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ÉTUDES. Après s’être longtemps méfiés des miracles, les scientifiques
s’efforcent de les analyser sans préjugés
Apparitions, guérisons, extases: le surnaturel à l’épreuve de la raison
Mardi 24 décembre 2002
Le triomphe du rationalisme dans les deux derniers siècles a repoussé le
surnaturel dans les oubliettes. Même l’Eglise catholique en est venue à
traiter le merveilleux avec la plus grande prudence, à preuve la
méfiance tenace dont elle a fait preuve envers Padre Pio. Aujourd’hui,
toutefois, le vent tourne: le ‘Dictionnaire des miracles et de
l’extraordinaire chrétiens’, une somme élaborée par 230 spécialistes de
tous les horizons sous la direction d’un historien catholique, témoigne
de cette évolution.
Les scientifiques, qui se sont longtemps efforcés de démonter les
miracles, les considèrent désormais de façon plus ouverte. Les plus
courants - guérison, lévitation par exemple - se retrouvent dans
pratiquement toutes les religions. Certaines extases - comme les
expériences de «quasi-mort» - sont même expérimentées par des
non-croyants. Un examen sans a priori permet de mieux comprendre ces
phénomènes sans forcément les expliquer entièrement. Du côté de
l’Eglise, toutefois, la ligne n’a pas changé: si les miracles sont bien
des signes divins, ils ne sont jamais authentifiés uniquement par leur
aspect extraordinaire mais surtout par la foi et la pratique qui les
entourent.
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*Quand les scientifiques se mêlent d’étudier les miracles chrétiens *
Le surnaturel religieux, auquel participent certains épisodes
merveilleux de l’histoire de Noël, tient-il de la supercherie, de
l’hallucination ou de la réalité objective? Des publications récentes,
tel un dictionnaire monumental rédigé par quelque 230 spécialistes,
montrent un intérêt croissant pour la question au sein de larges cercles
de chercheurs
Patricia Briel
L’heure de la revanche du surnaturel a-t-elle sonné? Après des siècles
d’ignorance et de mépris, les phénomènes religieux extraordinaires
semblent actuellement bénéficier d’un regain d’intérêt, de la part de
milieux qui les ignoraient délibérément. Les scientifiques ne sont plus
aussi catégoriques qu’avant, et s’ouvrent aux faits d’exception.
Récemment, deux chercheurs américains, un neurologue et un psychiatre,
ont étudié les états mystiques sur des personnes pratiquant la prière et
la méditation (lire ‘Le Temps’ du 2 juin 2001). Les sciences humaines
ont cessé de bouder le surnaturel. Quelques publications récentes
témoignent de ce nouvel intérêt. La plus courageuse et la plus
intéressante est sans conteste le Dictionnaire des miracles et de
l’extraordinaire chrétiens, qui a réuni plus de 230 spécialistes venus
de tous les horizons sous la direction de l’historien Patrick Sbalchiero.
Toutes les grandes religions sont fondées sur des phénomènes
extraordinaires. Sans les miracles de Jésus et des apôtres tels que les
rapportent les Evangiles, le christianisme n’aurait jamais existé.
L’extraordinaire ne s’est pas éteint avec la mort des premiers
chrétiens. Les miracles jalonnent l’histoire du christianisme, jusqu’à
nos jours. On connaît le besoin qu’a l’homme de se rassurer et de
dépasser sa condition de mortel, et donc de croire au merveilleux. Mais
on aurait tort de reléguer trop vite le surnaturel dans le placard des
contes pour enfants. Il est troublant de constater que la plupart des
faits extraordinaires chrétiens se retrouvent dans les autres grandes
religions. Pour la première fois, un essayiste français, Xavier Yvanoff,
a comparé les phénomènes mystiques corporels à l’oeuvre en Occident et
en Orient. Mais ces phénomènes peuvent également intervenir en dehors de
tout contexte religieux. Les expériences de mort imminente, dont on
parle beaucoup aujourd’hui, sont une forme d’extase qui touche
apparemment aussi bien des personnes croyantes que non croyantes, et ce
dans le monde entier et dans toutes les cultures. Il faut bien le
constater: il existe des faits inexplicables en l’état actuel de la
science. A Lourdes, des guérisons spontanées et durables de maladies
graves et en principe incurables ont été observées par des médecins. Un
professeur agrégé des facultés de droit, président de l’Université Paris
VIII-Vincennes-Saint-Denis, a récemment mené une enquête dans les
coulisses de Lourdes et rassemblé des témoignages impressionnants*.
