Suivi

Re:Re:Re:multiple


Re: Re:Re:multiple -- Gaël
Postée par decroix rene , Jun 03,1999,04:02 Index  Forum

Hier matin ma réponse s'est engouffrée dans une micro-coupure de courant : c'est fragile quand même le lien social électronique ...

Frustration : le totalité de ton message est situé dans ce que je travaille depuis assez longtemps, et tu cites un nom que je ne connais pas : Marija Gimbutas : pourrais-tu m'en dire un peu plus , m'indiquer un titre (mais, gros handicap, je suis limité à la langue française ) .

Autre demande, au cas où : tu cites les milieux indo-européanisans : tu t'en doutes certainement , je suis preneur de tout élément concernant ce milieu ( je connais Régis Boyer, et l'équipe regroupée derrière Julien Ries à l'université de Louvain) .

Rappel pour tout ce truc : je ne suis pas juge de toutes ces personnes dans << leur âme>> (connait-on seulement la sienne?) : je ne vise que les mécanismes auxquels ils participent , et à vrai dire c'est déjà fort ambitieux...

Ta dernière phrase, qui est une question, s'inscrit effectivement pour moi dans un prolongement du reste , mais le seul lien que j'ai trouvé jusqu'à présent pour explorer tout ça, c'est d'ajouter la question du rite dans sa généralité ( encore une fois, le global qui semble au mieux se présenter pour organiser les détails...) .
Mais il se trouve que les trois exemples que tu as choisis montrent la difficulté : comment définir l'ensemble qui pourra raisonnablement les réunir ? En fait ce sont les différences qui apparaissent clairement, plutôt que les ressemblances ( mais c'est le regard qui peut en décider , et ceci rejoindrait les discussions antérieures : entre regards qui se présentent en quête d'abord de ressemblances, donc d'unification ( et c'est reparti...) , et ceux qui s'attachent d'abord aux différences...) .

Prenons d'une part la galanterie et le thè, d'autre part la corrida, pour déjà la raison suivante : les deux premières situations sont faites d'acteurs, alors que la troisième est faite de deux groupes : les acteurs et les spectateurs.
Mais les deux premières sitôt réunies demandent aussi à être séparées, et pour ce genre de distinctions je n'ai trouvé jusqu'à présent que l'outil suivant : distinguer entre rites et ritualisme , si on considère les rites codifiés, fixés, répétitifs , et le ritualisme plus largement, comme aussi la tendance à ritualiser . Ainsi la galanterie pourra fort varier -- et sinon : bonjour l'ennui -- , même si l'architecture demeure , les musiques se diversifient, et il y a sans doute à l'intérieur même de la démarche un objectif d'individualisation , d'originalité , ce qui est contraire aux rites codifiés en général : ici le ritualisme ne s'oppose pas à la création personnelle, à l'improvisation . Dans la cérémonie du thé, c'est le contraire , comme dans l'ensemble du ritualisme au sens le plus ordinaire : ici, la moindre variation détruit le rite ; on pourrait peut-être prendre comme exemple les tensions qui ont envahi l'Eglise catholique après Vatican II , lorsque le magistère a entrerpis une réforme de la liturgie : au-delà des lectures en termes de réactions teintées politiquement, il y a aussi je crois le désarroi devant le rite qui se fissure , et pour qui la moindre fissure entraîne immédiatement l'écroulement total ( voir, c'est à mon avis assez merveilleux, l'exemple de l'oie cendrée de K. Lorentz , dans l'épisode de l'escalier : mais je dois dire que j'ai choisi d'aborder le rite par son enracinement en animalité : c'est une attitude que l'on m'a beaucoup contestée, surtout en milieu éliadien, mais le plus amusant est que je me demande actuellement si Eliade n'aurait pas été d'accord avec moi ...). Je viens de passer de la cérémonie du thé à la liturgie catholique et au comportement des oies cendrées ... il faudrait évidemment justifier de telles traversées par le détail (j'essaie de m'y employer : dur dur ...)

La corrida , c'est autre chose . Les deux précédents transforment des situations ordinaires ( quoi de plus naturel que la séduction du sexe opposé -- ou disons simplement amoureuse pour n'exclure personne--, et le fait de se restaurer : Eliade a justement insisté sur la ritualisation des fonctions physiologiques les plus élémentaires) en liturgie ( que l'on peut prendre aussi dans un sens profane ) , alors que la corrida permet de vivre une situation interdite dans le quotidien du social ( je ne suis pas capable là comme ça de rappeler par exemple la date à partir de laquelle les duels ont été interdits) : violence de sang, avec perspective mortelle ( à différencier des sports mécaniques, où le risque de mort existe aussi : mais alors il s'agit d'un accident -- même si cette perspective peut se nicher dans le frisson de tel ou tel spectateur--, tandis qu'ici c'est le fondement . On pourrait je crois essayer deux directions opposées à partir de ce point de vue . Soit se diriger vers l'archaïque , aussi bien historiquement que dans le présent -- que nous supposerions donc-- d'un archaïque toujours logé dans nos cerveaux ( on parle bien du cerveau reptilien...) , soit , et alors il faudrait d'abord reconsulter René Girard (la violence et le sacré) , se diriger vers une violence inhérente à toute constitution sociale avec la nécessité pour toute société de gérer cette substance qu'elle ne peut pas ne pas produire. Le ritualisme est alors une socialisation de l'anti-social .

Mais je proposais aussi d'utiliser cette particularité : dans ces rites, l'assemblée est partagée en deux catégories : acteurs et spectateurs . Ici, ce que je propose pour l'instant, c'est d'introduire l'idée suivante : la vie par procuration . Ceci permettrait peut-être cette fois des liens aussi éloignés que , par exemple, de la corrida à la lecture d'un roman . Ce <<par procuration>> contiendrait aussi l'idée d'identification , et, je vais sans doute faire rire et j'en ris moi-même au moment de l'écrire : si l'identification à laquelle on pensera dans le cas de la corrida est l'identification au toreador, je ne suis pas sûr qu'il n'y ait pas aussi une identification au taureau à envisager comme possible. De là, nous remonterions vers le sacrifice religieux , avec cette idée sur laquelle G. Gusdorf ( passablement éliadien, quoiqu'ayant réagi vers 83) insiste quelque part : le but ultime du sacrificateur, c'est d'être lui-même le sacrifié .

Bon, mais j'ai oublié que j'étais sur Internet : j'arrête.
Amicalement .



Suivi