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Science, raison et connaissance


Re: Re:re:Scepticisme, intolérance et mauvaise foi. -- Gilles B.
Postée par Gaël , Mar 23,1999,17:58 Index  Forum

Salut Gilles.

euh... si ça te dérange pas je préférerais que nous nous tutoyions. Si j’utilisais le vouvoiement dans mon message c’est parce qu’il ne s’adressais pas à toi en particulier mais à la plupart des défenseurs de la science ici. Le débat entre toi et Dominic, je l’utilisais juste comme un exemple, parce qu’il était récent et me semblait très caractéristique d’une situation plus générale qui m’a frappé quand je suis arrivé ici, même si je n’ai lu que les messages de ces dix derniers jours : tout cela m’a donné très clairement l’impression qu’ici les matérialistes, tout en s’efforçant d’avoir l’air de rester polis, s’exprimaient de manière nettement plus agressive que les croyants, et en ayant souvent recours à des arguments spécieux; de plus j’étais énervé par le fait que ceux qui se prétendent sceptiques refusent d’appliquer ce scepticisme au rationalisme.
Ceci dit ton dernier message est intéressant, mais je commencerais à y répondre par la fin, qui pose le problème de fond auquel je voulais en venir. C’est au sujet du rationalisme. Tu dis : “Je ne vous suis plus du tout, non plus, dans votre remise en question de la raison. Peut-on vraiment parvenir à des connaissances fiables sur l’univers en étant irrationnel? Que voulez-vous dire au juste?” et plus loin : “Si j’ai parlé de science, c’était en réaction à une affirmation de Dominic et d’autres participants à ce forum qui prétendaient que la science représente une autre forme de religion (Dominic parlait alors de “ Science devenu Foi “). Ce que j’ai souligné, c’est que justement la science n’est pas une religion, elle procède d’une façon complètement différente”

Bon, voilà : pour moi le rationalisme scientifique est un mythe, et la science une mythologie. Il n’y a généralement que les scientifiques et les matérialistes ignorants de l’épistémologie contemporaine qui ne comprenne pas que l’on puisse critiquer le rationalisme. Les scientifiques actuels manquent de formation à ce niveau, contrairement aux physiciens danois et allemands des années 20 qui ont bénéficié d’un enseignement très poussé en philosophie. Bohr, Heisenberg, Schrödinger et plus encore Pauli étaient bien plus ouverts aux hypothèses tordues et apparemment peu rationnelles, et sans doute cela a grandement contribué à leur permettre de faire faire à la mécanique quantique les prodigieux progrès de cette période... malheureusement aujourd’hui peu de scientifiques vont lire la partie philosophique des oeuvre de Bohr (le plus important est “Physique atomique et connaissance humaine”, 1935) ou d’Heisenberg (surtout les “manuscrits de 1941”, parus l’année dernière).
Dans ces oeuvres on trouve les premiers signes d’une remise en cause par les scientifiques eux-même du principe d’une connaissance fiable et objective acquise par l’observation et l’expérience. On sait désormais que l’objectivité est un mythe, car les conditions d’observation influent sur ce qui est observé; de même que l’on savait déjà que la vision du monde (Weltanschauung) de l’observateur va déjà déterminer la manière dont il va comprendre et décrire ce qu’il voit. Qu’il soit clair que je ne suis pas un idéaliste, j’affirme bien fort qu’il existe probablement un monde de “faits” indépendants de notre volonté, mais il est impossible d’avoir une connaissance objective de la réalité.
Plus tard des épistémologues ont été plus loin, ont remis en cause la séparation habituelle entre le contexte de le découverte (ensemble des observations et théories et vérifications expérimentales) et le contexte de justification (influence sociale et acceptation ou non de la théorie par rapport aux idéologies dominantes), faisant de la science un progrès basé non sur la validité des théories par rapport à la réalité, mais sur des processus sociaux et les changements d’une vision du monde, ou changements de paradigme comme les nomme T.S. Kuhn dans son classique “Structure des révolutions scientifiques”, en 1962. La notion de progrès disparaît peu à peu, le postmodernisme apparaît.
Les remises en cause les plus extrêmes du rationalisme arrivent avec Paul Feyerabend, l’un des 2 ou 3 plus grands épistémologues de ce siècle (et dont l’influence s’étend vite depuis sa mort en 95). Ses deux principaux ouvrages, “Contre la méthode” (1975) et “Adieu la raison” (1987), avec nombre d’exemples historiques et d’études précises à l’appui, détruisent totalement le mythe d’une connaissance objective basée sur l’observation et l’expérience, et le mythe d’une communauté scientifique soudée travaillant sur la base de la Raison.