Le surnaturel est-il une hallucination, une projection de l’imagination,
ou un fait réel? Pendant des siècles, le miracle a relevé de l’évidence
et a servi à asseoir le pouvoir de l’Eglise ainsi qu’à convertir les
foules crédules. Les Lumières, le rationalisme philosophique, la
psychiatrie et la science ont battu en brèche l’extraordinaire chrétien.
La théologie elle-même s’y est mise, à tel point que l’Eglise redoute
aujourd’hui le miracle. Elle reste prudente face au surnaturel, et
maltraite parfois ces chrétiens qui bénéficient de grâces mystiques trop
évidentes, comme Padre Pio. Pour l’Eglise, les vertus héroïques sont
plus importantes que les phénomènes extraordinaires. Ce n’est plus le
miracle qui fait le saint, mais une vie de foi conforme aux exigences de
l’Evangile. Les événements surnaturels servent à authentifier la
sainteté d’une personne.
Mais le surnaturel est têtu. Aux XIXe et XXe siècles, il a continué à se
manifester en dépit du rationalisme, du scientisme et de la méfiance de
l’Eglise. Le curé d’Ars, Padre Pio, Marthe Robin, et tous les mystiques
chrétiens dotés de pouvoirs supranormaux, attestés par des témoins
dignes de foi, ainsi que les guérisons miraculeuses sont autant de défis
posés à l’entendement rationnel et scientifique. La science élucidera
peut-être un jour ces phénomènes. Le fait qu’ils restent inexpliqués
pour le moment ne doit pas empêcher de s’y intéresser, avec la prudence
qui s’impose.
* Pierre Lunel, Les guérisons miraculeuses. Enquête sur un phénomène
inexpliqué, Plon, 248 pages.
«Depuis les Lumières, le surnaturel est devenu un domaine maudit pour
un grand nombre d’ecclésiastiques»
Le coordinateur du «Dictionnaire des miracles et de l’extraordinaire
chrétiens», Patrick Sbalchiero, commente le regain d’intérêt actuel pour
l’irrationnel.
Propos recueillis par Patricia Briel
Le Temps: On assiste actuellement à un regain d’intérêt pour
l’irrationnel. La publication de ce «Dictionnaire des miracles et de
l’extraordinaire chrétiens» surfe-t-elle sur cette vague?
Patrick Sbalchiero*: Non. Cet ouvrage n’a absolument pas voulu donner
dans le sensationnel. En ce début du XXIe siècle, on constate
effectivement le paradoxe suivant: nous vivons d’une part dans une
société rationaliste et matérialiste, et nous assistons d’autre part au
retour en force de l’irrationnel, qui se présente sous différents
aspects, comme l’occultisme et le spiritisme. Or, on ne peut pas réduire
le merveilleux et l’extraordinaire chrétiens à l’irrationnel. On ne peut
pas non plus se contenter du regard rationaliste et réducteur que pose
le monde contemporain sur les phénomènes extraordinaires. Ceux-ci ont
été mal compris, marginalisés et dévalorisés. Depuis les Lumières, le
surnaturel est devenu un domaine maudit pour un grand nombre de
scientifiques et d’ecclésiastiques.
Cependant, j’observe actuellement que les sciences humaines et
naturelles s’intéressent de plus en plus au surnaturel. Des psychiatres
et des neurologues font des expériences sur les personnes qui ont des
visions de la Vierge ou du Christ, recourent à l’encéphaloélectrogramme
pour obtenir des informations sur les extases et les états modifiés de
conscience, etc. Ce dictionnaire veut soutenir ce mouvement naissant et
poser un nouveau regard, à la fois critique et ouvert, sur les
phénomènes extraordinaires. Il poursuit un double but: sortir
l’extraordinaire et le merveilleux chrétiens de leur exil pour inviter
les sciences humaines et naturelles à s’y intéresser, et faire oeuvre de
clarification. Il règne en effet un certain flou intellectuel dans le
domaine du surnaturel chrétien, qui confine parfois à la confusion.
- Pour réaliser cet ouvrage, vous avez eu recours à des universitaires
représentant divers domaines des sciences humaines et naturelles. Vous
avez également sollicité des spécialistes de la parapsychologie...
- Oui. J’ai choisi de leur proposer un espace éditorial dans ce
dictionnaire, ayant pris soin au préalable de me renseigner sur le
sérieux de leurs enquêtes et la probité de leurs recherches. On observe
des ressemblances entre des phénomènes paranormaux et certaines
manifestations mystiques. Ce qui pose des questions à la foi chrétienne:
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