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Petite cure de non sérieux


Postée par decroix rené , Sep 22,1999,10:14 Index  Forum

Pour Rire ( pour ce que, comme chacun sait , " le rire est le propre de l'homme " : enfin, disons plutôt : comme le croyait encore Rabelais ) .

En fait, une nuit dernière, j'avais entrepris une réponse en commentant des extraits de Korg, Jean-François, Gaël bien sûr ( mon introducteur dans ce forum ) etc., mais l'oubli du lieu venant, des pages et des pages … [ Dernière minute : et bien ici aussi...tant pis] et j'me suis dit : mon vieux rené tu deviens complètement fou . Mais cela dit, cet exercice me servira ailleurs, et je vous en suis redevable.
C'était long mais aussi, j'en suis effaré à la relecture, fort sérieux (le ton, je veux dire, pas forcément le fond) , alors je me suis dit qu'il était temps de me prescrire un ou deux cachets de non-sérieux. Si vous lisez, et si vous avez le temps, vous me direz si je suis en voie de guérison …

Donc, si l'idée de Dieu était détruite, ce serait bientôt le paradis sur terre : ce qui revient pour certaine idée de Dieu à remplacer Dieu par la Mort de Dieu …en fait tout continue à dépendre de Lui … il doit rire …
Mais, pour des sceptiques du forum, très largement cette idée s'inscrit sans doute dans une suite logique de la croyance au salut par la science .
Notons que tout cela a bien des accents religieux …

Donc , supposons : Dieu est définitivement mort , dans tous les neurones humains de la terre, et reste la science.
Ici, le mot science est ordinairement requis pour désigner une connaissance qui veut devenir et rester connaissance objective.
Mais la science, parfois aussi ne considère la connaissance de la nature qu'en tant que moyen, la finalité étant le pouvoir sur la nature.
Débat qui donnerait encore lieu à beaucoup d'opinions et recommandations, mais nous allons essayer de l'éviter, en réduisant notre propos.
Aujourd'hui, c'est une donnée je crois incontestable, même la recherche de savoir pur sans intention de savoir faire ne peut plus se passer de l'instrumentalisation : recherche pure et technologie sont indissociables, et le scientifique est sans cesse en va et vient de l'une à l'autre. La physique des particules élémentaires en est sans doute la meilleure illustration . Pour une bonne part, la partie purement théorique dans son élaboration déborde de la science, c'est épistémologie, et plus loin encore philosophie non pas de mais à partir de la science.
Deux exemples pour marquer la différence, avec digressions en suggestions de prolongements :
-- Science utilitariste : ( je vais éviter le nucléaire, etc.) : la recherche d'une espèce d'abeilles plus rentable a conduit, par incident de laboratoire, à lâcher dans la nature une nouvelle espèce dite maintenant " abeilles tueuses ", car responsable chaque année de bien des morts aux Etats-Unis, et qui est actuellement parvenue en Espagne ( vu hier soir à la TV) . On ne trouve pas la parade médicale.
Science utilitariste, mais notons que la même chose peut arriver si exactement le même programme de recherche ne visait qu'une connaissance pure dans le monde du vivant, en l'occurrence dans le domaine génétique. L'articulation la plus élémentaire est sans doute la suivante : le chercheur désintéressé a besoin d'un financement, et donc …
Cet exemple pour suggérer qu'il est parfois trop facile de séparer les deux types de démarche pour proposer une solution simple : l'une oui, et l'autre non , dirons-nous en donneurs de leçons : c'est en gros, à mon avis, de plus en plus souvent un baratin purement formel, tant que l'on ne sera pas capable de prouver que le contribuable est disposé à payer des gens pour chercher sans espoir d'application très matériellement bénéfique pour lui .

