. La première partie de votre proposition est juste. Comme la base empirique de la psychanalyse est difficile à circonscrire, l'autorité interprétative du « maître » prend une importance exagérée. Pour ce qui est de la masse de données qui « infirme » la théorie, vous vous engagez sur un terrain plus glissant. Quelles données infirment quelle partie de la théorie? Chaque fois que je pose ce genre de question précise je reçois rarement des réponses satisfaisantes.Lescuyer a écrit : Kraepelin a déjà mentionné que, pour lui, la psychanalyse n'est pas une science (j'ignore votre position à ce sujet LO). Fort bien, je suis tout à fait disposé à vous concéder ce point que vous défendez d'ailleurs très bien en brandissant des citations de Freud comme le ferait Karl Barth avec des passages des évangiles. En effet, je ne connais aucune branche de la science qui sacralise ainsi les écrits d'un/du fondateur tout en niant ou ignorant l'existence d'une masse formidable de données qui infirment les théories de ces textes primordiaux.
. Vous négliger les développements de la psychanalyse dans la compréhension des troubles de la personnalité. Toute la nomenclature de l'Axe II du DSM-IV repose sur elle.Lescuyer a écrit : Par exemple, imaginez un instant un biologiste qui se bornerait à expliquer la théorie de l'évolution en citant uniquement Lamarck et des auteurs qui s'y réfèrent exclusivement, omettant, entre autre, de tenir compte de la découverte de l'ADN simplement parce que « The Man » n'en a pas parlé...Un tel « scientifique » serait fort probablement ridiculisé par ses pairs, n'est-ce pas? Pourquoi n'est-ce pas le cas pour la psychanalyse?
. Pour vous, tout ce qui n'est pas science semble relever de la bêtise. Je ne partage pas cette vision manichéenne du monde. Pour moi, entre la science et la bêtise, il y a toute une panoplie de gris de différentes intensités.Lescuyer a écrit : Ah oui! Parce que ce n'est pas une science...Mais alors, pourquoi perdez-vous donc votre temps à croire en de telles bêtises?
Il faut souligner que bien de choses différentient la science psychologique de la clinique psychologique. Dans la clinique, il y a des personnes qui souffrent et qui attendent du secours. Et le secours, elles le veulent « maintenant », pas dans 40 ans lorsque les neurosciences seront capables d'expliquer leur problème. Le pauvre clinicien n'a généralement pas sous la main des modèles hautement scientifiques ni des techniques solidement démontrées empiriquement. Alors, que faire?
Le clinicien cognitiviste Blackburn, constatant cet état de fait, explique la solution qu'il adopte et qui est généralement celle des autres cliniciens. Blackburn dit qu'il faut travailler avec ce que l'on a de mieux sous la main. Il dit aussi qu'il faut privilégier les connaissances en fonction de leurs fiabilités en respectant l'ordre suivant. Face à un problème, l'hypothèse d'une personne dont c'est la profession l'emporte sur celle dont ce n'est pas la profession. L'hypothèse de celui qui a conduit une recherche empirique l'emporte sur celle de celui qui n'a que son expérience professionnelle. La recherche comparative randomisée l'emporte sur la recherche non comparative. Une revue large et rigoureuse de la recherche l'emporte sur les résultats d'une recherche isolée.
Les cliniciens ne sont pas nécessairement de parfaits imbéciles. Ils savent qu'une hypothèse ou un modèle développé sur de simples observations cliniques ne constitue pas un modèle scientifique.
Mais ils ne le considèrent pas pour autant comme un tissu de bêtises. Si c'est ce qu'ils ont de mieux sous la main, ils vont s'en servir sans aucun scrupule pour essayer d'aider leurs clients.
Il faut aussi savoir que vue d'un laboratoire et vue d'un bureau de clinicien, la psychanalyse n'apparaît pas sous le même éclairage. En clinique, le patient a des comportements bien décrits par la psychanalyse et qui ne sont décrit par personne d'autre.
Par exemple, les patients répondent parfois négativement, avec une insistance répétitive, à des questions qui ne leur sont pas posées. «Je viens vous consulter parce que j'ai un sentiment de pression et sur la poitrine et d'étouffement et que mon médecin ne trouve pas d'explication. Mais, je ne veux pas que vous croyiez que j'ai des problèmes avec mon mari.» Et plus tard, à la suite d'une question sur des changements qui pourraient être survenus dans sa vie . « Je ne veux pas que vous pensiez que j'ai des problèmes dans ma vie conjugale!» etc. trois ou quatre fois de suite dans la même entrevue. Ce que l'expérience des nombreuses générations de cliniciens montre, c'est que la « dénégation » est une réponse à une question que le client ou la cliente se pose elle-même. Une question qu'elle a du mal à envisager ouvertement mais qui prend suffisamment d'importance dans son esprit qu'elle surgisse de façon intempestive comme si elle lui avait été posée de l'extérieur où comme si elle était une question secrète que se supposerait le clinicien. Ce truc n'est pas démontré expérimentalement. Ce n'est pas de la science, mais c'est toujours bon à savoir lorsqu'un fait profession d'écouter les gens qui souffrent.
Il y a des centaines d'exemples de comportements symptomatiques qui ne trouvent pas d'explications utilisables dans le cadre de théorie fondée sur des preuves scientifiques. Alors, on utilise ce que l'on a sous la main. La psychanalyse décrit bien ces comportements observables et c'est déjà mieux que de faire comme s'ils n'existaient pas. En plus, elle offre parfois des pistes d'interprétation des significations que pourraient parfois avoir ces comportements. Ces pistes sont encore moins scientifiques mais elles ne sont souvent pas bêtes du tout. Lorsque le clinicien se fait faite un procès d'intention à propos de sentiments que le patient lui prête. Lorsque le clinicien reconnaît ces sentiments comme parfaitement étrangers à ses sentiments réels, la psychanalyse suppose que le patient retranspose peut-être sur la personne du clinicien une relation ancienne avec un intense sentiment d'actualité. Cette interprétation n'est pas scientifique pour trois sous, mais elle n'est pas si bête que ça. D'ailleurs, les cliniciens cognitivistes et les chercheurs en psychologie affective en sont venus à des conclusions pas très éloignées.
Je ne vous convaincrai certainement pas avec ces exemples. Ce n'était pas mon intension. Je voulais juste vous monter que les contraintes de la clinique ont leurs propres exigences et qu'elles rendent les cliniciens différemment disposés face aux théories qui ont cours.