Gwanelle a écrit : 25 mars 2024, 17:42Je me suis toujours dit que Bell appliquait des règles probabilistes qui sont "mathématiquement vraies" (indépendamment de suppositions physiques).
ABC a écrit : 25 mars 2024, 21:01En fait,
ce n'est pas le cas pas seulement, pour 2 raisons. On va commencer par la première : La supposition d'absence d'intrication quantique, implicitement admise par Bell, se traduit par l'hypothèse additionnelle suivante :
D'une part : P( A | B a b λ ) = P( A | a λ ) (1) et d'autre part : P( B | A a b λ ) = P( B | b λ ) (2)
L'hypothèse extrêmement tentante, modélisée par les équations (1) et (2) ci-dessus, exprime l'idée de Bell selon laquelle il doit sûrement exister une caratérisation suffisamment complète de l'état physique (a) du couple AB pour pouvoir
séparer en 2 parties bien distinctes et
locales (l'une en A, l'autre en B) la caractérisation de l'état physique du couple AB. Une telle hypothèse implique l'impossibilité des corrélations quantiques prédites pour les paires de spin 1/2 intriqués considérées par Bell.
Gwanelle a écrit : 26 mars 2024, 08:00Je coince toujours. Je ne vois pas où (même pas implicitement) Bell suppose l'absence d'intrication quantique (il aurait tort de supposer cela d'ailleurs).
Et, effectivement, la vérification expérimentale par
Alain Aspect de la violation des
inégalités de Bell a prouvé que Bell avait tort. Toutefois, au moment où Bell a établi ses inégalités, son idée, mettant en doute l'intrication quantique, était intéressante et parfaitement défendable. Bell a montré que l'intrication quantique viole ses inégalités, un viol demandant de supposer :
- [H1] soit que la localité ést violée (interaction instantanée à distance)
- [H2] soit que le changement d'état du couple AB lors d'une mesure quantique en A n'est pas un changement d'état physique objectif de ce couple mais un changement de l'information localement détenue par Alice (b).
[H2] est l'hypothèse positiviste selon laquelle ce changement d'état est, grâce à l'information additionnelle acquise
localement par Alice (par exemple), seulement un changement du
modèle d'inférence (c) d'Alice concernant les statistiques relatives aux mesures réalisables par Bob.
Grâce à l'intrication quantique, le remplacement des probabilités P(B|b) par les probabilités conditionnelles P( B | b A a) connaissant les résultats d'Alice est plus performant que ce qui pourrait être obtenu avec les probabilités conditionnelles découlant de corrélations entre A et B les plus fortes possibles en physique classique.
D'une façon générale, la quantité d'information maximale pouvant être contenue dans la corrélation entre A et B respecte un bilan entropique (un manque d'information de l'observateur). En physique classique, en termes d'information, quel que soit le degré de corrélation entre état de A et état de B (par exemple, état de A = état de B), l'inégalité entropique ci-dessous doit être respectée :
Scl(AB) > max(Scl(A), Scl(B)) cf.
A short introduction to the quantum formalisms § 5.2.1 Entropic inequalities
Autrement dit, en physique classique, le manque d'information sur l'état du couple AB ne peut être inférieur :
- ni au manque d'information sur l'état du système et de l'appareil de mesure du côté A
- ni au manque d'information sur l'état du système et de l'appareil de mesure du côté B.
C'est une conséquence du fait qu'un état superposé A1 B1 + A2 B2 du couple AB n'existe pas en physique classique. Seul est possible, classiquement, d'avoir un état non superposé A1 B1
ou A2 B2 (le chat mort
ou le chat vivant).
Au contraire, en physique quantique, grâce au phénomène d'intrication quantique, on a l'inégalité entropique moins contraignante :
Svn(AB) > |Svn(A) - Svn(B)| (d)
Dans un état d'intrication pure entre A et B on a Svn(AB) = 0. L'information sur le couple AB est alors totalement contenue dans les corrélations entre les statistiques des résultats de mesure en A et en B. L'entropie (le manque d'information) sur le couple AB peut être minimale (S(AB) = 0) sans que, pour autant, l'on sache dire quoi que ce soit :
- sur les résultats de mesure de spin en A
(résultats conformes aux statistiques d'un tirage à pile ou face parfait quel que soit l'orientation du Stern et Gerlach d'Alice)
- sur les résultats de mesure de spin en B
(résultats conformes aux statistiques d'un tirage à pile ou face parfait quel que soit l'orientation du Stern et Gerlach de Bob)
Cette très choquante propriété d'intrication quantique s'est, en fait, avérée gagnante face à l'hypothèse locale ET réaliste de Bell.
Gwanelle a écrit : 25 mars 2024, 17:42Selon moi, pour produire (1) et (2) Bell n'a pas besoin de supposer d'absence d'intrication quantique, il me semble qu'il lui suffit de supposer que A et B ne peuvent pas savoir qu'il y a intrication quantique (compte tenu des information qu'ils détiennent pendant leurs mesures).
