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Re:Science, raison et connaissance


Re: Science, raison et connaissance -- Gaël
Postée par Gilles B. , Mar 24,1999,19:01 Index  Forum


Salut Gaël,

Humm... Notre débat risque de reproduire la longue polémique qui a suivi ce qu'il est convenu maintenant d'appeler "L'affaire Sokal". Débat qui a encore pris plus d'ampleur après la dénonciation des courants postmodernes par Sokal et Bricmont dans leur "Imposture intellectuelle".

Selon ce que j'ai compris du courant postmoderne avec lequel tu me sembles d'accord, c'est que l'activité scientifique ne serait qu'une manifestation culturelle comme une autre, qu'elle ne serait ni plus, ni moins valable ou objective que n'importe quel mythe, narration ou construction sociale. Il n'y aurait pas de différence entre le démontrable et l'indémontrable; que tout énoncé résulte de conditions à la fois subjectives et sociales; qu'il n'y a pas de vérité, mais seulement des opinions. Rien n'est vrai, rien n'est faux ou plutôt tout est vrai et faux à la fois. Toutes les cultures se valent et sont honorables et respectables. E=mc^2 ne reflète pas plus la réalité que les bulles de pensées qu'émet le soleil (ça me rappelle les Télétubbies:-) ou que la poétique galvanoplastie spirituelle. La théorie de la relativité serait d'autant plus suspecte qu'elle ne serait que le reflet de la culture mâle occidentale qui l'a produite. Ce serait une représentation sociale, un peu comme la chanson d'Elton John en l'honneur de Diana et surtout, comme le soutient avec modestie Bruno Latour, une des cibles du canular de Sokal, le pauvre Einstein ne se serait même pas compris lui-même!

Mais, naturellement, les postmodernes se gardent bien d'attribuer ce relativisme à leurs propres théories. Ils nous les assènent avec une arrogance qui frôle la sottise lorsqu'ils se mêlent de mélanger à leurs savantes élucubrations des concepts scientifiques qu'ils maîtrisent plutôt mal comme l'a démontré Sokal.

C'est une manœuvre typique des courants anti-scientifiques d'utiliser les découvertes faites en physique quantique pour démontrer que la science ne serait qu'un mythe. On pose Bohr, Heisenberg et Pauli en apôtres de l'irrationnel alors que Weinberg ne serait qu'un pauvre rationaliste parce qu'il n'a pas reçu, lui, une formation suffisante en philosophie! Allons donc. Remettre en cause la causalité au niveau quantique ou souligner qu'aucune mesure sur une particule ne peut se faire sans modifier cette particule (l'influence de l'observateur sur l'observation), ce n'est pas du tout plaider pour l'irrationnel et on ne peut certes pas en conclure que l'objectivité est un mythe. Ça fait très chic d'utiliser la physique quantique pour soutenir à peu près n'importe quoi. Pourtant, malgré ses conclusions parfois déroutantes, la physique quantique est un monument érigé à force de raisonnement et de faits expérimentaux objectifs. Rien à voir avec une culture de l'irrationnel.

Ce que je reproche au courant de pensée postmoderne, ce n'est pas tant d'attirer l'attention sur les influences sociales et culturelles qui ont pu influencer l'histoire des sciences, c'est de ramener toutes les théories scientifiques à des constructions sociales et culturelles et de ne les ramener qu'à ça. C'est, à mon avis, un réductionnisme qui fait fi d'une des principales caractéristiques des théories scientifiques : celles-ci sont des constructions servant à expliquer des faits observées. Contrairement à ce que tu prétends, les théories ne précèdent à peu près jamais les faits qu'elles expliquent. Il a fallu rassembler une somme énorme d'informations avant de postuler l'idée d'évolution et de rejeter le créationnisme. Et que fais-tu du pouvoir prédictif des théories? Si celles-ci n'étaient que des constructions artificielles sans trop de rapport avec le réel, par quel hasard extraordinaire pourraient-elles réussir à faire des prédictions justes? L'héliocentrisme s'est imposé entre autres parce qu'une de ses prédictions, les phases de vénus, avait été observée par Galilée. On avait d'une part un fait prévu par la théorie et d'autre part un fait que ne pouvait expliquer l'autre théorie.

