Salut,
J-F a écrit :Je ne sais pas. C'est l'hypothèse la plus plausible, et celle que je privilégie. Mais si les changements génétiques concernent le développement du cerveau - avec des répercussions sur les capacités cognitives -, cela ne laissera pas forcément de traces anatomiques. J'en doute mais c'est une hypothèse qui pourrait peut-être être vérifiée (par l'étude de l'ADN de mommies, par exemple).
On est d'accord, mais j'ai moins de doutes que toi : je pense que la population d'homo sapiens était déjà trop importante il y a 12 000 ans pour qu'une mutation significative ait pu se transmettre à toute la population. Je dois être trop "gouldien" peut-être, mais le dernier "équilibre ponctué" pour notre espèce était il y a environ 150 000 ans, et çà s'est produit comme toujours sur une population réduite.
Depuis j'imagine plutôt une stagnation, même au niveau du pool génétique. En tout cas pour ce qui concerne le cerveau et ses capacités. Les hommes ont vécu quelques modifications mineures (la couleur de peau par exemple, selon les zones géographiques), mais ils ont tous les mêmes capacités intellectuelles "supérieures" aux animaux (suicide, "conscience", etc.).
Donc on peut supposer que la nature de l'homme est devenu ce qu'elle est au tout début de l'apparition de l'espèce.
Pour revenir au sujet maintenant, voyons la position que je critiquais.
Voici un très beau schéma, réalisé par un professionnel (Antoine, 6 ans).
En blanc, ce qu'on appelle la "nature humaine", et en bleu ce qu'on appelle la "nature animale".
On ne peut pas faire mieux comme dichotomie, et comme son nom l'indique, les deux entités sont bien distinctement présentées. Ici, on est par exemple dans le cas des représentations religieuses de la nature de l'homme (le seul à avoir une âme immortelle, donc une nature radicalement différente).
Effectivement, il me semble aussi que le terme de dichotomie est assez malheureux dans l'article, et un gars comme Cyrille Barrette ne peut pas avoir cette vision (à moins qu'il ne soit devenu pasteur entre deux conférences sceptiques

). En plus, il ne s'exprimait pas lors d'une conférence, mais dans une interview donc le terme n'était sans doute pas adapté, rien de plus.
Maintenant, Antoine reprend ses crayons et voici ma position :
Pour moi, la nature humaine est une nature animale, par définition (puisque l'homme est un animal). De plus, rien dans son comportement ou son mode de vie ne me fait penser que l'homme aurait vraiment dépassé le cadre de l'animalité. Je le crois encore pleinement guidé par ses instincts, bien que je lui concède une capacité de conceptualisation bien supérieure à tous les autres animaux. Comme je reconnais à l'éléphant une trompe plus grande, ou au tigre ses griffes puissantes.
Tennyson : In Memoriam (56 fragment) 1850 a écrit :
... [ Man ] trusted God was love indeed
And love Creation's final law--
Tho' Nature, red in tooth and claw
With ravine, shriek'd against his creed--
Maintenant, la position que tu sembles défendre, et qui en toute vraisemblance est celle de Barrette aussi :
En rouge, c'est la zone dont tu parles où il "transcende ses instincts".
Avant tout, il me semble mal-approprié de dire que la nature humaine se limite à la zone rouge, donc de dire que la nature humaine se limiterait à ce qui le différencie des autres animaux. Ce serait refuser d'admettre une base animale de l'homme, pourtant incontestable. En tout cas, s'y limiter ne reflèterait pas la totalité de ce qu'est l'homme.
Ensuite, au même titre que l'idée religieuse d'une "âme humaine", il me semble que si on doit envisager vraiment l'existence d'une zone rouge externe à l'animalité, il faut bien la faire reposer que quelque chose de concret. Non pas que l'âme soit quelque chose de concret, mais au moins la religion base sa différence sur un concept relativement bien défini (un truc surnaturel, détaché~détachable du corps, et qui lui survit après la mort).
Et c'est là où à mon avis l'idée de cette zone rouge pose un problème, c'est que du point de vue biologique elle ne repose sur rien de concret, tout comme l'âme d'ailleurs. A-t-on mis en évidence un gêne du suicide ? Une hormone du célibat ? Ou dans le cerveau humain, des zones ultra-spécifiques à l'homme, au point de n'être pas animales ? A ma connaissance, non.
