ABC a écrit : 09 mars 2022, 05:07L'entropie pertinente, le manque d'information découlant de notre appréhension de l'état de l'univers par ses seules propriétés macroscopiques,
notre myopie donc, est (à quelques petits ordres de grandeurs près négligeables par rapport à la gigantesque quantité d'information manquante à l'échelle d'observation macroscopique)
la même pour tous les êtres vivants.
Les êtres vivants ont la même grille de lecture thermodynamique statistique qu'un "nous" plus restrictif, formé, par exemple, des seuls mamifères.
spin-up a écrit : 09 mars 2022, 11:07En quoi un être vivant percoit il l'univers différemment d'une machine autonome macroscopique de taille similaire dotée de divers capteurs de capacité similaire?
Pour ma part, je ne pense pas que l'on puisse dire d'une machine autonome qu'elle
perçoit quelque chose ou qu'elle enregistre une information
sans référence (implicite en fait) à notre grille de lecture d'observateur macroscopique.
L'idée que l'appareil de mesure puisse "percevoir" quelque chose me semble relever d'une illusion anthropomorphique. A mon sens, il s'agit d'une
projection de notre mode de décodage des informations sur une machine pour laquelle la notion d'information n'a pas de signfication. Le résultat enregistré acquière le caractère d'information dès lors qu'il peut être décodé et interprété comme une information par un observacteur pour lequel cette information a une signification ou une utilité (exemple "d'information" : il fait trop chaud, je dois fuir. Il y a du sucre par là, miam miam. Il y a de l'humidité par là bas, Ca tombe bien j'ai soif. Je vais m'y diriger, etc, etc).
Nous prétons ainsi aux résultats enregistrés de machines conçues par nous et pour nous, une signification d'information qui, en raison de nos présupposés philosophiques, ne devrait rien à notre "grille de lecture". Se faisant, nous tombons dans un piège consistant à identifier indument la notion d'intersubjectivité (physique car observable par confrontation d'observations) avec la notion d'objectivité (une notion métaphysique puisque supposée être indépendante de toute considération d'observateur et d'observation).
Voilà, à titre d'exemple, ce que nous dit Niels Bohr pour nous expliquer son interprétation exclusivement épistémologique de la physique.
There is no quantum world. There is only an abstract quantum physical description. It is wrong to think that the task of physics is to find out how nature is". Physics concerns what we can say about nature.
Je tiens toutefois à préciser, même si je m'exprime ici avec assez peu de nuance, qu'il y a encore débat sur le point de vue que je viens d'exprimer ci-desssus (en l'appuyant par une citation de Bohr). Même si le point de vue positiviste domine désormais assez largement dans la communauté des physiciens, de nombreux physiciens restent attachés à une vision réaliste de la science. Ils tiennent à considérer, comme Einstein, Schrödinger, Jaynes, Bohm, Bell... et contrairement à Bohr, Born, Heisenberg et consort que la science a pour objectif de
donner de l'univers une description physique objective.
J'ai donc tenu à citer E. T. Jaynes, un physicien de renom, très largement reconnu par ses pairs, parfaitement au fait de l'importance des considérations d'inférence statistique en physique (il a été le fer de lance de l'extension des considérations de maximisation d'entropie très au delà du seul domaine de la physique statistique). Jaynes ne cesse (feu Jaynes en fait), dans des articles scientifiques très intéressants d'ailleurs, de pester contre le "positivisme extrémiste" (l'expression est de moi) des Bohr, Heisenberg et consort. Il leur reproche de ne pas déméler ce qui relève de l'épistémologie de ce qui, selon lui, relève du domaine de l'ontologie (la "réalité objective" en quelque sorte) en ignorant complètement tout ce qui, selon lui, devrait lui revenir.
PROBABILITY IN QUANTUM THEORY E.T. Jaynes
The existence of a real world that was not created in our imagination, and which continues to go about its business according to its own laws, independently of what humans think or do, is the primary experimental fact of all , without which there would be no point to physics or any other science. The whole purpose of science is learn what that reality is and what its laws are.
ABC a écrit : 09 mars 2022, 05:07Créer des classes d'observateurs au sein du vivant...physiquement et biologiquement, ca me semble fantaisiste, et encore une fois difficilement testable.
C'est en partie ce que je souhaitais signaler. A quelques ordres de grandeurs près, l'entropie dite pertiente, le manque d'information sur l'état d'un système donné "perçu" par tel ou tel être vivant (l'information manquant pour caractériser l'état microscopique du système en interaction avec l'être vivant en question quand il "connait" cet état seulement par quelques grandeurs macrosopiques) change peu d'un être vivant à un autre.
