Bon... je ne vais pas me creuser le cerveau pour répondre, c’est trop fatiguant et ça deviendrait chiant, surtout pour un débat qui a déjà eu lieu dans la presse et dans plusieurs bouquins récents. Je connais évidemment tous les arguments que tu développes pour défendre la rationalité scientifique, et je reconnais à certains une valeur qui me fait parfois - et même assez souvent - douter de ma position.
Ceci dit, à propos de Sokal et Bricmont, le moins que l’on puisse dire c’est que leur livre à été extrêmement critiqué - et qu’aujourd’hui tout le monde l’a oublié, du moins chez les philosophes. Même du côté scientifique remarque : leur livre s’est fait assassiner par le critique littéraire de “Pour la Science” (l’édition française du “Scientific Américan”).
Et “Impostures scientifiques”, un livre réunissant nombre d’intellectuels contemporains, a été publié en réponse au livre de Sokal et Bricmont, rendant bien bancale leur position.
Il est vrai, comme tu le dis, que les philosophes comprennent parfois de travers les concepts scientifiques. Mais note que nombre d’observateurs ont par ailleurs fait remarquer que Sokal et Bricmont ne comprenaient rien du tout aux philosophes qu’ils critiquaient ! Evidemment ceux-ci se défendent en disant que ce n’est pas étonnant vu que ce que disent ces philosophes n’a, selon eux, pas de sens. Mais n’est-ce pas l’immémoriale critique des imbéciles face à la philosophie qu’il ne comprennent pas, ce “ça ne veut rien dire” ?
Les philosophes postmodernes usent beaucoup des concepts scientifiques, c’est vrai, mais c’est souvent comme métaphores : ils appliquent des concepts qui viennent des sciences à des domaines qui n’ont rien à voir et où ils ne sont pas applicable - mais cette démarche est un choix méthodologique conscient qui a mené à bien des idées très intéressantes sur le plan philosophique. La philosophie, surtout la philosophie française contemporaine qui est celle visée par Sokal, a une particularité dont ils oublient de tenir compte et qui pourtant explique toutes les déviances constatées : sa principale revendication est l’abandon d’un langage clair et objectif au profit d’une profusion de concepts vagues qui doivent être compris de manière symbolique; et un désir de se rapprocher de la poésie et de la littérature - Et surtout pas du discours scientifique !!! Or Sokal et Bricmont veulent nous faire croire que si les philosophes usent de concepts scientifiques c’est pour donner plus de légitimité à leur discours en se rapprochant d’une science exacte. A quelque exceptions près, c’est totalement erroné.
“Mais, naturellement, les postmodernes se gardent bien d’attribuer ce relativisme à leurs propres théories. Ils nous les assènent avec une arrogance qui frôle la sottise lorsqu’ils se mêlent de mélanger à leurs savantes élucubrations des concepts scientifiques qu’ils maîtrisent plutôt mal”, nous-dis-tu.
Là il y a erreur. Les postmodernes savent qu’il n’y a aucune vérité à chercher, ils sont les premiers à relativiser leur idées, mais ils ne s’arrêtent pas à chaque page de leurs livres pour dire “attention, ce n’est qu’une hypothèse très personnelle” parce que c’est sous-entendu et évident puisqu’ils se déplacent plutôt dans le registre littéraire; et toute personne qui est un peu habitué à lire la philosophie contemporaine sait à quoi s’en tenir et sait prendre le recul nécessaire. En littérature, on ne prouve, ne réfute ni de démontre rien, on se contente d’essayer de faire ressentir quelque chose, un sentiment - où une idée comme c’est le cas chez la plupart des postmodernes. Le problème c’est que les critiques contre ces philosophes viennent toujours de personnes qui les lisent au premier degré et n’y comprennent donc rien. De la même manière que Omraam a le croit d’utiliser le terme “photon” sans qu’il s’agisse pour autant d’un discours scientifique, les postmodernes ont le droit de parler de mécanique quantique sans se faire emmerder par des scientifiques obtus qui viendraient leur dire “ce que vous dites ne signifie rien”. Car ce n’est que dans dans le champ du discours scientifique que cela ne signifie rien, pas dans celui du discours philosophique tel qu’il se développe aujourd’hui.
Dans le même ordre d’idées, il me semble que beaucoup de débats ici ont lieu uniquement parce que des scientifiques ne comprennent rien aux discours mystique. C’est pour ça que je m’attaquais au rationalisme : tant que les “sceptiques” n’accepteront pas de sortir de leur langage et de leur monde scientifique, il y aura ici des débats qui ne seront rien d’autres que des malentendus basés sur du vent; il n’y aura pas d’échanges, seulement des controverses absurdes.
