Gwanelle a écrit : 07 mars 2024, 11:07Ce dont Jaynes tient compte, c'est de quoi le vecteur d'état est objectivement la représentation.
Bien comprendre le point de vue de Jaynes demande de bien comprendre les motivations qui ont guidé ses recherches, cf.
PROBABILITY IN QUANTUM THEORY § PROBABILITY THEORY AS THE LOGIC OF SCIENCE (1)
What are the theoretically valid, and pragmatically useful, ways of applying probability theory in science?
- Is probability theory a "physical" theory of phenomena governed by "chance" or "randomness"; or is it an extension of logic, showing how to reason in situations of incomplete information?
- Are probabilities rules for calculating frequencies of "random variables", or rules for conducting plausible inference (reasoning from incomplete information)?
- Does the conditional probability symbol P(A|B) stand for the frequency with which A is true in some "random experiment" defined by B ; or for the degree of plausibility, in a single instance, that A is true, given that B is true?
- Do probabilities describe real properties of Nature or only human information about Nature?
Jaynes se positionne selon le point de vue de Bernouilli et Laplace :
The original view of James Bernoulli and Laplace was that probability theory is an extension of logic to the case where, because of incomplete information, deductive reasoning by the Aristotelian syllogisms is not available.
Un 2ème point est central dans les travaux de Jaynes : l'importance du
principe de MAXimisation d'ENTropie (
MAXENT). Jaynes a étendu l'application du principe de MAXimisation d'ENTropie en physique très au delà du domaine qui l'a vu naître : la thermodynamique statistique (2).
Gwanelle a écrit : 07 mars 2024, 11:07Si la réponse à cette question est : il est objectivement la représentation des connaissances d'un observateur, alors il n'y a pas de quoi s'étonner que celui-ci saute d'une position à une autre dans la sphère de Riemann chaque fois que l'observateur effectue une mesure.
Relativement à l'établissement de la violation des inégalités de Bell, Jaynes se place effectivement dans une interprétation bayésienne des probabilités. Si l'observateur a connaissance du fait que l'évènement B est vrai, alors la probabilité d'un évènement A passe d'une probabilité a priori P(A) à une probabilité a posteriori, cad une probabilité conditionnelle de A sachant B (quand l'observateur acquière, a posteriori, cette nouvelle information) :
\(P(A|B)=P(AB)/P(B)\)
Concernant l'effet
EPR, voilà l'équation proposée par Bell (cf.
CLEARING UP MYSTERIES § THE BELL INEQUALITIES) pour modéliser la probabilité conjointe des observations A d'Alice et B de Bob, a et b désignant l'axe de mesure des spins 1/2 A et B, tout en garantissant la localité des corrélations EPR (grâce à la variable cachée locale
\(\lambda\)) :
\(P(AB|ab\lambda)=P(A|a\lambda)\:P(B|b\lambda)\) (14)
Jaynes, applique, au contraire, le principe d'inférence bayésienne. Voilà l'équation qu'il propose dans le même but :
\(P(AB|ab\lambda)=P(A|Bab\lambda)\:P(B|ab\lambda)=P(A|ab\lambda)\:P(B|Aab\lambda)\) (15)
L'équation (15), proposée par Jaynes, moins contraignante que l'équation (14), proposée par Bell, respecte elle aussi la localité (tout en prenant en compte, elle aussi, la corrélation EPR). En effet, elle repose exclusivement sur ce qu'Alice peut inférer de ses connaissances et de leur changement par acquisition d'une information complémentaire : le résultat de sa mesure de spin. Cette inférence bayésienne ne nécessite nullement de savoir "ce qui se passe de l'autre côté" et encore moins de provoquer un changement d'état instantané du côté de Bob.
L'équation (15) proposée par Jaynes n'implique plus les
inégalités de Bell. La violation des inégalités de Bell
ne s'interpète donc plus comme une violation de la localité. On n'a alors plus besoin de l'interprétation lorentzienne de la Relativité (et son référentiel privilégié) chère aux physiciens réalistes, tels que
Bricmont par exemple, attachés à l'hypothèse d'une mesure quantique et d'un résultat de mesure quantique objectifs, indépendants de l'observateur (3).
