l'école, car j'allais au laboratoire très tôt. Et vous voyez, elle n'a pas si mal tourné… [rires].
Que faut-il apprendre à nos enfants ? Les mathématiques, le code informatique, la littérature ?
Ce qui est important, c'est de proposer aux enfants le plus de choses différentes possible. Ils ont besoin d'ouvrir les yeux sur ce qu'ils aiment faire. Comme cela, ils peuvent choisir la bonne profession, celle qu'ils aiment, celle qui les passionnera. Vous passez la plus grande partie de votre vie d'adulte au travail, il est donc important que vous aimiez ça, que vous soyez très bon dans ce domaine, que ce soit votre hobby aussi et que vous ayez une vie heureuse et épanouissante. C'est tout. C'est donc ce qu'il y a de plus important pour chacun de trouver ce qu'il aime et de poursuivre une carrière dans ce domaine. Vous avez besoin d'un travail qui vous mette au défi, qui fasse ressortir le meilleur de vous-même. Un job que vous feriez même si vous n'étiez pas payé. C'est comme les gens qui courent un marathon : ils le font juste pour prouver que, s'ils se concentrent sur quelque chose, rien n'est hors de leur portée, et cela juste pour le plaisir. Si je veux le faire, je peux le faire. Et c'est de ce genre de défis dont les enfants ont besoin. Mets-toi au défi et fais-le pour le plaisir, pas parce que quelqu'un te donne de l'argent pour cela. Les enfants apprennent à se fixer des objectifs, travaillent dur pour y arriver, sont heureux lorsqu'ils ont accompli une tâche et sont prêts à relever le prochain défi.
Si vous étiez une enfant aujourd'hui, que feriez-vous ?
Lorsque j'étais à l'école primaire, j'aimais participer à différentes compétitions scientifiques, en mathématiques, en chimie, en géographie et en biologie. Je voulais gagner et je passais les week-ends à étudier pour ces épreuves. Aujourd'hui, je pense que la leçon la plus importante pour moi n'était pas de vouloir gagner, mais plutôt d'apprendre que, pour réussir, il faut consacrer son temps à se préparer à la tâche. Lorsque j'étais en quatrième, j'ai remporté un concours local de biologie et je me suis qualifiée pour la finale nationale, qui se déroulait pendant une semaine à Budapest. La capitale était à 150 kilomètres de là où nous vivions et mon père, qui était boucher, et ma mère, comptable, ne pouvaient pas se permettre de manquer le travail si longtemps, donc ils m'ont mise dans le train pour Budapest. La plupart des autres enfants sont arrivés en voiture avec leurs parents. Je me souviens clairement, encore aujourd'hui, à quel point j'étais fière de mon exploit, j'avais hâte de reprendre le train pour rentrer chez moi et dire à mes parents que j'avais terminé à la troisième place, et que la radio m'avait interviewée. Cette expérience m'a donné envie d'aller plus loin, de participer à d'autres concours de biologie et, en 1969, d'écrire à l'encre et au stylo un essai sur l'œuvre de Carl von Linné [NDLR : un naturaliste suédois du XVIIIe siècle].
Certains chercheurs comme la neuroscientifique Ghislaine Dehaene-Lambertz disent que chaque enfant est un scientifique qui veut apprendre…
Exactement. Les enfants ont besoin d'apprendre. Je me souviens que, lorsque je vivais à Kisujszallas, une petite ville de 10 000 habitants, nous avions derrière notre maison des animaux de ferme, des cochons, des poulets, des canards, et un grand jardin dans lequel nous plantions tout ce dont nous avions besoin pour manger. Un phénomène intéressant avait alors attiré mon imagination. Les plumes sur le cou des canards étaient d'une belle couleur métallique verte ou bleue. Plus tard, pendant mes études à l'université, j'ai appris que ces plumes sont grises, elles sont juste structurées de telle manière que la lumière naturelle se reflète sur elles.