Bon, passons à autre chose. Tu as produit une phrase délicieuse, je cite :
“Et que fais-tu du pouvoir prédictif des théories? Si celles-ci n’étaient que des constructions artificielles sans trop de rapport avec le réel, par quel hasard extraordinaire pourraient-elles réussir à faire des prédictions justes? L’héliocentrisme s’est imposé entre autres parce qu’une de ses prédictions, les phases de Vénus, avait été observée par Galilée. On avait d’une part un fait prévu par la théorie et d’autre part un fait que ne pouvait expliquer l’autre théorie.”
Tiens tiens... Pourtant La théorie géocentriste de Ptolémée a dominé 1400 ans, parce qu’elle avait un pouvoir prédictif supérieur à celui du système héliocentriste d’Aristarque... Et tu te trompes, elle avait même un pouvoir prédictif supérieur à celui du système de Galilée. Seules Venus (et Mars) entraient mieux dans la théorie de Galilée, les prédictions faites selon le système de Ptolémée étaient plus précises pour les autres objets célestes.
Bon là on pourrait ensuite évidemment discuter pendant des heures du rôle du télescope de Galilée et tout ça mais bon... y’a là aussi du pour et du contre et du flou et beaucoup de débats.
“Surtout que la plupart du temps, les nouvelles théories ne renversent pas vraiment les anciennes, mais viennent plutôt les englober dans un cadre plus large.”, dis-tu encore.
Le problème c’est ton “la plupart du temps”. Bin oui tu l’as bien vu ça ne se passe pas toujours comme ça, des fois une réalité est totalement remplacée par une autre qui est totalement différente, et c’est là que ça coince. Il n’y a qu’a voir les errements des théories sur la nature de la lumière depuis 2 siècles.
Et le fait que les théories anciennes soient remplacées par des nouvelles qui ne les réfutent pas mais les englobent est très discuté actuellement, et notamment sur l’exemple que tu prends (la relativité, Newton et Einstein). Ce sont les équations de Newton qui sont, non pas “vraies”, mais disons “utilisables dans la plupart des circonstances”. Ses calculs ok, pas sa théorie, qui fait référence à une conception du monde vraiment très différente de celle d’Einstein.
Tu dis qu’il y a peu de fraudeurs en science...qu’en sais-tu ? Certaines études ont pourtant montré qu’il s’agissait d’une pratique assez répandue. Et il existe des moyens pour contourner l’exigence de reproductibilité des expériences. A ce sujet lis le livre de Wade et Broad sur la fraude scientifique, “La souris truquée” (les auteurs croient d’ailleurs en l’objectivité de la science, malgré tout).
Le seul point fort de ton argumentation est que les théories fausses finissent toujours par être réfutées, le temps élimine les déchets. Mais remarque des fois ça met très longtemps (1400 ans pour Ptolémée). Notre science est récente, ne prouve que nous ne soyons pas encore dans une phase où toute une partie de la réalité nous est cachée de la même manière qu’une bonne partie des phénomènes célestes étaient cachés à Ptolémée. Rien ne dit que tout ne sera pas radicalement remis en cause. prendre un peu de distance ne nous ferait pas de mal. Je ne dis pas que tout sera forcément remis en cause. Je dis que cela fait partie des possibilités et que cela devrait nous enjoindre à un peu d’humilité. N’oublions pas que l’homme n’est qu’un pauvre animal incohérent et très limité (je ne parle pas que pour moi).
Autre phrase de ta part : “Enfin, je ne vois pas ce que tu trouves d’irrationnel à postuler qu’on peut expliquer la nature sans faire appel à des forces surnaturelles”
Excuses-moi, j’ai dû mal m’exprimer si tu as compris cela. Je n’ai rien contre le fait d’essayer d’expliquer la nature sans faire appel à des forces surnaturelles, au contraire. J’en ai seulement après la volonté de prouver que ces forces surnaturelles n’existent pas, contre le fait de dire : dans notre système il n’y a pas de place pour Dieu, donc Dieu n’existe pas. J’appelle ça de l’étroitesse d’esprit.
Bah, à part je ne suis pas d’accord sur le dernier point, je ne crois pas qu’il soit possible de monter une éthique (je préfère parler d’éthique plutôt que de morale) sans religion. J’ai toujours trouvé prodigieusement absurdes la plupart des systèmes philosophiques qui s’y sont risqués - surtout l’existentialisme sartrien.
Aïe...voilà, je me suis laissé emporter sur plusieurs pages alors que je comptais juste laisser quelques notes sur un débat au fond sans grand intérêt, parce qu’on ferait mieux de causer de choses concrètes, d’extraterrestres ou de petites cuillers tordues... Pardonnes-moi, tout cela est de ma faute, j’ai trop le goût de la théorie.
Toutefois je prend plaisir à cette lourde conversation,
Gaël.
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