Par contre, les inégalités de Bell gardent tout leur intérêt. En effet, elles sont
violées par les
corrélations quantiques alors qu'elles sont nécessairement
respectées par des
corrélations classiques.
La non localité quantique dans l'expérience de Greenberger, Horne and Zeilinger
Il me semble moins immédiat de faire rentrer, dans ce même cadre d'inférence bayésienne, les résultats de l'
expérience GHZ de Greenberger, Horne et Zeilinger. La non localité quantique s'y manifeste, carrément, par une
égalité différente selon les prédictions de la physique quantique par rapport à l'hypothèse réaliste et locale (4).
Cette expérience fait intervenir 3 qubits en état d'intrication maximale (au lieu de 2 dans l'expérience EPR-Bell).
\(\left|GH{Z}_{3}\right\rangle =(\left|000\right\rangle +\left|111\right\rangle )/\sqrt{2}\)
The first proof of possibilistic nonlocality, due to Greenberger, Horne and Zeilinger (
GHZ), uses 3 qubits to formulate a paradox, the contradictory predictions given by the Quantum and Classical theory for the measurement outcome of an observable.
En fait, ce n'est pas la localité qui est violée (on ne peut pas utiliser cette expérience pour violer la causalité relativiste), mais l'objectivité des résultats de mesure :
\(\begin{array}{l}\left[{E}_{1}={\sigma }_{x}^{1}{\sigma }_{x}^{2}{\sigma }_{x}^{3}\right]\,\left|GH{Z}_{3}\right\rangle =+\left|GH{Z}_{3}\right\rangle ,\\ \left[{E}_{2}={\sigma }_{x}^{1}{\sigma }_{y}^{2}{\sigma }_{y}^{3}\right]\,\left|GH{Z}_{3}\right\rangle =-\left|GH{Z}_{3}\right\rangle ,\\ \left[{E}_{3}={\sigma }_{y}^{1}{\sigma }_{x}^{2}{\sigma }_{y}^{3}\right]\,\left|GH{Z}_{3}\right\rangle =-\left|GH{Z}_{3}\right\rangle ,\\ \left[{E}_{4}={\sigma }_{y}^{1}{\sigma }_{y}^{2}{\sigma }_{x}^{3}\right]\,\left|GH{Z}_{3}\right\rangle =-\left|GH{Z}_{3}\right\rangle ,\end{array}\)
La surprise, c'est le +1 prédit (et vérifié) en physique quantique par la 1ère équation. Ce résultat entre en conflit avec le -1 découlant du produit de 3 résultats observables localement (mais pas en même temps). Le
résultat +1 observé est
incompatible avec le recueil d'une propriété objective, une propriété qui serait
préexistante à l'observation.
Le point de vue réaliste de Jaynes
Bien qu'acceptant la localité de l'effet EPR grâce à son approche bayésienne des probabilités (5) Jaynes se classe dans le catégorie des physiciens réalistes. Ce sur quoi Jaynes insiste dans ses travaux, exprimant en cela un point de vue réaliste, c'est le fait que
les probabilités quantiques doivent être traitées comme reflétant le manque d'information de l'observateur (point de vue jusque là conforme au point de vue positiviste), et non comme une incertitude intrinsèque, propre aux "lois de la nature".
Cette distinction sous-entend, implicitement, l'hypothèse réaliste d'existence de lois qui seraient objectivement propres à la nature (indépendamment de toute considération d'observateur). C'est par cette hypothèse que se manifeste le point de vue réaliste de Jaynes. Pour les positivistes au contraire (cf.
law without law, Wheeler, Zurek), les progrès de la science ne nous rapprochent pas d'une hypothétique réalité objective, ils nous permettent d'augmenter notre capacité à
faire des prédictions fiables et précises de ce qui est
reproductiblement observable (cf. le
Qbism tel que présenté par Fuchs).
