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Re:réalité v. vérité


Re: réalité v. vérité -- Stéphane
Postée par rené , Sep 12,2000,16:25 Index  Forum

C’est surtout le premier paragraphe qui risquerait de me faire rechuter dans la drogue du forum. En ce qui concerne Gene, que je ne connais pas plus que ça, la dernière phrase de son message : « aucun devoir, aucune exigence… » , le situe sur une planète qui me restera toujours étrangère.

Habermas, précisément, et plus généralement la mouvance de l’Ecole de Francfort, ont je crois beaucoup manipulé la notion de vérité pour avoir cru longtemps la détenir et avoir un jour constaté qu’ils s’étaient trompés : il y a beaucoup de transfuges du marxisme dans ce marécage qui, l’un dans l’esthétique l’autre dans un autre tic, accouchera de la notion de « raison instrumentale » (Habermas je crois dit « … en vue d’une fin »).
Que la notion de vérité puisse être une variable de la fonction culturelle, sans doute, mais surtout si on prend vérité dans la zone des vertus ou dans celle du concordisme avec une représentation du monde qui cimente une société. Mais en fait, c’est alors non pas une vérité, mais une réalité, réalité communautaire, voire communautariste, qui s’exprime, et cette réalité peut avoir besoin du mensonge ; dans tous les cas, c’est elle qui est liée au langage, ce langage qui décrit le réel que l’on voit, que l’on veut voir, qu’il faut voir … Le réalisme, ainsi, peut être le mode le plus accueillant au mensonge ; si on le compare au positivisme, l’illustration est facile : le premier dit ce qui est, le second dit que c’est comme si, et pour lui la vérité est déjà garantie par défaut, puisque dire ce qui marche ne prétend pas dire ce qui est : la maîtrise du phénomène ne prétend pas dire le nom de l’Etre.
Une autre remarque à la suite d’Habermas : tous ces discours trichent dans la mesure où ils ne parlent de vérité qu’en termes d’énoncés vrais, ce qui revient alors effectivement à dire de la réalité, mais la notion ne s’arrête pas là, et c’est pourquoi la science ne s’arrête pas non plus à ses énoncés du jour : il ne s’agit pas seulement de dire du vrai, il s’agit aussi d’être vrai – sans rapport avec la sincérité, notion inutile ici…--, de penser vrai, et le rapport à la réalité n’est plus alors dans ce qui est, mais dans ce qui est visé : non pas une réalité constatée, mais une réalité désirée.

Certes, tu as raison, on ne peut penser la vérité en dehors du langage : oui mais, d’une part on ne peut rien penser du tout en dehors du langage, et on ne peut davantage regarder aucune réalité en dehors du langage : la voir, la vivre, oui, puisqu’aussi bien toute vie est une réalité, mais la regarder, non ; d’autre part, s’il est un langage qui est celui de la vérité, c’est sans doute par excellence le langage mathématique, or les mathématiques n’ont pas un langage différent pour chaque tribu culturelle. Et remarquons-le, souvent le langage mathématique suit son chemin de vérité en se foutant royalement de la réalité, ce qui n’empêche qu’il la rejoint toujours.

Non, on ne peut faire osciller ce discours entre vérité et réalité comme s‘il n’y avait que nuances entre termes pratiquement synonymes, tout simplement déjà parce que le mensonge fait partie de la réalité.

Pour terminer avec un retour vers l’exigence et le devoir je proposerai : la réalité est toujours donnée --l’illusion elle-même n’est-elle pas une réalité ? --, alors que la vérité est toujours à conquérir. Ensuite, bien sûr, on pourra vouloir trouver la vérité de la réalité. Malheureusement, souvent ce n’est pas ensuite, mais tout de suite : d’où le vaste royaume que j’ai cru pouvoir appeler celui des réponses avant question.

Mais Gene a raison : « si quelqu’un se plaint, il ne peut s’en prendre qu’à lui même. » , après tout, personne n’oblige personne à essayer de penser, et celui qui ne veut pas croire sans preuve n’a pas à venir pleurer de vivre avec tant de questions et si peu de réponses.




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