jean7 a écrit : 13 mars 2024, 11:32Et nous croyons tous, aujourd’hui, que la monnaie (tous les mécanismes qui la fondent et la maintiennent) est vitale… Je crois bien que c’est pour longtemps encore. Pourtant, j’espère bien que l’humanité survivra assez longtemps pour la laisser en route comme elle laisse les incarnations divines et qu’elle tente de se dévêtir de ses dieux.
Pour ma part, j'ai un avis différent sur la cause profonde de nos très sérieux problèmes de société actuels.
Mécanismes monétaires et critère de profitablité
Demander qu'une activité soit rentable (dégage du profit si on préfère le dire ainsi) c'est en fait demander que la valeur obtenue par le processus de production soit supérieure à la valeur détruite ou consommée lors de ce processus. Comment apprécie-t-on cette différence ? Par sa mesure monétaire en euros ou en dollars par exemple.
Notre monnaie et le mécanisme de décision "Je fais si c'est rentable", c'est à dire si je dégage une différence positive entre valeur de ce qui est créé et valeur de ce qui est consommé" (travail + capital + fournitures + biens de productions + m² de terrain...)" n'est donc pas en cause en termes de principe. Où donc est le problème ? Car il y en a bien un.
Problèmes de société, mécanismes monétaires et système de valeurs
...ce qui est en cause, c'est le prix que nous sommes prêts à payer, avec cette monnaie, les biens et services que nous achetons, que ce soit à des fins de consommation ou à des fins de développement d'une activité productive. Ce prix est basé sur l'évaluation
subjective parfois éronnée, que nous accordons aux biens et services consommés ou impliqués dans une activité productive sur la base de notre échelle de valeurs. Elle est là (pour l'essentiel) la cause de nos problèmes de société si nous remontons suffisamment dans l'arbre des causes. Sont en cause, donc :
- le prix de certains produits parfois très supérieur au besoin qu'ils sont sensés satisfaire,
- leur coût parfois très inférieur aux dommages qu'ils engendrent car non mesurés par ce coût.
Ces valorisations erronées :
- peuvent laisser apparaître comme profitable une activité où, au contraire, apparaîtrait une perte si la valorisation des biens et services impliqués dans cette activités était correcte. Ces valorisations erronées peuvent donc favoriser l'investissement dans une activité qui, en fait, une fois chiffrée avec les bons prix, tournerait à perte. Cela permettrait de l'arrêter par faillite ou, encore mieux, d'éviter de la lancer.
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- peuvent engendrer la prévision d'une perte là où apparaîtrait un gain si la valorisation des biens et services impliqués dans l'activité productive envisagée était correcte. Ces valorisations erronées peuvent ainsi détourner l'investissement d'une activité qui, en fait, dégagerait du profit si les valorisations étaient correctes.
En effet, un investisseur ne peut pas se permettre de répondre à nos besoins réels. Il serait sûr de faire faillite. Il doit répondre à nos attentes ou à des attentes qu'il est possible de susciter à un coût publicitaire raisonnable, sur la base de notre culture, de nos attentes, valeurs, goûts et priorités (et parfois l'usage de quelques modes de communication malhonnêtes).
Une remontée dans l'arbre des causes
De façon un peu caricaturale, accuser la monnaie et la recherche de profit d'être la cause de nos problèmes de société, c'est un peu l'analogue d'une personne qui serait chargée d'expertiser des accidents s'étant produits sur des passages piéton. Admettons que ses observations mettent en évidence qu'à chaque fois (ou presque) le pare-choc ait morflé. Une analyse un peu trop rapide va l'amener à conclure que ces accidents, c'est de la faute du pare-choc. Un peu vite, il va en déduire qu'il faut donc supprimer cet accessoire dangereux.
En remontant plus haut l'arbre des causes, il s'apercevrait au contraire que la cause véritable de ces accidents se situe derrière le volant : c'est le conducteur. Le conducteur des mécanismes monétaires, c'est nous tous, collectivement, via notre système de valeurs bien plus partagé que nous ne voulons bien l'admettre.
