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Re:Re2:Religion et sceptiques


Re: Re:Religion et sceptiques -- Stéphane
Posté par Gérald Esse , Nov 17,2002,12:53 Index  Forum

====== > Je ne voudrais pas abuser de votre temps, mais je ne catche toujours pas
1) pourquoi il y a une différence entre "Kurios" et "Jéhovah"; pourquoi les TJ doivent réserver Jéhovah au "père".
2) pourquoi on obsède avec le NT en grec, spécifiquement.

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Questionnez mon cher, vous n'abusez pas du tout !

Pour ce qui est de la théologie propre des Témoins de Jéhovah, il faudrait leur demander pourquoi ils traduisent ainsi !

Puisque mon propos n'est pas théologique, mais philologique, je ne peux que répéter ce que j'ai dit plus haut. C'est un constat que je fais, et en aucun cas je ne veux gommer un texte écrit au 1er siècle de mon interprétation propre. Si les auteurs des livres qui composent le Nouveau testament ont écrit "Kurios" plutôt qu'un autre mot, ils devaient avoir leurs raisons. Un historien doit alors prendre les données textuelles telles qu'elles se présentent à lui, et non pas modifier le texte afin de défendre une thèse, une religion, une loge ésotérique, ou quoi d'autre encore !

Dans le cas qui nous occupe, je répondais à Emmanuel qu'il est faux de prétendre que certains manuscrits grecs du Nouveau testament portent le mot "Jéhovah" ou "YHWH", ou quoi que ce soit du genre. J'ai fait de la paléographie, et j'ai travaillé un bout de temps sur le manuscrit P46 des épîtres de Paul (qui est le plus ancien, il date du 2e siècle, il est conservé à Dublin à la Chester Beatty Library). Et je vous assure que le Tétragramme n'y est pas ! Les manuscrits grecs qui portent le Tétragramme sont des manuscrits de la Septante, c'est à dire, la traduction grecques de l'Ancien Testament qui était en usage dans les communautés juives hellénisées du 2e siècle av JC jusqu'au 1er ap. JC. Cette version deviendra la version standard utilisée par les Chrétiens, qui n'ont pas cru bon de recopier le Tétragramme dans leurs copies, suivant en cela l'usage des écrivains du Nouveau testament qui ont constamment utilisé le mot grec "Kurios", autant pour Dieu le Père que pour Jésus.

Le danger pour nous qui sommes du 21e siècle est de ne pas lire ce que le texte dit, mais ce que nous voulons y trouver, ou encore de modifier les données que nous ont transmis l'histoire et de les modifier à notre gré. Si quelqu'un s'intéresse au Nouveau testament, quelles que soient ses raisons, il est à mon avis essentiel de le lire et de lire exactement ce qu'il dit. Idéalement, il faut aussi le lire dans la langue dans laquelle il fut écrit. Le problème avec un texte comme le Nouveau testament est qu'il sert de livre de base à une panoplie de groupe religieux. Mais ces groupes s'intéressent-ils vraiment au Nouveau testament ou bien si ils ne s'intéressent qu'à eux-mêmes ? Il faut se poser la question. Un historien qui aborde ce texte doit lire ce qui y est écrit, en faisant fi de la thèse religieuse contemporaine de l'un et de l'autre.

Ceci m'amène à votre deuxième question, Il ne s'agit pas d'une obsession, mais bien de lire un texte dans sa langue de rédaction dans le but de faire un travail d'historien sérieux. Un pharmacien qui me ferait mes médicaments avec des instruments de mesure imprécis ne resterait pas mon pharmacien bien longtemps ! Dans le cas du Nouveau testament, les 27 livres qui le composent furent écrits en grec. Une recherche historique et philologique sérieuse sur ces textes doit se faire dans cette langue, et surtout pas dans une traduction moderne ! (Et oui je sais, la majorité des groupes religieux contemporains se ne sont pas de cet avis, ils ont tous leur traduction à eux, et la prétendent meilleures que celles des autres. Les premiers à avoir agit ainsi dans l'histoire sont les Catholiques Romains - qui soit dit en passant n'ont jamais constitué qu'un groupe parmi les autres, même si ils furent majoritaires en Occident durant une bonne partie de notre histoire - avec la Vulgate latine de Jérôme.) Et ce texte grec, comment nous est-il connu ? L'Église Orthodoxe (ainsi que les autres Églises d'Orient) l'a pieusement conservé et recopié. Mais encore mieux, des découvertes archéologiques au 20e siècle nous en a fourni de nombreuses copies fort anciennes (dont le fameux P46 que j'ai évoqué plus haut). La critique textuelle du Nouveau testament a fait des progrès considérable ces dernières années, et le texte est aujourd'hui aussi bien établi que peut l'être celui de Platon, de Démosthène ou de n'importe quel autre auteur de l'antiquité classique. À mon humble avis, les philologues ont le droit (et peut-être le devoir ?) d'étudier ce texte et de l'aborder avec les même instrument méthodologiques qu'ils utilisent lorsqu'ils étudient Sénèque ou Aristote ou Épictète, ou n'importe quel autre auteurs antiques.

Je conçois parfaitement que ça peut paraître étrange au commun des mortels qu'un historien s'intéresse à la formation du Nouveau testament et aux origines du Christianisme, mais croyez-moi, ça existe ! J'en suis la preuve vivante ! Et jusqu'à un certain point, je crois qu'il peut être utile que ce soit fait. Et puisque j'ai maintenant le temps de le faire, je consacre la majeure partie de mon temps à cette période de l'antiquité tardive. C'est une période des plus intéressante ! Même que j'y découvre des analogies avec la nôtre ! À la fois un boum scientifique (avec leurs moyens, ne soyons pas trop sévères) et à la fois un boum d'obscurantisme et de syncrétisme religieux. Par exemple, la montée du culte impérial, l'introduction des religions orientales dans l'Empire, les nombreux prophètes oraculaires, etc…

Le Nouveau testament et le christianisme prennent naissance dans ce milieu. Les chrétiens d'aujourd'hui veulent malheureusement lire ce texte en l'isolant de son milieu, en faisant "fi" de la lexicologie du grec ancien, ou en cherchant à interpréter ce livre comme si il était tombé du ciel aux USA après la première guerre mondiale. Or, ce texte pour être bien compris doit être replacé dans son contexte historique. Il doit être lu en tenant compte de la signification des mots tels qu'ils étaient utilisés au premier siècle.

Les historiens de l'antiquité qui s'intéressent aux origines du christianisme sont constamment soupçonnés de faire de la propagande religieuse, autant par les croyants (qui les traitent d'impies) que par les incroyants (qui ne comprennent pas tout à fait le "pourquoi" de faire une telle recherche et qui les soupçonnent malheureusement trop souvent de défendre une thèse religieuse au détriment d'une autre, alors qu'ils font de la recherche historique). À mon avis, c'est aussi légitime de faire cela que de faire l'histoire de la deuxième guerre mondiale !

Comme je vous disais plus haut, si quelqu'un utilisait les textes de Homère, et les modifiait en vue d'appuyer une quelconque propagande religieuse, j'en serais tout aussi outré et je chercherais autant à remettre les pendules à l'heure. Si les chrétiens veulent à tout prix suivre l'enseignement du Nouveau testament, ils ont le droit, et c'est leur affaire, mais qu'ils commencent premièrement par apprendre à lire !

Si vous avez d'autres questions, n'hésitez pas !

Cordialement,

Gérald


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