Il est normal qu'il y ait une période de flottement plus ou moins longue avant qu'on accepte une nouvelle théorie. Une théorie n'est remplacée par une autre que lorsqu'une certaine masse critique de nouveaux faits ne collent plus avec l'ancienne. Surtout que la plupart du temps, les nouvelles théories ne renversent pas vraiment les anciennes, mais viennent plutôt les englober dans un cadre plus large. La relativité générale ne rend pas caduques les équations de Newton, du moins tant qu'on demeure à l'intérieur de certaines limites. Newton ou Fresnel ont fait de la science et leur science est toujours vraie aujourd'hui. Certaines conditions d'application de leurs lois ont sans doute été précisées, mais ça marchait et ça marche toujours. Un arabe du 13 ème siècle a fondé l'optique géométrique, il faisait de la science, et sa vérité est la nôtre.

Comme l'écrivait Bricmont : "Tout scientifique sait bien que nos connaissances sont toujours partielles et révisables, ce qui ne les empêche pas d'être objectives. Flirter avec le relativisme et l'irrationalisme ne nous conduit nulle part."

Tu mentionnes que les théories scientifiques sont suspectes parce que bien des scientifiques n'hésitent pas à frauder pour que l'expérience ait l'air de confirmer leurs théories. Je ne suis pas du tout d'accord. Ne serait-ce que parce que la plupart des expériences n'ont pas pour but de vérifier une théorie, mais d'en savoir un peu plus sur certaines points non encore éclaircis. Le chercheur qui travaille sur les récepteurs dopaminergiques du cerveau ne cherche pas à prouver ou infirmer une théorie particulière. D'ailleurs, les seuls exemples que tu cites (Mendel, Dalton) datent d'une époque où la science n'avait pas la rigueur d'aujourd'hui. Et encore, dans le cas de Mendel, je ne crois pas qu'on puisse vraiment parler de tricherie. S'il y a peu de fraudeurs en science, ce n'est pas que les chercheurs sont plus vertueux que les autres, mais tout simplement parce que la chose est à peu près impossible. Un des principes fondamental en science, c'est que toute expérience doit être reproduite par d'autres avant d'être acceptée comme un fait nouveau, surtout si les résultats contredisent une théorie établie. Un fraudeur ne pourrait pas survivre très longtemps. Tôt ou tard il serait démasqué par ses pairs. On reproche aux chercheurs de défendre leur point de vue avec acharnement. Mais justement, il me semble que cette compétition entre chercheurs assure que les travaux des pairs sont toujours scrutés à la loupe ce qui réduit les risques de fraudes.

Beaucoup d'écrits de Newton portaient sur l'alchimie et le mysticisme écris-tu. Et alors? Un chercheur peut s'égarer, faire des erreurs et avoir ses propres croyances. Pasteur était créationniste et Darwin croyait à une forme d'hérédité des caractères acquis ce qui n'enlève rien à la valeur de leurs travaux qui ont été reconnus.

Enfin, je ne vois pas ce que tu trouves d'irrationnel à postuler qu'on peut expliquer la nature sans faire appel à des forces surnaturelles. C'est là le seul acte de foi de la science, le seul. Tout le reste est construit sur les observations, en tenant compte des limites de notre pouvoir d'observation. Rien à voir avec les innombrables actes de foi qui caractérisent toute religion. Rien à voir avec les gigantesques édifices théologiques branlants que l'on construit sur ces actes de foi.

Enfin, je ne suis pas du tout convaincu que les religions peuvent servir de guide moral. L'histoire des religions n'est pas tellement édifiante de ce côté. Je ne crois pas qu'une morale doive absolument être fondée sur des croyances religieuses. Comme le chante Brassens, " Je ne me conduis pas plus mal que si j'étais croyant ".

Allez, bon, c'est assez pour aujourd'hui et mon souper va refroidir…


Gilles




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