Chanur a écrit : 02 déc. 2014, 12:02
Nicolas78 a écrit :Si je comprend bien, il prend en exemple l'observation c'est ça ? Pas la conscience ?
Et si je comprends bien, vous n'avez pas lu l'article de Wiki sur la décohérence. Ce n'est pas l'observation qui compte. C'est l’interaction avec un milieu ayant une myriade de degrés de liberté. Que ce soit un humain, un dinosaure ou une feuille de papier photo.
La question posée est difficile. Elle n'a pas encore de réponse unanimement acceptée dans la communauté des physiciens spécialistes du domaine. En fait, le problème de la mesure quantique est (entre autres difficultés) indissociablement lié au problème de l'écoulement irréversible du temps, c'est à dire à la perte d'information que modélise la création d'entropie caractérisant la notion de phénomène irréversible (évolution irréversible dont la mesure quantique est un exemple emblématique).
La décohérence (cf. les
travaux théoriques de Zurek et les
expériences d'électrodynamique quantique en cavité microonde supraconductrice menées par Serge Haroche et ses doctorants) permet, certes, de prédire l'impossibilité d'observer les phénomènes d'interférence caractérisant la mesure d'une observable quand le système est dans un état propre d'une observable conjuguée. Un exemple typique et bien connu est celui, par exemple des interférences produites dans
les expériences de fentes de Young, à photons uniques, comme ceux mis en évidence par les
travaux de recherches menés de 83 à 85 par Alain Aspect et Philippe Grangier.
Le phénomène de décohérence ne rend pas compte de l'observation d'un résultat de mesure unique en violation de l'unitarité (donc aussi du déterminisme et de la réversibilité) des évolutions quantiques.
En effet, fondamentalement, la décohérence est sensée être déterministe et réversible (cf.
Reversing the Weak Quantum Measurement for a Photonic Qubit Yong-Su Kim, Young-Wook Cho, Young-Sik Ra, Yoon-Ho Kim, Mars 2009, ainsi que
Experimental demonstration of decoherence suppression via quantum measurement reversal, Jong-Chan Lee, Youn-Chang Jeong, Yong-Su Kim, Yoon-Ho Kim, Sept 2011).
Du point de vue de la théorie quantique actuellement en vigueur,
à l'issue de la mesure quantique, le caractère superposé des résultats de mesures n'a pas disparu. Il est devenu inobservable. Dans ce modèle théorique, l'observateur lui-même se retrouve dans un état quantique superposé et, évidemment, il ne peut pas s'en rendre compte car il n'a pas d'accès à l'observation de ce phénomène, si tant est que cet état superposé de l'observateur ait une signification physique intrinsèque. Il s'agit là d'une conséquence (douteuse) de l'interprétation réaliste de la fonction d'onde vue comme propriété objective d'un système physique.
En effet, si on accorde une réalité physique objective à la fonction d'onde, l'observateur se trouve dans alors un état quantique superposé (c'est l'interprétation dite des mondes multiples d'Everett) à l'issue (par exemple) de sa mesure (à l'aide d'un Stern et Gerlach) du spin horizontal d'un atome d'argent initialement préparé dans un état de spin vertical.
Si on interprète au contraire (c'est le point de vue à ce jour majoritaire parmi les physiciens spécialistes du domaine) la fonction d'onde comme la connaissance maximale
propre à un observateur des prédictions pouvant être faites concernant les résultats de mesures physiques relatives au système considéré par l'observateur en question, alors, la fonction d'onde en question n'a pas obligatoirement de signification physique
intrinsèque. Pour que cette fonction d'onde ait une signification physique, on a besoin d'un observateur en mesure de l'observer (pas sûr donc, en particulier, que la notion d'état quantique de l'univers, base de la cosmologie quantique, puisse se voir attribuer une signification autre que purement mathématique).
Pour les positivistes, la fonction d'onde (l'état quantique pour ceux qui préfèrent ce vocable plus général) c'est la
connaissance maximale que peut avoir un observateur particulier d'un système donné avec lequel il est en interaction. Dans cette interprétation, la fonction d'onde n'est pas la propriété intrinsèque d'un objet physique mais elle caractérise au contraire l'
information maximalement accessible
à un observateur donné relativement à l'
interaction entre cet objet et cet observateur (cf.
Quantum Information and Relativity Theory, Asher Peres, Daniel R. Terno)
LePsychoSophe a écrit : 28 févr. 2018, 18:46Car si je comprends bien, ce n'est pas l'observation mais l'interaction...
Le problème, c'est que la science est basée sur l'expérience, c'est à dire sur l'observation. La science se refuse à s'exprimer sur ce qu'elle ne sait pas observer, ou plutôt, sur ce qu'elle pense ou craint de ne pas être en mesure d'observer.
La science a besoin, pour se prononcer sur telle ou telle conclusion, de se référer à des expériences donnant lieu à des résultats d'
observation présentant des régularités reproductibles, indépendamment de celui qui réalise l'observation, ainsi que du moment, du lieu et du référentiel où il les fait (à condition, bien sûr, que les conditions expérimentales soient rigoureusement "les mêmes" au sens que les symétries relativistes donnent à ce mot "mêmes").
On ne peut pas parler de quoi que ce soit en physique, que ce soit d'objets, de phénomènes, d'interactions ou de quoi que soit d'autre si on ne sait pas relier cet objet, ce phénomène physique, cette interaction à une expérience permettant des
observations reproductibles.
Les réalistes (les De Boglie, Schrödinger, Einstein, Bohm, Bell, Bricmont et peut-être même Zurek, Laloë, Auffèves Garnier et Grangier ...) estiment que les objets
et leurs propriétés existent indépendamment de l'observateur et de l'acte d'observation (avec une nuance pour Auffèves et Garnier qui, si je les ai bien compris, lient le résultat de mesure au couple observateur-appareil de mesure et non au seul objet lui-même), c'est à dire indépendamment de l'
information recueillie à cette occasion.
