Quelques précisions sur les EHC ou OBE (Expériences Hors du Corps, Out of Body Experiences)
Dr Jean-Pierre JOURDAN
A propos d'un article (1) paru dans la revue Nature ( http://www.nature.com/nature/ ) le 19 septembre 2002
Lors d'une exploration neurochirurgicale du cerveau chez une patiente atteinte d'épilepsie, des médecins suisses ont déclenché à plusieurs reprise une réaction ressemblant fort à une expérience hors du corps. Ce phénomène a t-il donc trouvé une explication, ou les choses sont-elles plus compliquées qu'il n'y parait au premier abord ?
L'épilepsie est la traduction d'une activité électrique anormale de certaines zones du cerveau. La forme la plus connue touche les centres moteurs, ce qui se traduit par une crise convulsive généralisée, mais les symptômes peuvent être très différents selon la zone cérébrale touchée. En général, la symptomatologie, l'EEG, l'imagerie par résonance magnétique (IRM) ou le scanner permettent de cerner cette dernière, mais dans certains cas ces examens sont négatifs. Dans ce cas on emploie une technique qui consiste à stimuler directement la surface du cerveau par des électrodes sous durales. Comme les patients ne sont pas anesthésiés et peuvent parler, ils peuvent décrire les sensations produites par la stimulation de telle ou telle zone, et quand la stimulation déclenche les mêmes symptômes que les crises la zone responsable est trouvée.
Dans le cas qui nous intéresse, des médecins suisses procédaient à cette exploration chez une patiente de 43 ans, droitière, atteinte d'épilepsie partielle complexe depuis onze ans. Les symptômes semblaient impliquer le lobe temporal droit sans que l' IRM ait permis de déceler l'origine de ces crises.
Lors de cette exploration, les stimulations ont porté en particulier sur une zone située à cheval sur les lobes temporal et pariétal, le gyrus angulaire (2) ou pli coudé. A ce moment, alors que le courant était relativement faible (2-3 mA), la patiente a décrit une impression de s'enfoncer dans son lit, puis celle d'une chute, interprétées par les auteurs comme une réponse vestibulaire (3). C'est lors d'une stimulation légèrement plus forte (3,5 mA) qu'est apparue ce qui ressemble fort à une "expérience hors du corps" : la patiente déclare se voir de dessus, allongée sur le lit, mais elle ne voit que ses jambes et la partie inférieure de son tronc. La même stimulation lui a donné à d'autres moments une impression de légèreté ou de flottement. Lors de stimulations de plus forte intensité (4,5 mA), il lui a été demandé de regarder l'un de ses bras qui était levé, elle a eu l'impression qu'il allait la frapper ou qu'il raccourcissait.
Dans la mesure où ces stimulations provoquaient à la fois des illusions de transformation des membres (réponses somatosensorielles complexes) et des impressions de déplacement du corps entier (réponses vestibulaires), les auteurs pensent que ces expériences résultent d'un échec du cerveau à intégrer ces différentes informations.
Peut-on en déduire que les EHC ou OBE sont en voie de trouver une explication ?
Au vu de cet article, une analyse superficielle peut en effet laisser penser que les expériences hors du corps sont en fait une illusion sensorielle, due à un fonctionnement particulier de certaines zones cérébrales, comme en témoigne la réaction du psychologue Michael Shermer, président de la Skeptic Society, qui y voit "un coup dur de plus pour ceux qui croient que l'esprit et la conscience peuvent être d'une manière ou d'une autre séparés du cerveau."
Le neurologue Bruce Greyson (université de Virginie), directeur de la recherche de Iands-USA, a une position nettement plus ouverte :" Ce n'est pas parce que des stimulations électriques du cortex sont capables d'induire l'illusion de se trouver hors de son corps que nous devons en déduire que les expériences hors du corps sont toutes des illusions".