Digression :
C'est qu'il y avait un enjeu éthique, dans cette mort de Dieu , avec une belle intervention sur le thème de la morale enracinée en animalité : néanmoins, peut-être, ne pas oublier que le principe régulateur premier est souvent la répartition dominants/dominés, que le besoin social n'entraîne pas la société-fraternité hors des cas de renforcement communautariste par ennemi commun : une autre communauté , etc.
Ne se situant plus par rapport à un être supérieur, puis pur esprit , l'homme se situe par rapport à l'animal ; normal, mais les dérapages peuvent très fort se ressembler , quoique se niant l'un l'autre . Le plus primaire va vers la Bonne Nature ( une sacralisation, encore…) via le Bon Sauvage (un mythe, aussi… )
Un signe peut-être : la recherche passe de l'université - ce lieu théoriquement au départ de la recherche désintéressée (mais aussi réserve de larges fauteuils, ou de tribunes théâtrales pour envoyer les autres prendre des risques inconnus du fonctionnaire…) -- au privé, de plus en plus, et en réaction l'université doit travailler à l'aide de contrats avec l'industrie … : il est vrai qu'il y a un mouvement inverse dans l'ensemble social, dû je crois essentiellement au chômage, avec une perspective d'amenuisement irréversible de l'emploi : il faudrait donc prédisposer les gens à vivre de manière plus désintéressée, d'où les essais d'orientation de l'intérêt vers le culturel, seule manière d'éviter que les loisirs forcés foutent le bordel dans la société (voir le problème des trop jeunes inactifs (avec fonds de pension qui ont gouverné chez nous de retentissantes et récentes tractations bancaires) aux Etats Unis…). Evidemment, pour avoir une source purement utilitariste, ce mouvement n'en serait pas moins à applaudir : mais replaçons les causes réelles derrière les motivations déclarées (j'ai souligné parce que cela s'appliquerait à votre mort de Dieu … de même dans ce qui suit) , même si en toute bonne foi le discours ne sait pas qu'il est second, (l'argument de " prétexte " est donc lui aussi à manier avec précaution , en contrepoint de ma remarque précédente : j'ai appelé ce thème : " le mensonge vrai " …) qu'il est non pas innovant mais servant. Je pourrais proposer de voir même le début de ce mouvement dans le système de subventions sur fond public (Etat, région, mairie) d'activités artistiques diverses ( suite républicaine de l'antique mécénat princier) : on peut financer n'importe quoi , -- et je ne suis pas le seul à trouver qu'il y a beaucoup de n'importe quoi -- le bénéfice étant finalement de retirer un volume de personnes du marché de l'emploi " productif ". D'une certaine manière, le secteur productiviste, capitaliste, etc., a intérêt à l'existence de sa propre contestation : ceux qui ne veulent pas rentrer dans le système (encore un mot de mythologie moderne) lui rendent service, si la contestation est bien gérée, dans des bornes bien fixées mais transparentes : c'est autant de moins à licencier un jour …Et, dans la critique généralisée du " libéralisme sauvage ", on voit encore rarement sans doute, comme le disait je crois Coluche, quelqu'un qui trouve insupportable de gagner trop d'argent… Une plus juste répartition n'est pas forcément d'abord un élan d'humanisme, c'est aussi une mécanique nécessaire au système qu'apparemment elle conteste .

Raccrochage au thème :
Or Dieu fut aussi parfois - on ne me contestera pas la chose je pense une fois habillée de ce " parfois " -- une motivation annoncée dans les discours sur la nécessité du partage … Avant les décrets lapidaires de mort de Dieu supposée laissée place à une fraternité enfin épurée, une comparaison plus sérieuse peut-être s'imposerait .

-- Science pure : ici, pour essayer de ne pas relancer tout de suite les débats standards, je vais plus ou moins construire l'exemple .
Je reprends un point précédant : la recherche sur les particules élémentaires , bien que ses résultats se soient exprimés de plus en plus en un langage mathématique pur - réellement pur, lui, car dans ce cas : plus de correspondance possible avec le langage ordinaire -, il reste que l'établissement des résultats est liée à une expérimentation - Goethe n'aurait pas été content, lui qui fustigeait l'optique de Newton déjà - faisant appel à une technologie de plus en plus haute.
Et j'ajoute ceci : acceptons le principe de non-séparabilité, de non localisation, accepté par beaucoup de ces physiciens , (des explications claires dans Bernard d'Espagnat.), considérons que même si cette non séparabilité s'interdit la transmission d'un signal, d'énergie, ( Einstein oblige, avec l'indépassable c) , elle apporte des requalifications essaimées dans l'espace et ce, éventuellement sans limite . Alors une expérience à haute énergie dans un laboratoire peut lâcher un essaim de particules , comme les abeilles précédentes, qui quasi instantanément requalifierait le système auquel nous appartenons, et voilà, la science a pris le relais du bouddhisme plusieurs fois évoqué dans le débat, tout est enfin fini pour nous. S'il plaît à l'un ou l'autre, appelons le nouveau monde installé : le nirvana …- et si comme beaucoup le disent notre monde actuel est véritable chaos, alors le scientifique dans son laboratoire n'a réédité que la création du Dieu de la Genèse .
Science fiction ? Peut-être, mais pourtant imaginable me semble-t-il . Et à moins qu'il ne s'agisse d'une boutade , voir une question proposée actuellement (sondage) sur le site cyberscience :
" En novembre, on désire réaliser une expérience en physique des particules qui comporte un risque théorique infime de détruire la Terre. Devrait-on bannir toute expérience scientifique présentant un risque, même lointain, de catastrophe planétaire ? "