Les grandeurs observées par les êtres vivants,
les grandeurs pertinentes pour leur activité d'êtres vivants, sont des
grandeurs thermodynamiques statistiques (température, pression, salinité, humidité, acidité...) et non la quantité considérable d'informations qui seraient requises pour caractériser complètement, à une échelle microscopique, l'état des systèmes avec lesquels ils interagissent. Cet aspect thermodynamique statistique, commun aux grandeurs dites pertinentes pour les êtres vivants, caratérise la notion d'information qualifiée "d'objective" en raison de sa stabilité/reproductibilité.
Pour rendre mon propos plus concret je vais réutiliser une image qui s'avère, en fait, être plus qu'une simple image. Elle repose en effet sur un phénomène physique typique d'une évolution irréversible : la diffusion d'une goutte d'encre dans un verre d'eau.
Au début, la goutte d'encre est concentrée en un "point". L'observateur macroscopique a alors une connaissance (presque) parfaite de l'état (la position dans l'espace (1)) des molécules d'encre. Petit à petit, la goutte d'encre se diffuse, irréversiblement (je précise un peu en dessous comment se traduit la notion d'évolution irréversible en terme d'information/grille de lecture/fuite d'information). A la "fin" de ce phénomène de diffusion est atteint un
état d'équilibre, un état où (semble-t-il)
il ne se passe plus rien. L'information "une goutte d'encre est tombée dans l'eau" est définitivement
enregistrée.
Qu'est-ce qui caractérise le fait qu'il y ait enregistrement, trace enregistrée du passé ? En quoi peut-on considérer que le verre d'eau est dans
un état en apparence
unique ?
En fait, à une échelle d'observation plus fine, cet état "encre diffusée complètement dans le verre d'eau"
n'est absolument pas un état unique. Observées à une échelle microscopique, les molécules d'encre s'agitent n'importe comment, à toute vitesse,
dans un désordre absolument indescriptible...
...mais, à notre échelle d'observation, nous observons bien un état d'équilibre,
stable, parfaitement figé à notre échelle d'observation, donc intersubjectivement perçu comme un état unique. Grâce à notre
myopie d'observateur macroscopique, nous détenons une information
commune,
répétablement observable, irréversiblement enregistrée, étroitement reliée à l'écoulement irrréversible du temps.
Ces phénomènes irréversibles sont caractérisés par une fuite d'information hors de notre portée. En fait, ils ne sont pas la manifestation de l'écoulement irréversible du temps, ils
sont l'écoulement irréversible du temps. L'écoulement irréversible du temps, comme tous les autres phénomènes physiques,
ne peut être considéré comme indépendant de l'observateur, cf.
forget time, C. Rovelli
The time of our experience is associated with a number of peculiar features that make it a very special physical variable. Intuitively (and imprecisely) speaking, time “flows”, we can never “go back in time”, we remember the past but not the future, and so on. Where do all these very peculiar features of the time variable come from?
I think that these features are not mechanical. Rather they emerge at the thermodynamical level. More precisely, these are all features that emerge when we give an approximate statistical description of a system with a large number of degrees of freedom. We represent our incomplete knowledge and assumptions in terms of a statistical state ρ
cf aussi
Incomplete descriptions and relevant entropies, R. Balian
...et en même temps (3).
C'est sur cette
fuite d'informations dites non pertinentes hors de portée de l'observateur macroscopique (le mouvement brownien des molécules d'encre à l'échelle microscopique dans l'exemple évoqué) que repose notre capacité à
recueillir, enregistrer, traiter, communiquer des informations, stables, répétables, donc intersubjectives, pertinentes pour les êtres vivants. Ces informations sont des grandeurs physiques telles que la pression, la tempétature, la composition chimique, le volume, la longueur d'onde d'un rayonnement lumineux, l'acidité, la salinité... des informations qui sont celles recueillies et exploitées par les êtres vivants.
C'est sur notre myopie, notre incapacité d'observateur macroscopique à distinguer les petits détails des états microscopiques, sur notre regroupement d'une foultitude d'états microscopiques distincts en classes d'équivalence d'états macroscopiques que repose la notion d'information reproductible. Ces informations sont stables, fortements redondantes. Elles résistent donc à des lectures successives et à des agressions de l'environnement et c'est ce qui garantit leur reproductibilité/"objectivité" (2).
Si nous n'étions pas myopes, nous serions aveugles.
(1) Les scientifiques de ce forum me pardonneront (j'espère) de parler d'espace au lieu d'espace de phase.
(2) C'est cette stabilité, cette résistance à des agressions de l'environnement et à des lectures successives qui garantit l'intersubjectivité de nos observations, c'est à dire la stabilité, la décodabilité et la reproductibilité des traces du passé (contrairement au caractère non ou peu décodable ainsi que non ou peu reproductiblement accessible des traces du futur).
(3) Ha voui ! mmm...
L’horloge qui ne dérivait que d’une seconde en 16 milliards d’années. Alors c'est quoi ces c...ries de temps pas objectif ?
Vous ne pouvez pas consulter les pièces jointes insérées à ce message.