En fait, cette expérimentation appelle quelques remarques :
Tout d'abord, il ne s'agit pas d'une "première", puisqu'un neurochirurgien exerçant à Montréal, Wilder Penfield a déjà décrit (4) dans les années 5O les résultats d'expérimentations consistant à stimuler électriquement différentes zones des lobes temporaux lors d'interventions pour épilepsie temporale. Les patients n'étant pas endormis pouvaient, comme dans l'expérimentation suisse, décrire leurs perceptions. Les zones amenant les réponses les plus intéressantes se trouvèrent, à droite et à gauche, au niveau des faces latérales et supérieures des lobes temporaux. Les phénomènes décrits étaient des réponses motrices, des illusions sensorielles ou somatiques, des sensations de vertige, l'impression de quitter son corps, mais aussi des phénomènes beaucoup plus complexes, comme des rappels de pans entiers de souvenirs, sensations de déjà vu, audition de morceaux de musique, reviviscence de certains moments de la vie, etc.
Dans l'article de Penfield, on trouve un bon exemple concernant l'impression de sortie du corps : la stimulation portait sur un point situé à 2 cm à l'intérieur de la scissure de Sylvius, donc de la face supérieure du lobe temporal. Cette stimulation provoqua une perception de doux-amer sur la langue du patient . La stimulation fut coupée, et sur l'électrocorticogramme apparut un rythme lent à 4 hz généralisé (post décharge). C'est à ce moment que le patient s'exclama : "mon dieu, je sors de mon corps". Quand l'électrocorticogramme revint à la normale, cette sensation disparut.
Il est à noter que les zones stimulées par les médecins suisses et par Penfield à cinquante ans d'intervalle sont très proches, qu'elles sont toutes deux situées à droite et qu'elles sont effectivement proches aussi du cortex vestibulaire.
Il est tout à fait compréhensible que la stimulation électrique des zones qui ont pour but d'intégrer les informations somatosensorielles et vestibulaires puissent donner des illusions portant effectivement sur la position du corps, sur ses mouvements et sur des modifications de la sensation de pesanteur. Il est aussi évident que la perception du corps lui même et des membres puisse être perturbée ou exagérée. De même, la stimulation de zones associatives correspondant à l'audition provoque des hallucinations auditives complexes, et celle des aires visuelles provoque des hallucinations visuelles et la vision de scènes plus ou moins complexes, ce qui n'a rien de sorcier !
Dans la mesure où le gyrus angulaire intègre aussi les informations visuelles, on peut comprendre que les illusions concernant aussi bien la position du corps que les sensations de monter, de descendre ou de se sentir léger puissent être intégrées et perçues en dernier lieu comme impressions visuelles, donnant alors l'impression de voir son propre corps (ou une partie de ce dernier) de l'extérieur, au lieu de le percevoir "de l'intérieur" comme à l'accoutumée. Et assurément ce doit être une impression étrange !
Les témoignages d'OBE (que l'expérience soit "simple" ou qu'elle marque le début d'une EMI) sont-ils donc dorénavant à classer dans la catégorie des hallucinations ?
Une hallucination est définie comme une "perception sans objet". Et c'est précisément parce que certains témoignages rapportent une perception précise et détaillée non seulement du corps, mais aussi de son environnement, donnant des détails qui n'ont à aucun moment pu être perçus avec les organes sensoriels, que l'on ne peut, dans ces cas précis, parler d'hallucination.Ce point est fondamental, car il y a là une perception objective, même si elle est inexplicable, d'objets tout à fait réels.
Il y a donc en fait très probablement plusieurs catégories d'OBE/EHC. Si le phénomène mis en évidence par les médecins suisses est dû à un fonctionnement cérébral particulier (spontané ou provoqué) qui procure au sujet l'illusion de se trouver hors de son corps, d'autres expériences apparemment semblables ont, elles, des caractéristiques qui les en différencient. Nous sommes donc conduits à répondre à la question suivante : comment différencier une illusion d'OBE d'une expérience "réelle", si celle-ci existe ?
Une première réponse peut être déduite, précisément, des deux cas rapportés par Penfield et par l'équipe suisse : quand il s'agit d'une illusion (qu'elle soit spontanée ou provoquée par une stimulation électrique), celle ci ne peut porter que sur des éléments "internes", connus et mémorisés par le cerveau. Ce sont essentiellement la perception du corps, de ses mouvements et de sa position dans l'espace.