Bref Jaynes a compris, fait connaître et exploité de façon magistrale l'application d'une
version quantitative du rasoir d'Occam : le principe MAXENT de maximisation d'entropie. Il s'agit d'une minimisation de l'information contenue dans un modèle inféré sous la seule contrainte du respect de ce qui est observable (6). Toutefois, malgré toute l'importance que Jaynes accorde ainsi :
- à l'incomplétude de l'information détenue par l'observateur et au principe d'inférence bayésienne pour établir les lois de la physique,
- à l'attribution aux probabilités d'un caractère de traitement des informations incomplètes détenues par un observateur (contrairement à une interprétation fréquentiste, cad réaliste, des probabilités) (1)
Jaynes se refuse à admettre l'inexistence de propriétés objectives. Son rasoir d'Occam s'arrête avant, respectueux de sa profonde croyance intuitive en l'existence de propriétés objectives ne devant rien ni à l'observation, ni à l'observateur.
On pourrait illustrer le point de vue réaliste, et l'agacement engendré par le point de vue inverse, par une remarque ironique à l'égard du point de vue positiviste sur l'écoulement irréversible du temps : "Les dinosaures ont-ils du attendre qu'un docteur en paléontogie ait observé leurs traces et leurs ossements pour émerger statistiquement, par décohérence, d'un état superposé chat de Schrödinger mort/vivant pendant 65 millions d'années ? Ben non ! Ils sont morts bien avant qu'un singe un peu plus malin que les autres ne se dresse sur ses 2 pattes de derrière."
L'interprétation positiviste de la physique
Sauf position extrêmiste (mise en défaut par le passé), le point de vue positiviste n'exclut nullement la possibilité que de
nouveaux objets physiques (en apparence non reproductiblement observables, voir inobservables à un moment donné de l'avancement de la science), et de nouvelles lois (déduites de l'observation), puissent avantageusement remplacer les anciennes, voir même violer des théorèmes d'impossibilité (accroissant ainsi la fiabilité et la précision de nos capacités prédictives grâce aux progrès de la science). Simplement, l'approche positiviste se refuse à d'admettre qu'il s'agirait là d'un progrès nous rapprochant de "lois objectives de la nature", des lois supposées à la fois hypothétiquement existantes et objectives, indépendantes de notre grille de lecture thermodynamique statistique d'êtres vivants.
Que ressort-il (à mon sens) de cette étude de la non localité quantique et de la vérification expérimentale de l'
ami de Wigner ?
- La violation de localité par l'effet EPR pour les physiciens réalistes désireux de préserver aussi l'objectivité du principe de causalité
- la rétrocausalité de cet effet du point de vue des Aharonov, Vaidman, Cohen, Elitzur, Rohrlich, Kwiat, Tollaksen, Bamber, Albert... désireux de préserver, au contraire, l'objectivité des relations de causalité (de mesures fortes vers mesures faibles)
peuvent avantageusement laisser leur place :
- à l'abandon du réalisme, l'abandon de l'hypothèse d'objectivité des grandeurs physiques perçues comme les plus objectives possibles et imaginables (G, c, h, q_e, m_e...)
.
- à l'abandon de l'hypothèse d'objectivité du processus de mesure quantique, des résultats de mesure quantique et de l'écoulement irréversible du temps, sans pour autant (comme Einstein ou Thibault Damour concernant l'écoulement irréversible du temps) estimer nécessaire l'attribution d'un caractère de réalité objective à l'univers bloc d'Einstein et, au contraire, un caractère d'illusion à l'écoulement irréversible du temps au prétexte de leur non objectivité. Une telle approche implique d'attribuer un caractère d'illusion à tout ce que nous sommes en mesure d'observer car tout ce que nous observons repose sur les traces du passé, les marques laissées par (engendrant en fait) le passage irréversible du temps.
.
- à l'abandon de l'hypothèse de lois et principes réellement, définitivement, objectivement fondamentaux.
C'est le
retour inattendu (pour certains perçu comme illégitime, pour d'autres comme désagréable)
de l'observateur au coeur de la physique. Espérons que, de là où il nous observe, Copernic ne nous en voudra pas trop

.
(1) The opening talk at the 8'th International MAXENT Workshop, St. John's College, Cambridge, England, August 1-5, 1988 In the Proceedings Volume, Maximum Entropy and Bayesian Methods, J. Skilling, Editor.
En répondant, avec le point de vue de Jaynes, aux questions qu'il pose au § PROBABILITY THEORY AS THE LOGIC OF SCIENCE de
PROBABILITY IN QUANTUM THEORY, voilà comment s'exprime son point de vue :
- Probability theory is not a "physical" theory of phenomena governed by "chance" or "randomness". It is an extension of logic, showing how to reason in situations of incomplete information
.