Pour les réalistes l'observateur
recueille une information
qui existe déjà, avant même cette observation. D'autre part, les réalistes visent à interpréter la "réduction du paquet d'onde" comme un phénomène physique objectif, indépendant de l'observateur et de l'acte d'observation. Un exemple typique de théorie compatible avec cette interprétation réaliste de la "réduction du paquet d'onde" (le dit collapse) est
la théorie dite GRW de Ghirardi, Rimini et Weber.
A l'inverse, un Peres ou un Fuchs au contraire, nous répètent à l'envi "unperformed experiments have no outcomes"; En Français : "des expériences non réalisées n'ont pas de résultats, soit, dit encore autrement, le résultat d'une mesure quantique (la mesure d'une propriété que, dans une vision au contraire classique, type fin dix neuvième, nous avons tendance à interpréter comme "objective") ne préexiste pas à la mesure.
Les positivistes se refusent à parler de "réalité" car la science (estiment-ils, il n'y a pas encore unanimité) ne sait parler que d'observation et pas de "réalité". Le concept de "réalité", les positiviste le classent dans la catégorie "concept métaphysique". Pour ma part personnelle, j'ai refusé à me rallier à ce point de vue pendant de très nombreuses années mais, petit à petit, j'en viens à penser que les positivistes ont peut-être raison, encore que Jaynes (cf.
CLEARING UP MYSTERIES THE ORIGINAL GOAL) propose une position intermédiaire que je trouve très intéressante.
Les positiviste (les Peres, Legett, Gell-Mann, Rovelli, Bitbol, Grinbaum, Fuchs et compagnie... grosso-modo classables dans la catégorie des Bohr, Heisenberg, Bohr, Pauli et compagnie...) estiment avoir résolu le problème de la mesure quantique en disant que la seule chose sur laquelle la science soit en mesure de s'exprimer, c'est l'information,
la connaissance acquise par un observateur. Quand on leur demande. Voui, mais si vous ne savez parler que d'observation et pas, intrinsèquement, d'objets et phénomènes physiques objectifs indépendants de l'observateur,
cette information, elle a trait à quoi ?
Sans la moindre gêne, la réponse d'un Fuchs, l'un des principaux tenants du
Quantum Bayesianism (qu'il rebaptisé Quantum Betabilitarianism = c'est à dire l'aptitude à faire des paris) est la suivante :
l'état quantique (notre meilleure représentation des "objets" étudiés par la physique) est un outil d'optimisation des meilleures prédictions que l'on puisse faire à partir d'une information incomplète détenue par un observateur, autrement dit
un outil d'inférence statistique.
De ce point de vue là, il y a accord du point de vue d'un Fuchs avec le point de vue de Jaynes, mais Jaynes, lui, ne nie pas la pertinence scientifique du concept d'ontologie. Comme un Schrödinger, un Einstein, un Bohm ou un Bell, il considère, contrairement à un Bohr, à un Heisenberg ou à un Fuchs, que l'objectif de la science est bien de décrire "la réalité". Il a d'ailleurs à ce sujet, des arguments intéressants.
Bon... avec les positivistes, on navigue dans le domaine de l'information, de la connaissance et de la prédiction... bref, des seules observations. En même temps, il faut dire qu'il n'est pas facile de leur donner tort si l'on s'en tient stricto sensu à la méthode du rasoir d'Occam (encore que je me méfie un peu de cet outil méthodologique, certes très utile et très efficace, mais parfois un peu trop tranchant).
En particulier, selon le point de vue positiviste, dans le cas de l'effet EPRB (portant sur des paires de photons de Polarisation EPR corrélée), quand Alice fait une mesure de polarisation de son photon,
le photon de Bob ne change pas d'état.
Seule change d'état la connaissance acquise par Alice sur le photon de Bob lors de sa mesure.
Le point de vue réaliste au contraire (point de vue auquel j'ai très longtemps accordé ma préférence) attribue une réalité physique objective à la fonction d'onde et à la réduction du paquet d'onde lors de la mesure. Il se traduit donc,
Cette violation de causalité est d'ailleurs le point de vue très intéressant et
bien défendu par Vaidman notamment (bien que je ne sois pas encore totalement convaincu par l'interprétation réaliste du résultat de mesure faible dont découle l'interprétation rétrocausale des mesures fortes sur des mesures faibles antérieures) ainsi que par les Aharonov, Bergmann, Lebowitz, Albert, Vaidman, Tollaksen, Rohrlic, Bamber, Hosten, Kwait, Steinberg, Elitzur et un bon groupe de physiciens se rangeant à l'interprétation rétrocausale de la symétrie T de la mesure quantique (1)
notamment celle se manifestant entre mesures faibles et mesures fortes.
J'ai pris soin, dans tout ce qui précède, d'éviter soigneusement le concept de conscience. Utiliser ce concept rajoute, à mon sens, une difficulté très importante à la discussion. Je ne prétends pas que le concept de conscience n'ait pas de sens ou soit sans intérêt, mais à quoi bon essayer de s'attaquer à l'Everest si on a déjà du mal à grimper en haut de la sainte Victoire par manque de souffle.
On peut, sans aborder le concept très difficile de conscience, avoir déjà beaucoup de grain à moudre en se contentant, plus modestement, de s'intéresser au concept d'information quantique déjà très très largement assez difficile pour que l'on puisse préférer s'y cantonner.
(1) et de la symétrie CPT quand la symétrie T n'est pas respectée, ce qui est le cas pour les interaction faibles. Cf.
Time-Reversal Violation Is Not the "Arrow of Time" Sean Caroll, 2012