Si une personne déclare " j'ai eu l'impression de flotter au dessus de mon corps, et je me suis vu allongé (dans telle ou telle position)", les perceptions décrites concernent uniquement le corps, et nous avons vu qu'elles peuvent être induites artificiellement. Il peut donc s'agir dans ce cas, d'une perception "illusoire" d'un objet réel, le corps, le tout pouvant avoir une explication tout à fait plausible dans le cadre de nos connaissances actuelles.
A l'opposé, certains témoignages rapportent une perception objective d'"objets" extérieurs au corps, dont voici quelques exemples, le premier ayant été recueilli par un cardiologue américain (7) et le second reproduit d'un article (5) récent :
« J’ai entendu un bruit mécanique.. Ca m’a fait penser à la fraise du dentiste. C’était
comme si le bruit me poussait, et finalement je suis sortie par le haut de ma tête. Dans cet état, j’avais une vision extrêmement claire de la situation. J’ai remarqué que mon médecin avait un instrument dans la main qui ressemblait à une brosse à dents électrique. Il y avait un emplacement en haut, ça ressemblait à l’endroit où on met l’embout. Mais quand je l’ai vu, il n’y avait pas d’embout. J’ai regardé vers le bas et j’ai vu une boite. Elle m’a fait penser à la boite à outils de mon père quand j’étais enfant. C’est là qu’il rangeait ses clés à douilles. A peu près au moment où j’ai vu l’instrument, j’ai entendu une voix de femme, je crois que c’était la voix de ma cardiologue. Et la voix disait que mes veines étaient trop étroites pour évacuer le sang.. et le chirurgien lui a dit d’utiliser les deux côtés. »
Cette patiente, que l'on préparait pour une intervention sur un anévrysme cérébral, était en hypothermie profonde (15,8° C) lors de son expérience. L'EEG et les potentiels évoqués enregistrés au moment même de la scène qu'elle décrit montrent qu'elle n'avait aucune activité cérébrale mesurable. Et pourtant elle a pu percevoir et mémoriser un certain nombre de détails aisément vérifiables, y compris les dialogues qui étaient enregistrés. S'il y avait eu la moindre activité cérébrale, celle ci aurait été enregistrée, a fortiori s'il s'était agi d'une activité épileptiforme comme celle qui a pu être simulée par les médecins suisses et par Penfield. Ce cas est un exemple d'expérience parfaitement inexplicable, puisque les détails visuels et les dialogues ont été perçus et mémorisés par une personne dont le cerveau était totalement inactif. D'autre part, ces perceptions ayant pu être vérifiées, il ne s'agit pas non plus d'une "perception sans objet", éliminant l'hypothèse d'une hallucination.
« Je voyais à 360°, devant, derrière, en haut, etc.. J’avais à la fois une vision globale et une vision particulière. Je pouvais voir à la fois de loin et de près, jusqu’aux fibres du tissu qui recouvrait mon corps, je pourrais dire comment les gens étaient habillés, je pouvais voir le grès du mur, je voyais aussi les dalles du plancher de la salle. Plus tard, j’ai pu vérifier leur présence alors qu’il me semblait anormal et anachronique que l’on puisse trouver des dalles dans une salle d’opération. (…) J’avais plusieurs axes de vision différents en même temps (…). En même temps que je voyais l’ensemble de la salle d’opération, j’ai pu voir sous la table, donc simultanément depuis un autre point de vue, une plaque verte avec des lettres blanches qui portait l’inscription « Manufacture d’armes de Saint Etienne ». Quand j’en ai parlé au chirurgien, il m’a dit « on va aller vérifier ensemble ». Lui même n’était pas au courant de l’existence de cette plaque, qui était bien à l’endroit même et telle que je l’avais vue. (…) J’ai eu envie d’aller contre le mur, je ne sais pourquoi, je me suis rendu compte qu’il ne me résistait pas et je l’ai traversé. J’ai vu ce qu’il y avait de l’autre côté : un immense jardin, un garage à vélos, des voitures rangées, et je me suis retrouvé complètement à l’extérieur. (la première chose que j’ai faite en me réveillant a été de demander à me lever pour regarder par la fenêtre et vérifier la présence du garage à vélos.) Quand j’ai fait cette description au chirurgien, il s’est avéré que tout était exact.
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