Les écoles viennent de fermer pour les jeunes filles en Afghanistan…
C'est terrible. Il y a quelques années, ma fille s'est rendue en Afghanistan avec d'autres champions olympiques pour aider à remonter le moral des soldats américains… Sur le marché de Kaboul, elle a acheté des colliers fabriqués à la main par de jeunes Afghanes et leur a montré sa médaille d'or olympique de 2012. Nous pensons maintenant à elles et nous nous inquiétons tous pour ces petites filles brillantes.
L'Afrique reste un continent particulièrement peu vacciné. Faut-il y lever les brevets ?
De nombreux efforts sont déployés pour créer des centres de recherche durables sur la vaccination. Un brevet est normalement fait pour protéger une innovation, l'argent que les investisseurs risquent. Je préconise de rendre le vaccin accessible à tout le monde, mais je ne suis pas convaincue que l'accès au brevet soit un facteur limitant. Je veux que toutes les personnes reçoivent le même vaccin de haute qualité.
Ne pourrions-nous pas parallèlement faciliter la production du vaccin partout dans le monde ?
Toute usine de vaccins doit être durable. Donc, même lorsqu'il n'y a pas de pandémie, l'usine doit pouvoir produire des vaccins et s'autofinancer. Le vaccin à ARNm contient de l'ARN qui doit être enveloppé d'un mélange de différents lipides, et il faut s'assurer que la particule créée soit stable, même quand on la congèle ou quand on la décongèle. Une bonne planification est nécessaire, ainsi qu'une main-d'œuvre qualifiée formée par les plus expérimentés.
Tout le monde doit pouvoir être protégé ?
Oui, je veux que tout ceux qui souhaitent être vaccinés le soit. Malheureusement, la résistance aux vaccins est élevée en Afrique, donc il ne suffit pas de blâmer les entreprises de la big pharma.
Tout le monde devrait avoir la même qualité de vaccin.
Pourrions-nous comparer le droit d'être vacciné à un droit de l'homme ?
Oui, c'est le cas. Nous sommes tous égaux devant le virus. Peut-être que, à l'avenir, nous pourrons nous appuyer sur un seul type de production. Ce serait très efficace, et produit localement, à la demande. En revanche, il est important que la qualité soit la même partout. Tout le monde devrait avoir la même qualité de vaccin.
Pensez-vous que vous allez décrocher le prix Nobel de médecine ou de chimie ?
Ma mère, qui est décédée il y a trois ans, écoutait chaque année au mois d'octobre les informations pour savoir qui recevait le prix Nobel. Elle me disait souvent que je pourrais être récompensée. Cela me faisait rire, car je lui expliquais que je ne pouvais même pas obtenir une bourse, alors qu'il y avait beaucoup de scientifiques importants, de professeurs dans le monde entier qui en obtenaient. Cependant, elle est restée optimiste, me disant que je pourrais l'obtenir parce que je travaillais très dur. Je lui ai expliqué que tous les scientifiques travaillent dur !
Repères
1955 Naissance de Katalin Kariko à Szolnok, en Hongrie, où son père exerce le métier de boucher.
1985 La biochimiste quitte la Hongrie avec son mari et sa fille de 2 ans. Elle rejoint l'université Temple, à Philadelphie, puis l'université de Pennsylvanie, où elle devient professeure en 1990.
1995 Katalin Kariko est écartée de la liste des titularisations et rétrogradée au rang de simple chercheuse.
1998 Rencontre avec le médecin immunologiste Drew Weissman, avec lequel elle publiera en 2005 un article remarqué sur le potentiel de l'ARN messager.
2008 Sa fille, Zsuzsanna Francia, devient médaillée d'or en aviron aux JO de Pékin, un exploit qu'elle réitère en 2012, aux JO de Londres.
2013 Elle intègre la start-up allemande BioNTech, dont elle est aujourd'hui vice-présidente, et qui s'est associée à Pfizer pour mettre au point des vaccins.
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