Prix, valeur ajoutée, ressources gratuites et limites planétaires
Il y a toutefois un problème important dans la valorisation des biens et services qui ne doit rien à notre système de valeurs, mais résulte d'un défaut technique du système actuel de valorisation dans la construction des coûts. La valorisation des biens et services actuels repose sur la seule prise en compte
de la valeur ajoutée. Comme le fait remarquer Jancovici, nous ne payons pas :
- le pétrole non extrait,
- les poissons non pêchés,
- l'eau potable non distribuée,
- les vers de terre de nos surfaces cultivables, des vers de terre dont nous avons besoin pour que nos surfaces cultivables puissent continuer à nourrir 8 Mds de personnes...
Tant que les limites planétaires ne se faisaient pas sentir, cette valorisation nulle des ressources de la nature, supposant implicitement des ressources naturelles infinies (un produit qui n'a aucune rareté est gratuit) et parfaitement résilientes vis à vis de nos agressions, ce n'était pas un souci. La libre entreprise et la valorisation du mérite sur la base de la seule valeur ajoutée était un système efficace pour produire cette valeur ajoutée, et ce, de façon pérenne et croissante. Bref, la main invisible d'Adam Smith marchait plutôt correctement dans l'ensemble.
Ce n'est plus le cas. Nos choix doivent évoluer pour s'adapter à la contraction
globale des ressources disponibles et à leur fragilité vis à vis de nos modes très agressifs de production et de consommation. Ce problème global, systémique, ne peut donc plus être résolu par le seul miracle Adam-Smithien des initiatives individuelles. Nous devons réussir ce virage difficile dans un contexte géopolitique de tensions (et de conflits militaires) entre communautés humaines de différentes natures et ça ne simplifie pas les choses (1).
Limites planétaires, taxes, quotas, croissance et pouvoir d'achat
2 options sont possibles. Elles nécessitent une coordination internationale à provoquer via le lobby d'une opinion mondiale éclairée (Ya du taf) :
- une limitation du prélèvement des ressources non renouvables et celles plus assez vite renouvelables et une limitation des actions productives nuisibles à notre biosphère par des quotas,
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- une limitation du prélèvement des ressources non renouvables et celles plus assez vite renouvelables et une limitation des actions productives nuisibles à notre biosphère par des taxes.
Toutefois, il n'y a pas de table de la loi, gravée dans le marbre, où on pourrait trouver le pourcentage garantissant une justice absolue, objective. Ca n'existe pas. L'équilibre entre ces 2 options passe donc nécessairement par
la négociation.
Par contre, l'objectif à atteindre par la
somme de ces 2 mesures est une contrainte incontournable. Elle doit impérativement garantir la préservation de notre avenir. Cette somme elle-même ne doit donc plus être discutée une fois comprise par le plus grand nombre (cette compréhension étant un préalable sans lequel l'échec serait assuré). Cette somme, quelle que soit la balance taxe/quota négociée, implique globalement une restriction de notre pouvoir d'acheter :
- de la viande (tout particulièrement celle des ruminants, la plus émissive en GES),
- des km parcourus par consommation d'énergie fossile et minéraux,
- des m² de surface construite,
- des biens de consommation,
- du numérique. C'est 3 à 4% des émissions mondiales de GES, proche des GES émis par transport par camion et environ 2 x l'aérotransport.
Seule
la balance quotas/taxes peut être négociée sans mettre notre avenir en danger...
...à condition, toutefois, que la durée de négociation (ou pire, sa dégénération en conflits violents) ne nous envoie pas dans le mur avant d'avoir eu le temps de freiner puis de tourner.
(1) Des tensions parfois aggravées, par des personnages :
- en recherche de pouvoir ou de prestige en réponse à une motivation parfois inconsciente (ce n'est pas un problème en soi. Ca le devient dans le cas pathologique où ça déforme gravement la recherche d'un intérêt collectif),
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- jetant parfois de l'huile sur le feu afin d'obtenir l'admiration et le soutien de telle ou telle communauté humaine souffrant de biais d'appartenance du type : "nous über alles, au dessus de tout et de tous. Tous les autres en dessous"
et par la rapidité de propagation de fake news et discours agressifs et/ou victimisants via les réseaux sociaux.