Il est certain que le Dieu dont vous réclamez la mort a disposé, et dispose encore, via le bras armé de ses prêtres et fidèles, de la vie et de la mort d'un nombre incalculable d'humains. Il est certain aussi - mais cette fois sans doute bien davantage dans les discours que dans les faits-- , que ce même Dieu a demandé le respect de toute vie ( j'espère que l'on ne va pas ici ressortir les cas où il demande de tuer, etc., ce que je dis, c'est qu'il y a les deux discours, tous les deux au nom de Dieu) . Dans les deux cas, il donne ses raisons.
La raison scientifique vouée à la recherche pure ne donne pas d'autre raison que sa raison, autant dire qu'elle n'en donne pas. Dois-je le rappeler, j'ai beaucoup de sympathie pour cette raison, mais n'est-ce pas aussi élire une transcendance, une tentative de transcender notre donné à l'avance par le savoir ? Et pour provoquer encore : n'est-ce pas une forme pérenne, depuis la plus primitive magie jusqu'aux plus spéculatives théologies, de la prise de possession par la faculté de nommer les choses ? ( Dans la Bible, l'homme essaie d'arracher le nom de Dieu, qui refuse de le lui donner … en Egypte antique, on a un scénario à partir d'exactement le même principe, etc.) Une différence est peut-être ici : cette raison est orgueilleuse là où l'autre est vaniteuse … .
Une conséquence pourrait être la suivante : dans la mesure où Dieu donne ses raisons, il peut être critiqué rationnellement, il peut être confondu par la raison , et dans la mesure où la science n'en donne pas, sa raison échappe à la raison. Autrement dit, cette démarche de science pure est un pur acte de foi, une pure adhésion avant toute pensée, on pourrait donc dire une pulsion préalable tout à fait religieuse, et ce temple de rationalité n'est temple que parce qu'il est construit sur un irrationnel sui generis .

Bon, c'était pour rire. Et en particulier pour suggérer de ne pas trop se pendre au sérieux lorsque dans deux ou trois phrases on règle toute cette question d'anthropologie religieuse, lorsque dans un théorème en trois lignes on démontre une loi simple ayant gouverné des millénaires d'humanité, jusqu'à ce que cerveau éclairé, -- le nôtre, cela va de soi -- tout à coup … mais comment dire : une illumination peut-être ?


Mais je ne peux m'empêcher : un modèle moins simpliste (peu importe ici qu'il soit vrai ) , avec un auteur qui a défrayé la chronique dans ce domaine : René Girard ( un incontournable à mon avis : La violence et le sacré). Un schéma : au commencement il y a le mimétisme d'appropriation ( en disant vite et sous réserve d'erreur de ma part : convergence des désirs sur un même objet, ce qui est banal, mais non pas tant pour l'objet lui-même que par appropriation des désirs de l'autre, ce qui est plus original) ; source de désordre menaçant la société ; le remède trouvé par la société se concrétise dans le rite sacrificiel , avec culpabilité déclarée (d'où le bouc émissaire…) ; alors l'innovation juive sera celle-ci : la proclamation de l'innocence de l'émissaire (c'est donc René Girard qui parle). Ma question est la suivante : non seulement supprimons l'innovation juive, en tuant le Dieu qui lui a correspondu, et surtout - en accord avec ce que j'ai lu sur le forum-- laissons la place vide ( et encore une fois Dieu a une histoire, ne pas le définir par un moment de cette histoire) ; est-on sûr de ne pas libérer à nouveau les mécanismes qu'elle voulait enrayer ( c'est arrivé au milieu de notre siècle, avec Hitler, ( Korg va dire : et CECOUPCIVLAHITLER…) mais vous me direz : nous n'avons rien à voir avec ces millions d'abrutis d'allemands des années 20-45 : certes …le mieux est de dire ça.)

