Malgré les transformations de la référentialité qui ont eu lieu à l’époque classique, je ne suis pas certain que le problème se situe à ce niveau. Imagines-tu que si ton apiculteur avait vécu à la période preclassique, la relation de son expérience aurait dûe être analysée comme une structure hautement intertextuelle, qui ne faisait pas référence à la réalité de cette expérience mais à une sorte de “tradition” discursive ? Elle aurait certes pu être interprétée ainsi, mais pour notre apiculteur cela n’aurait rien changé au fait qu’il pensait décrire ce qu’il avait réellement observé et qui existait donc objectivement...Nous parlons d’un apiculteur, pas de Pline ni d’Hérodote. Le langage n’était pas encore en oeuvre dans son expérience, quels que soient les mots qu’il utilise par la suite pour la décrire, quelle que soit la philosophie du langage qui est dans l’air du temps, cela ne change rien à la manière dont il vit son expérience : cela ne modifie que les possibilités d’interprétation, les concepts et les techniques d’analyse dont nous disposons pour étudier son récit, et non son expérience.
Et je doute fortement qu’avant l’âge classique l’irrationnel ait toujours été interprété comme un phénomène purement littéraire, qui devait être vu comme référant non à la réalité sensible mais à une réalité discursive... L’Atlantide est un bon exemple : Platon a lancé une grande tradition discursive qui a provoqué d’importants débats sur la réalité ou non du continent englouti; et à la fin du IVème siècle l’historien Marcelinus affirme que la destruction de l’Atlantide était un fait historique pour les érudits d’Alexandrie. Ce n’est que relativement récemment que l’Atlantide est devenue de manière évidente un pur “récit”.
A vrai dire il me semble assez absurde que l’on ait pu comprendre certaines formes de discursivité comme inter ou intra-référentiels avant le vingtième siècle, et j’ai l’impression que tu inverses la situation ! Nous parlons de concepts sémantiques récents dont je doute de l’applicabilité sur les textes qui leur sont antérieurs.
L’article dont tu parlais est certainement celui de Sokal, et son bouquin sur les impostures intellectuelles. Mais l’une des principales critique qui lui a été opposé, c’est que, justement, les discours des intellectuels qu’il critique devaient être explicitement compris comme inter- ou intra-référentiels; et qu’il n’avait donc strictement rien compris à leur démarche et avait lu de travers une bonne partie des textes en question !!!
Je me trompe où tes idées ont une large coloration foucaldienne ?
A propos des pharmacies françaises, tu as bien raison. Je suis français, et à chaque fois que j’ai un médicament à acheter je change d’officine, espérant toujours en trouver une qui ne soit pas compromise dans le commerce des médecines douces. Je n’en ai pas encore trouvé une seule.
Ceci est extrêmement critiqué par le corps médical, mais le problème est qu’ici le lobby pharmaceutique des médecines douces est très puissant (notamment les laboratoires Boiron). De plus les pharmacies font, si mes souvenirs sont bons, près de 30 % de leurs bénéfices sur ce type d’arnaques, ce qui fait qu’ils ne sont pas près de lâcher leur os...
Le pire est que les pharmaciens font tout pour vous vendre ces saloperies, vous distribuent des jolis prospectus informatifs sur les différentes méthodes; et même avec une bonne dose de scepticisme et quelques connaissances sur le sujet il est parfois difficile de savoir ce qui est vrai et faux : les médecines douces se cachent sous des tonnes de désignations différentes, naturothéparie, phytothérapie, homéopathie, etc., et tout est mélangé.
Nous sommes dans un pays où 25% de la population est athée, et où les deux tiers des chrétiens ne croient pas en l’immaculée conception. Mais aussi dans un pays où 50 000 voyants et astrologues font un chiffre d’affaire de 20 milliards par an !
Ici il y a peu de scepticisme militant car il y a peu de militants dans le domaine religieux ou paranormal. Tout est confondu, tout est “normal”, tout est égal. La situation s’accorde assez bien avec les courants philosophiques dominants, puisque l’anti-rationalisme et les critiques de l’objectivité de science sont récurrentes chez nos plus grands philosophes contemporains; et les différentes formes de néo-positivisme, ainsi que l’utilisation de la logique en philo, sont extrêmement mal vues. Au point qu’à l’université, en fac de philo, Wittgenstein est optionnel... je connais d’ailleurs un docteur en philosophie qui ne l’a même pas lu.
Gaël.
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