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Re:Question à Jean François, sur une info télé.


Re: Question à Jean François, sur une info télé. -- decroix rené
Postée par Jean-Francois , Jul 06,2000,04:43 Index  Forum

René: "par sectionnement de la moëlle épinière, ils rendent des rats paraplégiques. Par greffe de neuronnes (je me demande si je n'exagère pas déjà : greffe nerveuse c'est sûr,et en-dessous de la section ... je n'étais pas vraiment devant la télé, seulement à proximité) , MAIS PAS DANS LE CERVEAU, ils restituent la capacité normale de marcher... Le cerveau ne commande plus cette locomotion, et on s'en passe ... fascinant non ?"

Ce que tu dois savoir tout d'abord, c'est que tout le système nécessaire à la marche se trouve dans la moelle épinière. Les segments spinaux innervant chaque ceinture (pectorale ou pelvienne) possèdent leur propre générateur central de rythme (central pattern generator, CPG), et chaque générateur est capable d'"imprimer" un rythme locomoteur aux pattes (antérieures ou postérieures, respectivement). Lorsqu'on fait une transection de la moelle au niveau thoracique (je suppose que c'est le travail de l'équipe de Privat dont tu as entendu parlé?! A moins que ce ne soit des avancées de McDonald et al. (1999)Transplanted embryonic stem cells survive, differentiate and promote recovery in injured rat spinal cord. Nature Medecine 5(12):1410-2), on ne dérange rien du générateur lombaire qui commande la marche des membres postérieurs. Ce qu'on enlève, ce sont les interactions avec l'autre ceinture ainsi que les commandes descendant du cerveau. L'animal paraplégique peut donc marcher quasi-normalement dans certaines conditions (sur tapis roulant avec, quand même, une certaine aide pour le maintien postural). Tout ceci a d'abord été montré chez le chat, avant d'être compris à fond chez un vertébré sans mâchoire (la lamproie) pour des raisons de simplicité et d'accessibilité du système (voir Grillner, Sten (1981) Control of locomotion in bipeds, tetrapods, and fish. Dans Handbook of Physiology - The Nervous System II. pp.1179-1236; Grillner et al. (1985) Neurobiology of vertebrate locomotion. Werner-Gren International Symposiums Series, vol. 45; Dubuc et Rossignol (1994) Spinal pattern generation. Curr Opin Neurobiol. 4(6):894-902; Le volume 860 des Ann. N.Y. Acad. Sci. (1998) est consacré au congrès sur les Neuronal mechanisms for generating locomotor activity, je te conseille les pp. 1-18, 70-82, 110-129). Comme tu peux le constater, cette histoire de CPG n'est pas si tant tellement nouvelle que ça ;-) (Je n'en ai pas parlé la dernière fois parce que c'était un peu hors sujet, car ta transection tu la faisais au niveau du cou, et tu ne considérais pas que la locomotion mais l'ensemble des possibilités du corps)

Seulement, la locomotion pûrement spinale (chez un animal, humain compris, paraplégique) - même si elle ressemble beaucoup à la locomotion "normale" -, est très automatique et s'adapte difficilement aux difficulté que rencontre l'animal dans un milieu complexe (voir Belanger M, Drew T, Provencher J, Rossignol S. (1996) A comparison of treadmill locomotion in adult cats before and after spinal transection. J Neurophysiol. 76(1):471-91); en plus, elle n'est déclenchée que par des stimuli extérieurs et non par l'animal lui-même. En effet, toutes les commandes qui adaptent la posture de l'animal ou les mouvements des pattes aux contraintes gravitaires (maintien de la posture) et physiques (mouvement d'évitement des obstacles, etc.), ou régissent le contrôle volontaire sur les CPG, ou sont interrompues car elles sont issues du cerveau.

Enfin, il existe des différences entre les locomotions spinale et normale, qui sont dues à l'interruption de certaines voies caractérisées par leurs neuromédiateurs (les voies sérotoninergiques, par exemple), lesquels ne se retrouvent synthétisés qu'en faible quantité dans la moelle tout en ayant une action modulatrice importante sur la locomotion. Une stratégie pour rendre la locomotion spinale plus normale est de greffer des cellules qui remplaceront les voies interrompues. Plus particulièrement celles qui produisent les neuromédiateurs rendus "rares".

Mais, la grande stratégie employée pour rétablir une véritable locomotion normale chez des animaux spinaux reste de reconnecter ce qui a été sectionné. Il existe énormément d'études sur la possible régénération des voies nerveuses (ou leur raccord par des moyens électroniques), je ne veux pas rentrer dans les détails mais certaines font aussi intervenir des greffes de cellules embryonnaires.

Avant de conclure, je rajouterai que, pour des raisons technico-pratiques, les études sur la locomotion laissent intactes les connexions avec le renflement cervical qui innerve les membres antérieurs. On ne sait pas ce qui se passe lorsqu'on interromp les projections descendantes vers la totalité de la moelle... du moins chez les tétrapodes.

En conclusion:
"alors : morphologie, longueur des membres et tout ça -- tu te souviens? -- on s'en tape ...?"

Ca dépend pourquoi. Si tu veux une locomotion très réflexe et peu adaptée au contraintes environnementale, oui. Si tu veux toute une gamme de mouvements (pas seulement locomoteurs) complexes, précis et volontaires, non. Prendre un verre d'eau ou courir un cross country sont un exemple de comportements moteurs qui nécessitent non seulement un cerveau, mais un cerveau capable d'intégrer données corporelles, motivationnelles et cognitives.

René: "par toi par exemple ..."

Aucun problème, surtout que le sujet m'intéresse énormément... en fait, cela touche de près mon sujet de post-doc. Seulement, ce n'est pas un sujet idéal pour le forum... vaudrait mieux, le cas échéant, poursuivre cette discussion en "privé".

Jean-François

P.S.: je peux te chercher des articles vulgarisés. Il y a un article récent de Grillner sur la locomotion chez la lamproie, paru dans "pour la science" ainsi qu'un Science et Vie de 1998, qui abordent ces questions, mais je ne trouve pas les références exactes.


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