Normand Baillargeon et la pente glissante

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Zwielicht
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Normand Baillargeon et la pente glissante

#1

Message par Zwielicht » 31 août 2009, 21:28

J'aime bien le livre de Normand Baillargeon mais sur un point je ne suis pas d'accord, ou du moins, je ne comprends pas. Il expose le sophisme de la pente glissante:
La pente glissante.
C’est ce qui se produit quand on raisonne (mal) en disant que si on accepte A, on aura B; puis C; puis D; et ainsi de suite jusqu’à quelque chose de terrible. L’argument, bien entendu, est destiné à prouver qu’on ne doit pas accorder A. Ceux qui disent, notamment aux Etats-Unis, que si on accepte des lois contre le libre port d’armes à feu, on aura bientôt des lois sur ceci, puis sur cela et qu’on finira par vivre sous un régime totalitaire, ceux-là se paient une balade sur la pente glissante. On voit bien, en y pensant un peu, que rien ne garantit la solidité de chacun des maillons de la chaîne et que donc rien n’assure que si on accepte A, on aura tout le reste qu’on nous prédit.
Soit.. exagérer de ce procédé est puéril. Mais est-ce mal raisonner pour autant ?

Prenons le même exemple. On réglemente le port des armes à feu parce que si on le permet, on permet à n'importe qui de se procurer une arme, et on permet ainsi à des tueurs potentiels de tuer avec des armes dans des circonstances où autrement ils ne le pourraient pas. Est-ce "de" la pente glissante ? Rien ne garantit la solidité du maillon entre "permettre l'achat libre d'armes à feu" et "permettre à un tueur potentiel de commettre un meurtre". Accepter A n'est pas accepter le reste prédit. Néanmoins, c'est l'argument, et à mon avis, il se tient.

Idem; l'âge minimal légal de consentement sexuel ou de consommation d'alcool. Pourquoi pas 17 au lieu de 18 ? La différence biologique et psychologique entre 17 et 18 est minime (12 mois). Mais si on baisse à 17, qu'est-ce qui nous dit que dans X années on ne va pas baisser pas à 16 ? Et ensuite à 15 ? Etc.. Raisonnement de la pente glissante? Peut-être mais c'est un argument important.

Bref, je pense que monsieur Baillargeon exagère en faisant de ce procédé un sophisme. Il est un sophisme si la solidité des maillons est vraiment "faible", mais c'est du cas par cas.
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Wooden Ali
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Re: Normand Baillargeon et la pente glissante

#2

Message par Wooden Ali » 01 sept. 2009, 00:22

Pourtant elle fait partie des sophismes !
Tu trouveras ici une bonne discussion sur le sujet :
http://www.fallacyfiles.org/slipslop.html

C'est en fait un sophisme si on essaye de démontrer la fausseté de la proposition initiale par ce procédé qui rejoint ainsi le sophisme argumentum ad consequentiam.
Si en revanche on remplace cette proposition par une politique ou un plan d'action, il est légitime d'en étudier toutes les conséquences potentielles. Ce n'est alors plus un sophisme.
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Re: Normand Baillargeon et la pente glissante

#3

Message par Jean-Francois » 01 sept. 2009, 15:05

Zwielicht a écrit :Soit.. exagérer de ce procédé est puéril. Mais est-ce mal raisonner pour autant ?
La manière dont je comprends le sophisme/paralogisme est que si ce qu'on propose comme conséquence est outré voire caricatural, on raisonne mal. Par exemple, les créationnistes qui disent que accepter l'évolution entraîne une perte de moralité et que la perte de moralité mène au nazisme, qui suggèrent donc "accepter l'évolution = nazisme", suivent une "pente glissante" fallacieuse.
Il est un sophisme si la solidité des maillons est vraiment "faible", mais c'est du cas par cas.
C'est vrai qu'il faut juger au cas par cas mais je pense qu'il est important d'en parler car c'est un procédé d'emphase très employé pour "impressionner" des interlocuteurs en rendant ses propos plus "marquants" qu'ils ne le seraient si on posait les choses plus justement. Le but du livre est en partie de mettre en garde contre ce genre de procédés/raccourcis rhétoriques.

Jean-François
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Mig01
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Re: Normand Baillargeon et la pente glissante

#4

Message par Mig01 » 03 sept. 2009, 06:01

Bonjour,
La pente glissante n'est pas un bon argument logique. Cependant, la pente glissante est un bon argument sociologique et politique. En effet, ceux qui proposent une mesure mitigée qui, à son mérite propre, est très défendable, peuvent avoir en réalité comme objectif une mesure beaucoup plus ambitieuse, qui ne passerait pas la rampe de l'acceptation publique. La mesure mitigée est à leurs yeux une étape dans la bonne direction et, lorsque cette mesure est acceptée et qu'on s'y est habitué, on pousse un peu plus loin, et ainsi de suite. Dans tous les domaines ou les valeurs et les émotions pèsent fort dans la balance, la pente glissante est parfois la seule façon de réussir.
C'est en fait très souvent ainsi qu'une société change au fil des ans et des décennies.
Exemple: à la fin des années soixante, on décriminalise l'homesexualité au Canada. Aujourd'hui le mariage gai est légal. Si le gouvernement avait tenté dans les années soixante d'aller aussi loin d'un seul coup, jamais la société ne l'aurait accepté. Les mesures timides du début (et encore, même cela a soulevé tout un débat à l'époque) ont contribué à faire évoluer les valeurs. La terre n'a pas cessé de tourner, la société ne s'est pas écroulée
Si un opposant à la décriminalisation de l'homosexualité avait dit en 70 :«vous verrez, un jour nous verrons les homosexuels se mariez», on lui aurait ri au nez et des philosophes sentencieux lui auraient reproché son argument de «pente glissante». Et pourtant...
Il ne faut jamais oublié que dans les débats de sociétés, les valeurs, les croyances, les préjugés, les idéologies des parties prenantes pèsent souvent beaucoup plus lourd que toute raison. Il ne faut pas oublier non plus l'inertie des tendances sociales lourdes.