Le passage du géocentrisme à l’héliocentrisme fut un énorme progrès, penses-tu ? Peut-être crois-tu que Galilée suivit la méthodologie scientifique, se basa sur les observations, et inventa une théorie qui expliquait mieux les mouvements des planètes que l’anciennes...
Non. En fait la théorie de Galilée était était dotée d’une efficacité prédictive plus faible que celle de Ptolémée. Et les observations étaient en faveur de Ptolémée. Le géocentrisme n’a triomphé que parce que Galilée était un excellent propagandiste, et qu’il a exagéré l’importance de certaines observations et certains résultats d‘expérience pour que sa théorie paraisse plus valable. Où est la raison là-dedans ? Si on regarde la situation au 17ème siècle, l’héliocentrisme est une absurdité.
Et Newton; un génie non ? On oublie vite que dans la masse de ses écrits, les plus nombreux sont ceux concernant l’alchimie, dont il était un fervent pratiquant. N’oublions pas de mentionner l’élégance avec laquelle il s’est attribué la paternité du calcul infinitésimal en usant de moyens totalement déloyaux pour évincer Leibniz qui l’avait inventé deux ans avant lui. Il faudrait aussi parler de la falsification qu’il commit en introduisant des facteurs correctifs dans ses Principia Mathematica pour augmenter leur pouvoir prédictif...
Tiens, on pourrait aussi mentionner Mendel, le père de la génétique moderne, cultivant des pois dans son jardin et publiant des résultats d’expérience totalement bidonnés pour que l’expérience puisse confirmer la théorie...
John Dalton, père de la théorie atomique, fit encore mieux en publiant des résultats d’expériences qu’il n’avait même pas effectué et qui ne purent jamais être reproduites.
On pourrait continuer longtemps comme ça.

Alors la science, connaissance objective basée sur l’expérience et l’observation ? Dans l’idéal des scientifiques, oui, mais c’est un mythe absolu. En réalité la théorie précède toujours l’expérience, et bien des scientifiques n’hésitent pas à frauder pour que l’expérience ait l’air de confirmer la théorie. C’est une pratique répandue. Et ceux que j’ai cité ne sont que quelques-uns qui par chance avaient une théorie qui s’est finalement imposée, parmi d’innombrables autres qui fraudèrent au nom d’une théorie inefficace.
La science, une entreprise basée sur la raison et la recherche de la vérité ? ... en réalité bien des scientifiques recherchent avant tout à satisfaire leur orgueil en prouvant qu’ils ont raison, ou à devenir riches ou célèbres; et beaucoup n’hésitent pas à utiliser des moyens déloyaux dans ce but. Où est l’objectivité ?
Et où est la raison quand on voit que la plupart des grands scientifiques eurent bien des difficultés à faire admettre leur théorie car les nouvelles théories les plus révolutionnaires paraissent toujours irrationnelles par rapport aux critères et aux croyances de leur époque ?
D’autre part le matérialisme est basé sur des hypothèses métaphysiques improuvables, comme les religions, comme toute vision du monde.

Bref, c’est tout ce que j’ai à dire sur le sujet. Evidemment je ne présente qu’une partie des choses, je ne parle pas des courants épistémologiques opposés, ceux qui tiennent à conserver la raison et l’objectivité (rationalisme critique de Karl Popper, philosophie analytique anglo-saxonne, etc.), tout ce que je veux dire c’est que le fait qu’il existe tant de penseurs sérieux et tant d’arguments qui s’opposent au rationalisme jusque dans la science devrait au moins pousser les matérialistes à appliquer aussi leur scepticisme au rationalisme.

Bon, deuxième point, sur Omraam - je vais essayer de faire vite, j’ai pas que ça à faire.

1- Vu la diabolisation qui est faite autour des sectes, je me permet de douter de tout livre et de toute information les concernant, quelle que soit son origine. Par exemple le récent rapport français officiel de la commission sur les sectes n’est pas fiable. Je ne sais pas comment il a été reçu au quebec mais ici il a fait des remous et il a été très critiqué, c’est un rapport vite fait et mal fait. On y trouve certaines associations totalement innocentes accusées de crimes. Je n’ai plus en mémoire les détails exacts, mais une association nommée je crois “l’arbre de vie”, qui aidait les enfants maltraités, s’est vue qualifiée de secte simplement à la suite de plaintes de parents violents qui voulaient se venger, et qui ont accusé le directeur de l’association des pires ignominies. Et les enquêteurs de la commission n’ont même pas cherché à entrer en contact avec le directeur ni à aller voir sur place ce qu’il en était réellement... Il y a de nombreux cas où les informations du rapport sont basées uniquement sur des ragots ou des renseignements indirects, et il contient pas mal d’erreurs. Vous n’êtes peut-être pas au courant au quebec, mais l’estampille “gouvernement français” sur un rapport de commission est une expression typique de chez nous, qui dans votre langue doit être traduite par “travail bâclé”. Ceci dit ce rapport était nécessaire et reste utile, mais il convient de le lire avec la même distance que celle avec laquelle on lirait les ouvrages d’Omraam :-)