Dernière remarque : ce n'est pas en général en tuant les idées que la pensée a progresser, c'est en les corrigeant, c'est en les dépassant, mais ce n'est pas tout , et à mon avis l'essentiel est ici : le dépassement d'une idée a été fécond s'il commençait non par un éloignement, mais au contraire par une fouille systématique en tout recoin de ce qu'il s'agissait de dépasser ; nous sommes alors souvent redevables d'une idée que nous apprécions envers l'idée qu'elle a niée pour advenir. Et pour la science , Bachelard, encore Bachelard : l'esprit scientifique est le résultat d'une perpétuelle série de rectifications . Mais pour pratiquer la Philosophie du Non (livre court et lumineux…à mon avis) , le meilleur moyen n'est sûrement pas de tuer d'abord ce à quoi on veut entreprendre de dire non (ça, c'est plutôt la méthode Khmers Rouges : et VLACORE…, salut Korg … )
Et au nom de quoi , par exemple, irions nous tuer l'idée de Dieu dans le cerveau de Voltaire ?
Pour délit d'intolérance ?

Et pour un sceptique empirique, me semblait-il, le premier n'est pas l'idée qui habite un cerveau, mais ce que le propriétaire du cerveau en fait ( vieux thème, que j'avais utilisé en répondant à Gaël, à propos de Heidegger…) . C'est ce qu'il en fait, le " Fait " ( K. Popper…)

Mais dans quelle mesure et de quelle manière les actes sont-ils réellement reliés aux idées qui apparaissent dans les discours qui les précèdent, les accompagnent et leur succèdent, c'est une autre question…

Un exemple d'application : supposons un croyant qui s'oppose à la science . J'ai deux possibilités :
-- Je lui réponds qu'il a tort de s'opposer à la science, et que donc ses raison sont mauvaises ; dans ce cas, pour un observateur extérieur, un troisième, à son dogme j'oppose un dogme.
Ou bien je dis : je ne sais pas si tu as raison de t'opposer à la science ; dans le cas où tu aurais raison, il y a encore deux possibilités : tu t'y opposes pour de bonnes ou de mauvaises raisons (dans le deuxième cas, tu aurais raison par hasard : et bien sûr même chose dans la situation symétrique, même chose pour qui s'oppose à l'idée de Dieu…) . Et alors notre discussion ne porte plus sur la valeur de l'attitude , mais sur la valeur des arguments, que nous pouvons discuter ensemble pour eux-mêmes ; l'enjeu s'est déplacé au moins dans les règles de la partie que nous jouons à l'instant, les interlocuteurs peuvent toujours se dire : si mes raisons actuelles sont insuffisantes, j'en trouverai d'autres, ce qui peut contribuer ( mais c'est pas donné d'avance…) à libérer salutairement la violence de la raison sans risque de contamination de la violence à des niveaux plus primaires , ( ce qui me rappelle un vieux souvenir : appliquant ce cas de figure avec des militants communistes , la conclusion pouvait être : bon, je ne sais pas te répondre, mais un tel, qui anime les réunions, saurait te répondre … ) .
Mais aboutir à ce que les uns et les autres , -- je dis donc bien : lui et moi --, doivent chercher d'autres raisons, n'est-ce pas s'engager dans cette voie de rectification ininterrompue de rectifications… (je savais bien que je finirais avec Gaston Bachelard) .

Une idée que l'on tue ne laisse pas même un vide, ce n'est jamais qu'un cadavre déposé dans un cerveau . Pour qu'il reste un vide sans pourriture, il faut qu'elle soit congédiée par son propriétaire lui-même ; pour qu'elle conduise fertilement à une autre idée, il faut qu'elle soit cultivée par son propriétaire lui-même .
Mais dans tous les cas, prévoir ce qui adviendra chez l'autre de cette évacuation ou de cette transformation, c'est encore fort risquer d'osciller soi-même entre impérialisme et gourouisme .
Non merci, serait-ce pour les meilleures intentions du monde … (Sur ce point, Sartre avait raison …)

Bon redisons-le : c'était pour rire.




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