Zwielicht
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Re: Normand Baillargeon et la pente glissante

#5

Message par Zwielicht » 03 sept. 2009, 14:09

Mig01 a écrit :Si un opposant à la décriminalisation de l'homosexualité avait dit en 70 :«vous verrez, un jour nous verrons les homosexuels se mariez», on lui aurait ri au nez et des philosophes sentencieux lui auraient reproché son argument de «pente glissante». Et pourtant...
En effet.. ça aurait pu passer pour "la pente glissante".

Mais je crois avoir entendu un argument de pente glissante quand le mariage homosexuel est devenu d'actualité. Un évèque ou cardinal québécois (de l'Église catholique) avait dit : "Va-t'on aussi permettre le mariage d'un homme avec sa soeur ?".

C'est un argument absurde.. l'inceste n'a rien à voir avec l'homosexualité. Mais d'un autre côté, la question à laquelle répondait l'écclesiaste (sans nous prévenir) était peut-être "La religion doit-elle marier systématiquement tous ceux qui le demandent sans considérer leur historique, l'état de leur relation ainsi que leur avenir". L'Église catholique ne marie pas les gens "aveuglément"; elle tente de leur imposer des cours de préparation au mariage et de garder une certaine influence sur la vie religieuse du couple. Contrairement à l'état.

Donc en quelque sorte, cet argument découle d'un certain fondement; mais il était exprimé de façon démagogique, pour ne pas dire, haineuse.
Dernière modification par Zwielicht le 03 sept. 2009, 16:52, modifié 1 fois.
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Re: Normand Baillargeon et la pente glissante

#6

Message par Damien26 » 03 sept. 2009, 16:40

Moi c'est à la question "A quoi sert le mariage?" que je n'ai toujours pas de réponse :|

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Feel O'Zof
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Re: Normand Baillargeon et la pente glissante

#7

Message par Feel O'Zof » 04 sept. 2009, 00:31

Zwielicht a écrit :J'aime bien le livre de Normand Baillargeon mais sur un point je ne suis pas d'accord, ou du moins, je ne comprends pas. Il expose le sophisme de la pente glissante (...) Soit.. exagérer de ce procédé est puéril. Mais est-ce mal raisonner pour autant ? (...) Bref, je pense que monsieur Baillargeon exagère en faisant de ce procédé un sophisme.
Moi aussi au début, quand j'ai lu ce même livre, je trouvais que ce n'était pas un sophisme... mais les exemples qu'ils donnent m'ont fait comprendre ce qu'il voulait dire.

Si on prend ton exemple :
On réglemente le port des armes à feu parce que si on le permet, on permet à n'importe qui de se procurer une arme, et on permet ainsi à des tueurs potentiels de tuer avec des armes dans des circonstances où autrement ils ne le pourraient pas.
Ce n'est pas une pente glissante, c'est une conséquence réelle et directe, donc ce n'est pas un sophisme. Une pente glissante serait de dire «Si on légalise les armes aujourd'hui, on légalisera le meurtre demain!»

Ton autre exemple par contre :
l'âge minimal légal de consentement sexuel ou de consommation d'alcool. Pourquoi pas 17 au lieu de 18 ? La différence biologique et psychologique entre 17 et 18 est minime (12 mois). Mais si on baisse à 17, qu'est-ce qui nous dit que dans X années on ne va pas baisser pas à 16 ? Et ensuite à 15 ? Etc..
est un sophisme de pente glissante. Déplacer un âge minimal fixé arbitrairement à un autre âge choisi tout aussi arbitrairement n'a rien de logique. Mais si, contre la proposition «Baisser l'âge minimal à 17 ans» j'invoque le sophisme de la pente glissante en disant «Vous verrez, ensuite ils voudront la baisser à 16, puis à 13...», c'est comme le sophisme de l'homme de paille, puisqu'ensuite je continuerais mon argumentation comme si mon adversaire avait proposé de baisser l'âge légale à 13 ans.

En fait je pense que c'est un sophisme si la pente n'est pas vraiment glissante. Évidemment, la légalisation du mariage gay est un pas vers la légalisation du mariage incestueux, mais la question que l'on se pose ici n'est pas «Voulez-vous légaliser le mariage incestueux?», on répondra à cette question-là quand on sera rendu-là. Mais dire oui au mariage gay c'est juste dire oui au mariage gay (bien que, tous les arguments logiques utilisés pour défendre le mariage gay seraient tout aussi valables pour défendre le mariage incestueux ou le mariage polygame). Baisser la majorité à 17 ans, ce n'est pas la baisser à 13 ans.
Pour plus de détails sur mes opinions, consultez mon blogue philosophique et laissez-y vos commentaires.

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