2- Que tu dénonces Omraam s’il prétend être un modèle de perfection et qu’il ne l’est pas, je suis d’accord. Mais je parlais d’autre chose, de ses écrits et de ses idées. Dominic n’est pas membre de la FBU, c’est un simple lecteur d’Omraam qui apprécie ses idées. Si éventuellement il le considère comme un parfait maître à penser (je ne sais pas si ça va jusque là), je ne vois pas ce qu’on peut dire contre. Bien des gens considèrent Cioran, Heidegger ou Platon (oui, il existe encore des platoniciens, j’en ai connu) comme des maîtres à penser, sans aller pour autant reproduire dans leur vie les excès que ces auteurs ont commis. Omraam préconise-t’il le viol dans ses écrits ? Quant aux passages qui disent que les incrédules seront anéantis, si par exemple tu lis le Coran tu trouvera peu de pages ou cette affirmation n’est pas répétées plusieurs fois de façon violente. Ca ne veut pas dire qu’il faut tuer infidèles, d’ailleurs la plupart des musulmans ne sont pas des fanatiques et ont beaucoup de respect pour les autres croyances; de la même manière qu’il me semble que jusqu’à présent les fidèles d’Omraam n’ont pas entrepris de croisade pour anéantir le reste des hommes. Il faut le prendre comme une métaphore parce que ce genre d’affirmation est fréquent dans la plupart des textes religieux. Mais il y a toujours eu des déséquilibrés pour les prendre au premier degré.

3- Certes, le Maître utilise des termes scientifiques. Il parle de photons. Mais imagine deux phrases :
a) L’eau, c’est la vie.
b) le dihydrogène monoxyde, c’est la vie.
La première est un symbole, et une image vaguement poétique (et accessoirement un cliché foireux que des écolos lobotomisés utilisent comme argument pour s’opposer aux projets d’enfouissement sous-marin des déchets nucléaires). Prends-tu la seconde phrase pour une affirmation scientifique ? Pas moi. Je comprends la même chose. Et il me semble que “eau” et “dihydrogène monoxyde” ont strictement la même signification, tout comme “photons” et “lumière”. Ces deux termes peuvent simplement être des synonymes que le Maître, puisse-t’il vivre à jamais et même plus, utilise dans sa grande sagesse pour éviter de répéter cinquante fois “lumière” dans la même phrase, comme le ferait n’importe quel auteur soucieux d’écrire des jolies phrases.
Je ne dis pas qu’après tout cela ne peut pas être utilisé de manière stupide et dangereuse, et il est fort possible que cela soit le cas dans la FBU. Mais je crois que quand Dominic disait que ces phrases du Maître que tu citais étaient parmi les plus belles qui aient jamais été écrites sur ce serveur, il l’entendait exactement dans le sens que je t’ai précisé : symboles, poésie. Et mon intervention sur ce sujet prenait pour base non ce qui se passe dans la secte, mais la manière dont Dominic abordait les écrits du Maître et la manière dont tu l’attaquais avec des arguments qui ne lui sont pas applicables puisque tu te bases sur la secte FBU et les actes de son Gourou pour ridiculiser une oeuvre (à partir de quelques phrases sorties de leur contexte...) qui peut être perçue de multiples manières et peut-être avoir un effet positif. Et puis je ne vois rien de mal dans la galvanoplastie spirituelle. Beaucoup de peuples primitifs ont des théories et des pratiques magico-religieuses qui peuvent paraître tout aussi ridicules à un esprit scientifique mais qui n’en sont pas moins très utiles et structurantes sur le plan psychologique et social. Et si pour certaines personnes la société se limite à un petit groupe d’adeptes du Maître, et qu’ils sont heureux ainsi, je n’y vois pas non plus d’inconvénient du moment qu’ils ne décident pas d’imposer leurs croyances aux infidèles. Dans quelques milliers d'années peut-être le monde entier vénérera enfin Omraam (loué soit son Nom) comme il le mérite, la galvanoplastie spirituelle aura sauvé le monde, et nous serons tous des êtres spirituels lumineux et purs. Est-il si difficle d'accepter cette possibilité ?

Je ne suis pas d’accord quand tu dis que toute idée religieuse devrait être ouverte à la discussion. Le propre de la religion c’est d’être basée sur la foi, et la foi n’est basée sur rien d’autre que la conviction intérieure : c’est quelque chose qui n’a pas à être discuté. Je suis juste d’accord pour combattre la religion quand elle est trop envahissante et pose des limites à ceux qui ne partagent pas ces croyances (comme c’est visiblement le cas au quebec) - mais je ne crois pas que les croyances de Dominic limitent en quelque manière ta liberté.
Réciproquement, je considère que la science est basée sur une foi tout aussi irrationnelle en l’existence de la matière et uniquement de celle-ci. C’est un postulat métaphysique qui ne peut être discuté. Mais je suis d’accord pour combattre la science et le rationalisme quand ceux-ci deviennent trop envahissants, et c’est le cas : la science limite de plus en plus la liberté de croyance en imposant partout sa soi-disant “connaissance”, et il me paraît normal que ceux qui veulent pouvoir croire en autre chose réagissent contre cela.
Que la science n’impose aucun norme de comportement, aucune règle morale alors que la religion impose tout cela, je ne vois pas en quoi cela devrait jouer. Ce pourrait même être plutôt un argument en faveur de la religion : la plupart des normes morales religieuses sont très profitables aux individus et à la société, alors que la science nous laisse dans un monde vide de sens (cf. la fin de mon message précédent).

Ouf !!! désolé d’avoir été aussi long, quand j’écris j’oublie le temps.

Gaël.


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