Astaldo a écrit :Il y a bien entendu la part d'antisémitisme et de fanatiques du complot sioniste. C'est probablement même la plus grosse part, puisque le négationnisme s'accompagne automatiquement d'une attaque envers les juifs (qui se retrouveraient donc auteurs d'un complot mondial)
Astaldo a écrit :La présence d'un négationnisme soutenu est peut-être le reflet de la très grande présence médiatique de la Shoah.
Il me semble que vous faites une confusion : l’antisémitisme n’est pas une conséquence du négationnisme, c’est l’inverse. Le négationnisme n’est pas accompagné par une attaque contre les juifs : il est la première flèche lancée contre eux dans le contexte de l’après seconde guerre mondiale en occident. Car nier la Shoa, c’est ressusciter le thème du complot juif mondial lancé par le fameux faux « Les Protocoles des sages de Sion ». En effet, quel est le problème des antisémites après la seconde guerre mondiale ? S’ils acceptent la Shoa, cela veut dire que le fameux peuple élu, adepte du complot, qui tire les ficelles des affaires du monde dans les coulisses, a bien failli être anéanti par les Nazis, sans même que l’on ait aperçu le début d’une forme de résistance organisée des communautés juives d’Europe. Cela fait désordre pour les antisémites qui prétendent lutter contre un peuple aussi petit qu’il est puissant et organisé. C’est pourquoi il est pour les négationnistes nécessaire de nier l’événement, qui plus est en intégrant « l’invention » de la Shoa au complot, ce qui fait coup double... Le négationnisme est donc avant tout une tentative de réhabilitation de l’antisémitisme et il vise à la faire rentrer à nouveau dans le jeu politique.
Astaldo a écrit :Mais j'émets l'hypothèse qu'il y a aussi une réaction de balancier au fait que ces peut-être trop souvent la référence. Après tout il y a eu plus de victimes russes, et bien d'autres génocides de grande échelle.
Génocide et massacre ne peuvent être confondus : le premier est un terme juridique précis, inventé pour juger les crimes des nazis envers les juifs et les tziganes. Il vise à qualifier l’intention d’anéantir entièrement un peuple en tant que tel, pour ce qu’il est. Les Nazis avaient aussi l’intention d’asservir et d’abaisser, sans nécessairement les anéantir, les peuples voisins de l’Allemagne, notamment, les Polonais, les Russes, Biélorusses et Ukrainiens. Dans ce cas on peut parler, sous conditions, de « crimes contre l’humanité », une notion juridique également inventée après le conflit mais différente du génocide. Autant la liste des massacres est sans fin depuis le commencement de l’histoire, autant la notion de « génocide » est une nouvelle référence après 1945. Plusieurs cas dans le passé peuvent être discutés, mais ils n’avaient pas entraîné de prise de conscience aussi forte. A titre d’exemple, le génocide arménien a été ainsi qualifié, par définition, seulement après la seconde guerre mondiale. C’est seulement depuis la Shoa que le massacre de masse des Arméniens, initié par le gouvernement turc en 1915, a été entrevu comme une tentative de génocide. Vous remarquerez aussi que personne ne remet en cause l'ampleur des pertes russes (entre 20 et 30 millions de morts). Le négationnisme se cantonne au seul problème des juifs et ne se pose par ailleurs même pas la question concernant les tziganes qui étaient aussi la cible des Nazis dans la "solution finale".
Astaldo a écrit :On parle tout de même de quelque 60 millions de victimes au total pour la seconde guerre mondiale... Or, personne ne se sent obligé de donner le nombre d'alliés, d'Allemands ou de Russes morts durant ce conflit, mais un résumé dépourvu de la référence au 5-6M de Juifs décédés est pratiquement impensable !
Effectivement, on ne peut parler complètement de la seconde guerre mondiale sans évoquer l’extermination des juifs par les Nazis. C’est un nouveau « marqueur » historique et moral, significatif d’un changement d’époque. A événement perçu comme inédit, impact inédit. La première guerre mondiale avait marqué les esprits par le rythme et l’intensité inédits des pertes militaires sur les champs de bataille. Pour la France, par exemple, le nombre de tués et disparus entre 1914 et 1918 est équivalent aux pertes subies entre 1792 et 1815 (entre 1,2 et 1,3 millions de morts). Les guerres révolutionnaires et de l’Empire Français (y compris les pertes induites par la guerre civile en Vendée) étaient, avant 1914, la « référence » en matière de boucherie sur les champs de bataille. A contrario, personne n’a été surpris de l’ampleur des pertes et destructions en 1945 car la guerre de 1914-1918 laissait entrevoir cette possibilité, « grâce » aux progrès de l’industrie, etc... Quel événement reste donc isolé au sein de la seconde guerre mondiale ? La tentative d’extermination des Juifs d’Europe (et des tziganes) par les Nazis.
Astaldo a écrit :Autre aspect : c'est un sujet tabou... Et personne n'aime se faire dire qu'il n'a pas le droit de remettre quelque chose en question. Si j'ai envie de remettre en question l'existence historique de Platon, des croisades, du voyage sur la lune en 69, de l'existence de Einstein, personne ne considérera que c'est un crime ! Juste ça c'est peut-être assez pour motiver certains, les fanatiques de la liberté d'expression sans limite, même si cela implique de tenir des propos haineux / antisémites.
C’est sans doute la question la plus délicate, relativement au négationnisme, puisqu’elle pose le problème des limites de la liberté d’expression. Celle-ci est elle un absolu ou faut-il la relativiser ? C’est peut-être sous l’angle moral qu’il faut aborder cette question. Le fait de mettre en doute l’alunissage d’Apollo en 1969 ne menace pas l’existence d’un peuple, ni même son bien-être. Par contre, mettre en doute la réalité de la Shoa ne pose pas seulement la question de savoir si on a le droit de discuter la réalité d’un fait historique. Il s’agit, comme j’ai tenté de le démontrer plus haut, de savoir si notre société peut tolérer que soit utilisé un prétexte fallacieux pour réhabiliter une idéologie meurtrière, dans le but de menacer impunément une communauté. Quelques exemples peuvent être éclairants : au nom de la liberté d’expression, les groupuscules nazis sont tolérés aux Etats-Unis. Leur existence n’a jamais remis en cause (à ma connaissance) la démocratie dans ce pays. En Allemagne, ces partis ou groupuscules sont interdits : l’expérience a prouvé qu’ils pouvaient être une menace pour la démocratie en Allemagne. Pour autant, la qualité « démocratique » de l’Allemagne Fédérale n’est pas davantage remise en cause que celle des USA. Dans la pratique, on voit donc que le principe fondamental pour la démocratie qu’est la liberté d’expression peut être limité pour garantir… la démocratie et la liberté. Cela donne de quoi nourrir quelques débats, de même nature que les lois d’exception concernant le terrorisme par exemple. Mon opinion personnelle est que tout est une question de mesure : est liberticide ce qui est excessif. Autant il est louable de douter d’un fait avancé et mal établi, autant il peut être condamnable de douter d’un fait indubitable, si cela peut avoir pour conséquences la guerre, le racisme etc… Contrairement à ce que certains semblent penser, l’histoire est une science (on dit « science historique ») et non pas de l’art ou de la littérature. Ce n’est pas une science « dure » mais elle développe des outils méthodologiques aussi exigeants que pour n’importe quelle science. S’en affranchir comporte quelques risques, ce qui est valable pour toute science.