Pour tenter une comparaison un peu foireuse mais explicite, je dirais que le cerveau de notre ancêtre commun avec le chimpanzé serait un peu comme un vieux
Spectrum ZX80, alors que le cerveau humain serait plutôt comme un
PC moderne. Si on compare les deux, bien sûr seul le PC moderne pourra lire des DivX, faire des animations 3D, diffuser de la musique etc. Mais la nature même de l'ordinateur, dans le fond, c'est la même : c'est d'interpréter séquentiellement des bits en binaire, des suites de 0 et de 1. Une question de degré, et non de genre.
Je reconnais que dans mon schéma, il manque cette zone rouge, là où dans son comportement l'homme se distingue des autres animaux. Mais pour moi, elle est incluse dans la zone blanche, comme la zone blanche est incluse dans la zone bleue. Exactement comme toutes les autres espèces ont quelque chose en particulier, qui les distingue des autres - mais sans que pour autant, on les exclue du groupe des animaux.
Enfin, et c'est là le point central qui fonde ma critique, l'homme a toujours eu cette tendance à se séparer du groupe des animaux, et il s'est toujours planté. La définition même de l'animal est problématique et reflète cette erreur, puisque dans son acception stricte et classique, il s'agit de "tous les animaux sauf l'homme".
Comme le pensait Sigmund Freud, l'homme se voyait au centre de l'univers et Copernic l'a planté. L'homme se voyait au-dessus des autres animaux, et Darwin l'a planté. Puis l'homme se croyait posséder une liberté critique infinie, et Freud l'a planté.
A chaque fois que l'homme a voulu se considérer différent des autres animaux, à chaque fois qu'il a théorisé une différence de nature, à chaque fois c'était de l'anthropocentrisme et toujours il s'est trompé.
(
http://www.alsapresse.com/dossiers_classes/livres/)
Ils sont trois. Trois à avoir fait descendre l'homme de son piédestal. Copernic (1473-1543) nous a appris que la Terre, loin d'être au centre de l'univers, n'en est qu'un des éléments. Darwin (1809-1889), ensuite, soulignera qu'à l'instar des animaux l'être humain ne se succède pas à lui-même par essence divine… mais par le biais d'une sélection naturelle féroce et implacable. Et Freud, enfin, va relativiser l'arrogance de l'homme à se penser comme infiniment doué de raison… en posant l'hypothèse de l'existence de l'inconscient, cette entité souterraine qui nous gouvernerait bien davantage que notre conscience éclairée.
A mon sens, cette zone rouge ne repose sur rien de concret à part des observations comportementales marginales, qui sont tout-à-fait explicables autrement que par une différence de genre (donc tout simplement par une intelligence plus fine)... cette zone rouge, cette supériorité humaine qu'on nous impose par décret (surtout dans la religion bien sûr), c'est juste un doigt anthropocentrique de plus dans notre œil vaniteux.
Et cette tendance à toujours nous croire supérieurs aux autres animaux, elle s'explique aussi par des instincts très animaux (préférence à son groupe d'appartenance, au détriment des autres groupes ou autres espèces) : c'est probablement rassurant quelque part de se croire un peu différent des autres animaux, de se croire supérieur, mais concrètement on est pas près de déterminer la réalité scientifique tangible sur laquelle se base cette "zone rouge".
Bien sûr, il y a des faits intrigants : le suicide, le célibat, etc. Mais ce ne sont que des comportements marginaux au sein de l'espèce, qui sont seulement le reflet de l'intelligence de l'homme et même si on les considère tous en cumulé (alors que le rapport entre tous ces phénomènes est dur à mettre en évidence) ils n'isolent pas sa nature profonde du reste des animaux.
Ce serait comme de dire : "Si on veut étudier la nature de l'homme, on regarde tous les détails qui font qu'il est différent des autres animaux. On constate des différences, donc sa nature est différente." On pourrait faire exactement la même chose pour le hibou ou l'huître, et on arriverait à la même conclusion qu'ils sont hors du groupe, par raisonnement circulaire.
Hallucigenia