Bien que cette question ne soit, à mon sens, pas à lier à la notion de libre arbitre (Le fil dont j'ai tiré la question d'Etienne Beauman), voilà quelques éléments de réflexion sur ce sujet.
A mon sens, la question du déterminisme est une question difficile à deux titres :
1/ La physique quantique est composée de deux parties à mon sens incompatibles (il y a débat à ce sujet)
- l'une de ces deux parties nous dit que les évolutions quantiques sont déterministe : c'est l'équation de Schrödinger selon laquelle l'évolution des états quantiques (inobservables individuellement selon nos connaissances scientifiques actuelles) est déterministe (ce qui signifie univoquement déterminée par la connaissance de l'état quantique initial et de l'Hamiltonien qui gère son évolution).
. - l'autre partie de la physique quantique, celle relative aux résultats de mesure quantique, nous dit que les résultats de mesure quantique (observables eux) sont indéterministes. Ils ne sont prévisibles que statistiquement, même avec l'information quantique maximalement accessible quant à l'état du système observé (cette information maximale accessible à l'observateur est modélisée par l'état quantique relatif au couple observateur/système observé).
- Si on adopte un point de vue réaliste, c'est à dire, en gros, un point de vue philosophique implicitement ancré dans les connaissances scientifiques de la fin du 19ème siècle (dont nous sommes nombreux à être inconsciemment imprégnés), le déterminisme est alors une notion objective c'est à dire indépendante de l'observateur et de l'acte d'observation.
En quelque sorte, l'univers aurait la propriété physique objective d'être déterministe hors de tout lien avec l'observateur et l'acte d'observation, donc sans recours à la notion d'entropie pertinente (1).
. - Si on adopte, au contraire, le point de vue positiviste, il n'existe pas de niveau fondamental.
Le déterminisme correspond alors à l'hypothèse selon laquelle la fiabilité et la précision des prédictions issues de nos modèles des lois de la physique ne seraient limitées que par la puissance de calcul de nos ordinateurs (présents et futurs) et notre capacité de stockage d'information (cf. le démon de Laplace (4)).
Cela dit, c'est un peu tautologique. Cela revient simplement à dire que plus on détient d'information :
- sur un système donné à un moment donné d'une part,
- sur l'Hamiltonien régissant son évolution d'autre part,
A noter toutefois que la quantité d'information classique que l'on peut stocker dans un système isolé (dont on fait partie, sinon il n'est pas isolé) est beaucoup, beaucoup, beaucoup plus faible que la quantité d'information nécessaire pour prévoir son évolution dans les moindres détails. En effet, une information, pour :
- être résistante aux agressions de l'environnement,
- être lisible sans être détruite ou altérée par sa lecture par différents observateurs,
Or un bain thermique contient une information dite pertinente stable pour des zillons d'informations dites non pertinentes non accessibles à l'observateur. Par suite, dans le système isolé que constitue l'univers, les prédictions auront toujours une fiabilité et une précision limitées (sans même avoir à évoquer la question des systèmes dynamiques non intégrables au sens de Poincaré et la notion dite de temps de chaos (6)).
Sur la base de ces quelques éléments de réflexion, que devient alors la notion de déterminisme ? Juste une notion scientifiquement utile en tant que modèle idéalisé, une notion à usage pratique (et non philosophique) qu'il n'est peut-être en définitive ni fructueux ni même légitime de faire sortir de son cadre opérationnel et utilitaire : celui de la prédiction scientifique.
(1) Notion d'entropie pertinente sans laquelle il est difficile (mais ça se discute, cf. les travaux de recherche de l'école de pensée de Bruxelles Austin dont notamment feu I.Prigogine) de faire émerger la notion d'évolution irréversible et donc la notion d'information nécessitant son enregistrement irréversible (c'est à dire engendrant une fuite d'information, dite non pertinente, hors de portée de l'observateur).
(2) Les faits d'observation qui ne sont pas reproductibles ni rattachables à des causes qui sont reproductibles restent l'exception. En raison même de la méthode scientifique (la seule méthode que l'on connaisse pour établir des modèles prédictifs fiables et précis dans le domaine de la science dite "dure") la science ne sait étudier et prouver que ce qui est reproductible. Ce qui n'est pas reproductible échappe donc nécessairement au champ de ce qui est scientifiquement prouvable.
(3) Plus généralement d'ailleurs, selon le point de vue positiviste (mais comment le contrer ?) aucune propriété d'un système donné ne peut être considérée comme "objective", c'est à dire indépendante de l'interaction avec un observateur ou une classe d'observateurs interagissant avec ce système.
(4) Citation de Simon de Laplace :
(5) Notion de bain thermique en lien avec la notion "d'objectivité" des grandeurs et propriétés physiques observablesUne intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux.
Manque d'information, laisser-faire et équilibre
(6) Le démon de la place 1814Le manque d'information sur l'état réel d'un système thermodynamique ne vient pas de la paresse ou de l'incompétence de l'observateur mais de la nature des phénomènes observés. Les expériences thermodynamiques laissent les systèmes observés atteindre ou s'approcher d'un équilibre. On ne contrôle qu'un petit nombre de grandeurs macroscopiques et on laisse l'équilibre s'établir en ignorant les microétats. Si on essayait de les connaître plus précisément, on pourrait empêcher le système de s'approcher de l'équilibre et on ne pourrait pas observer justement ce qu'on veut observer, l'équilibre ou la proximité de l'équilibre.
Laisser le système vagabonder au hasard dans son espace de microétats est une condition nécessaire pour qu'on puisse observer un équilibre thermodynamique. Paradoxalement, l'ignorance des microétats, qui est une propriété subjective de l'observateur, est une condition nécessaire pour qu'un équilibre thermodynamique, un événement réel, objectif [comprendre intersubjectif], puisse se produire. C'est pourquoi l'entropie, qui mesure un manque d'information, est une propriété matérielle objective [comprendre intersubjective]. Elle est le manque d'information qui rend possible l'équilibre thermodynamique réellement observé.
des développements tels que le principe d’incertitude d’Heisenberg et la théorie du chaos rendent impossible l'hypothèse de Laplace. Selon la théorie du chaos, de minuscules inexactitudes de mesure à un instant initial peuvent conduire à d'énormes différences entre résultat prévu et résultat réel. Cela signifie que le démon de Laplace devrait connaître la position et le mouvement de chaque particule avec une précision infinie, ce qui le rendrait plus complexe que l'univers lui-même.