S'ils n'avaient pas moyen de savoir (après communication de leurs résultats respectifs, par un canal d'échange d'informations classiques) quelle est la corrélation entre mesures en A et mesures en B (et encore moins connaissance de la variable cachée λ), on aurait alors :
P( A| B a b λ ) = P( A| a ) ; P( B| A a b λ ) = P( B| b ) et, la probabilité conjointe de A et B s'écrirait :
P( A B | a b λ ) = P( A | a ) P( B | b ), bref, une absence totale de corrélation.
Bell suppose que l'ajout d'une variable cachée locale λ suffit pour que des caractérisations statistiques locales et séparées en A et en B puissent contenir la totalité de l'information statistiquement extrayable du couple AB. Certes, grâce à la variable cachée locale λ, une forte corrélation peut-être atteinte. Toutefois, le degré de corrélation ne peut dépasser celui saturant les inégalités de Bell. Ce degré de corrélation est
insuffisant pour modéliser les corrélations plus fortes d''intrication quantique. La plus forte corrélation pouvant être obtenue par intrication quantique se traduit par la violation des inégalités de Bell.
Gwanelle a écrit : 25 mars 2024, 17:42Tu me disais justement toi même que les probabilité bayésiennes expriment la plausibilité de cet évènement
compte tenu de l'information détenue par l'observateur
Oui. Elles sont compatibles avec l'intrication quantique mais n'apportent pas de contrainte additionnelle requise pour caractériser plus complètement cette corrélation et pour interdire des violations de localité. L'hypothèse de Bell est une condition suffisante mais plus contraignante que ne l'imposent les lois de la physique. Toutefois, à l'inverse, la probabilité conditionnelle selon la formule de Bayes est une condition nécessaire, mais pas une condition suffisante : la formule de Bayes sur les probabilités conditionnelles n'incorpore pas le principe de causalité relativiste (la formule de Bayes autorise plus de liberté que ce que les lois de la physique ne le permettent).
Gwanelle a écrit : 25 mars 2024, 17:42Merci de ta patience. Je suis consciente que ce n'est pas facile à expliquer.
Tes questions sont difficiles. Elles me contraignent à faire un effort important pour apporter des réponses que j'essaie de rendre les plus claires possibles...
...ce faisant, je gagne moi-même en compréhension de la réponse aux questions que tu poses et en compréhension de ces questions elles-mêmes. Ces questions peuvent être aussi difficiles à poser qu'il est difficile d'y répondre. Parfois (souvent en fait), un lien intéressant est fourni par celui qui pose une question. Parfois, une recherche par mots clés dans le but de répondre avec précision (et sans erreur) me fait connaître un article intéressant dont j'ignorais l'existence. 40% environ de ce que j'ai appris et (à peu près) compris en physique (après mes études), je l'ai obtenu de cette façon.
(a) Où état =
outil d'inférence statistique des réponses du couple AB face à des interactions futures (et non description physique objective de la réalité).
(b) L'information supplémentaire acquise par Alice lors de sa mesure du spin A de son spin 1/2 modifie les probabilités conditionnelles relatives à ce qui se passe du côté de Bob. Les statistiques P(B|b) peuvent alors être remplacées par les statistiques conditionnelles plus précises P( B | b A a ) inférables suite à la nouvelle information acquise par Alice. En cas d'intrication quantique, cette amélioration des nouvelles prédictions est plus forte que l'amélioration de ces mêmes prédictions P( B | b A a) si la corrélation entre A et B n'est qu'une corrélation classique.
(c) Pour ma part, j'ai longtemps adhéré à l'interprétation réaliste de l'état quantique...
...sans même réaliser qu'il s'agissait là d'une hypothèse tant cette hypothèse me semblait présenter un caractère d'évidence indiscutable (Bricmont ou Aspect, par exemple, partagent un point de vue réaliste désormais minoritaire). Nos croyances/convictions fortes ont la vie très dure face à un faisceau d'indices concordants les fragilisant (et même face à des faits d'observation répétables). Pire, elles ont une remarquable aptitude à se cacher à nos propres yeux (c'est particulièrement marqué dans le domaine des convictions à caractère socio-culturel).
(d) Où Svn = trace(rhô ln(rhô)) désigne l'entropie dite de von Neumann d'un état quantique rhô. Dans la formulation algébrique de la physique quantique (reposant sur des C*algèbres ou des W*algèbres unitaires d'observables), l'état d'un système est représenté par un opérateur linéaire positif de trace 1 dit opérateur densité. Cet état modélise les connaissances détenues par un observateur sur le système observé. Quand l'observateur détient la quantité d'information maximale possible sur ce système, l'état rhô est appelé état pur. C'est alors un projecteur orthogonal de rang 1. cf.
A short introduction to the quantum formalisms § 5.2.1 Entropic inequalities.