- Probabilities are not rules for calculating frequencies of "random variables" (point de vue fréquentiste), but rules for conducting plausible inference (reasoning from incomplete information).
.
- Conditional probability symbol P (A|B) does not stand for the frequency with which A is true in some "random experiment" defined by B. It stands for the degree of plausibility, in a single instance, that A is true, given that B is true.
.
- Probabilities do not describe real properties of Nature, they describe only human information about Nature.
.
(2)
MAXENT est une version quantitative du
rasoir d'Occam. Elle permet, à partir d'une connaissance incomplète d'un phénomène observé, d'extraire un modèle d'inférence. Il s'agit d'un modèle dépouillé de toute information absente des données disponibles. A titre d'exemple, l'approche bayésienne de la physique développée par Jaynes fait naturellement émerger la loi de diffusion d'une goutte d'encre dans un verre d'eau ou encore l'extraordinaire
efficacité des muscles semblant, avant l'étude de Jaynes, violer les lois de la thermodynamique. cf.
CLEARING UP MYSTERIES § DIFFUSION, § THE SECOND LAW IN BIOLOGY et § QUANTITATIVE DERIVATION
The observed efficiency of muscles, long thought by some to be violations of the second law, are on the contrary derivable from the second law once it is properly understood.
.
(3)
La non-localité et la théorie de Bohm, Jean Bricmont
Il faut se garder de conclure que l’impossibilité d’envoyer des signaux signifie qu’il n’y ait pas d’action à distance ni de relation de cause à effet... ...On peut donner une explication du phénomène EPR-Bell dans le cadre de la mécanique quantique. On donne à la fonction d’onde un statut physique et non simplement épistémique et l’on introduit deux types d’évolutions temporelles pour la fonction d’onde : l’évolution donnée par l’équation de Schrödinger en dehors des opérations de mesure et la « réduction » de la fonction d’onde, lorsqu’une mesure a lieu
C'est de l'attribution d'un caractère de réalité objective à la mesure quantique que naît la non localité objective attribuée à l'effet EPR par les physiciens réalistes, et effectivement :
Le problème est alors que l’opération de réduction est, dans la situation envisagée par EPR, manifestement non-locale. Il n’est simplement pas correct de dire que la mécanique quantique, telle qu’elle est présentée dans la plupart des manuels, est locale. Seule la partie « équation de Schrödinger » de la théorie l’est, pas la réduction.
L'irréversibilité et l'indéterminisme émergent de la mesure quantique, c'est à dire (pour les positivistes) des limitations d'accès de l'observateur à l'information. Les réalistes préfèrent voir les propriétés de la mesure quantique comme objectives et acceptent ce qui en découle : une violation d'invariance de Lorentz, à ce jour inobservable, ainsi qu'une simultanéité absolue, inobservable, et le référentiel inertiel privilégié, inobservable, qui en découlent.
.
(4) L'hypothèse réaliste et locale, mise en défaut par la violation des inégalités de Bell c'est, en plus de la localité, l'hypothèse selon laquelle un résultat de mesure quantique pourrait préexister à son observation en violation d'une maxime positiviste, à ce jour jamais mise en défaut, chère à Asher Peres : "
Unperformed mesurements have no outcomes"
(5) Jaynes, bien que réaliste, rejette l'interprétation d'une non localité objective, contrairement aux Bohm, Bell, Valentini, Scarani, Percival, Popper, Bricmont, Aspect interprétant l'effet EPR comme violant l'invariance de Lorentz à un niveau interprétatif, impliquant une simultanéité quantique absolue (donc un référentiel quantique privilégié, un référentiel d'immobilité du milieu de propagation des ondes).
(6) On comprend bien comment marche le principe de maximisation d'entropie, physiquement et mathématiquement, faisant émerger un univers classique, caractérisé par un petit nombre d'observables macroscopiques simultanément mesurables en lisant les travaux de R. Balian, cf.
Incomplete description and relevant entropies, § 6 Least biased states and relevant entropies et § 7 Reduction of the description.