En 1916, le regretté psychologue James Leuba mena une enquête par questionnaire auprès de mille scientifiques américains choisis aléatoirement sur un annuaire, afin d'évaluer leur rapport à la religion. Résultat : un peu plus de 40 % croyaient en l'existence d'un Dieu personnel et 50 % à l'immortalité. Deux chercheurs américains viennent de renouveler l'expérience, en utilisant un protocole aussi voisin que possible. Le résultat est très proche : près de 40 % croient à l'existence d'un Dieu personnel et presque autant à l'immortalité. Le seul changement notable concerne la répartition entre disciplines. En 1916, le plus fort taux de non- croyants ou de sceptiques se trouvait chez les biologistes (70 %). Aujourd'hui il se trouve chez les physiciens et les astronomes (78 %). La population la plus religieuse est celle des mathématiciens (45 %)(1). La permanence du rapport global entre religieux et non-religieux est étayée par une enquête plus vaste menée voici vingt-huit ans auprès de 60 000 professeurs d'université aux Etats-Unis. Elle montrait que 43 % des physiciens et des biologistes allaient à l'église deux ou trois fois par mois.
Dans le sillage de ces résultats, la revue Science a publié l'été dernier - le jour de l'Assomption ! - une enquête journalistique où l'on relève quelques faits marquants, certains connus, d'autres moins(2). Sir John Houghton, qui présidait encore récemment le groupe de scientifiques pilotant l'enquête intergouvernementale sur le changement climatique(3), croyant convaincu, a écrit des articles sur la valeur de la prière et publié en 1994 un livre sur l'effet de serre chez un éditeur religieux. L'astro-physicien George Smoot, du Lawrence Berkeley National Laboratory, a suggéré que le fond de rayonnement cosmologique - l'une des preuves à l'appui de la théorie du big bang - est « la signature de Dieu » . Le prix Nobel de physique Charles Townes, 82 ans, co-inventeur du laser, prie tous les jours. Pour lui : « La science cherche à connaître les mécanismes de l'Univers, la religion cherche à en connaître le sens. On ne saurait séparer l'une de l'autre » . Le très actif Francis Collins, co-découvreur du gène de la mucoviscidose et directeur du projet américain Human Genome, se définit comme un chrétien convaincu. Il ne voit pas de contradiction entre la théorie darwinienne de l'évolution et la religion : « Pourquoi Dieu n'aurait-il pas utilisé le mécanisme de l'évolution pour créer ? » Pour le physicien David Scott, chancelier de l'université du Massachusetts à Amherst, « Les deux disciplines phares qui continuent de voir dans la recherche de la vérité l'essence même de la quête humaine sont la science et la religion » . Pour le Belge Christian de Duve, prix Nobel de biologie 1974 « Nombre de mes amis scientifiques sont violemment athées, mais l'athéisme n'est ni étayé ni fondé par la science. La non croyance est simplement une vue personnelle parmi d'autres possibles » . Autre Nobel, l'évolutionniste Joshua Lederberg dit : « Rien ne vient infirmer le divin. Il est incontestable que la quête scientifique est mue par un ressort religieux » . Le physicien John Polkinghorne, président de Queens College à l'université de Cambridge, a été ordonné prêtre anglican. Pour lui : « Dieu peut agir par des voies subtiles inaccessibles à la physique » .
Il serait intéressant de mener des enquêtes de ce genre en France, où une sempiternelle et dérisoire chasse aux sorcières oppose scientifiques militants athées et croyants. Claude Allègre trouve le moyen, dans son livre Dieu et la science (4) , de ne pas donner sa position personnelle. Impensable outre-Atlantique, une telle prudence fait sourire. La proximité de Rome et l'idéologie rétrograde du Vatican ne suffisent pas à expliquer le malaise français sur ces questions.
(1) Nature, 3 avril 1997.
(2) Science, 15 août 1997.
(3) Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC).
(4) Fayard, 1997.
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