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Madame,
En réponse à votre requête du 31 octobre 2001, nous vous faisons parvenir un résumé de nos attentes vis-à-vis la Direction des services professionnels de notre établissement.
NOTRE COMMUNAUTE
La société québécoise est malade et ses symptômes sont le résultat de plusieurs maladies. Nous ne prétendrons pas pouvoir faire le diagnostic de chacune d'entres elles, mais nous voudrions porter votre attention sur l'une de ces maladies, parce que notre pratique nous amène à y être confronté quotidiennement.
Les anthropologues et les sociologues des religions (4,7,9) observent depuis plus de 20 ans une recrudescence des sectes religieuses et des mouvements magiques partout dans les sociétés occidentales. Dans leur analyse (1,2,3,4,7,8,9,10), ils s'entendent généralement pour associée cette recrudescence, d'une part, à l'angoisse inhérente à l'accélération des transformations du processus de production suite au développement de l'informatisation et, d'autre part, à la déshumanisation des rapports sociaux particulières aux sociétés commerçantes. Plusieurs de ces chercheurs(7,10) observent également un parallèle entre l'éclosion de ces sectes et la déconfessionnalisation des institutions et des rapports sociaux. L'Église en se retirant aurait laissé un "vide sémantique" dans lequel s'engouffreraient toutes sortes de croyances et de rites magiques de remplacement.
LE CLSC ET LE MILEU DE LA SANTÉ
Les milieux de la santé et des services sociaux sont plus vulnérables à ce phénomène pour plusieurs raisons. Les maladies alimentent l'angoisse des individus et le corps humain est le siège d'un important investissement affectif(5). Quoi qu'il en soit, notre CLSC, comme bien d'autre, est devenu une véritable "foire aux croyances". On fait plus souvent appel à des croyances ésotériques dans nos réunions de service qu'on fait appel à la foi chrétienne dans les réunions des conseils de fabrique.
Ces croyances sont souvent fascinantes mais toujours illusoires; il ne faudrait pas sous-estimer les dangers que représentent les pratiques magiques pour la santé publique. Comme thérapie de remplacement, ces thérapies occultes sont parfois mortelles. Les "médecins du ciel" ont fait des morts dans les Laurentides, il y a quelques années. Ici même, nos infirmières remarquent que des clients abandonnent des traitements médicaux conventionnels au profit de thérapeutiques douteuses. Que dire encore du pronostic d'un client syphilitique qui soignerait sa maladie seulement(6) avec une dilution homéopathique?
Les guérisseurs justifient parfois leurs pratiques en les qualifiant de "complémentaires". Cette prétention, non plus, n'est pas sans danger. Une recherche clinique sérieuse(5) menée en Angleterre a parmi d'établir qu'une femme soignant son cancer du sein seulement avec des traitements médicaux conventionnels avait plus de chance de survivre qu'une femme soignant simultanément le même cancer avec des traitements médicaux et des bibines alternatives. Pourquoi? Certaines bibines comme les diètes végétariennes font plus de mal que de bien. Elles affaiblissent le système immunitaire qui est en première ligne contre le développement du cancer.
Que dire encore des campagnes menées par les thérapeutes ésotériques contre notre mission en matière de santé ? Ce sont les naturopathes et les autres guérisseurs que nous invitons dans nos murs qui déconseillent vertement aux familles de faire vacciner leurs enfants et qui conseillent à nos clients d'arrêter de prendre leurs médicaments.
LES DEVOIRS DU CLSC
Nous avons la conviction que notre devoir comme institution est de protéger la santé publique. C'est notre devoir de faire de la prévention contre la maladie, mais aussi de faire de l'éducation face à des pratiques toutes aussi séduisantes que dangereuses.
Nous ne somme pas naïfs au point de croire que le CLSC fera des campagnes pour éduquer correctement la communauté face aux pratiques des guérisseurs. Mais, au moins, pourrions-nous envisager d'arrêter de faire la promotion de ces croyances et de ces guérisseurs? En les invitant dans nos murs, nous leur permettons de se faire du capital sur notre dos. Nous leur donnons une apparence de légitimité scientifique et sociale qu'ils ne méritent pas et qu'ils exploitent effrontément ("Je pratique au CLSC!").
LES DEVOIRS DE LA DSP
Il y a quelques années, dans notre CLSC, un comité médical a été mandaté pour émettre un avis à propos des thérapeutiques alternatives. Il aurait été raisonnable d'espérer que la DSP respecte cet avis et interdise au personnel de notre établissement de faire appel à des guérisseurs ou de recommander à la clientèle de faire appel à ces pratiques. Cet espoir a été déçu. La seule initiative de la DSP a été de commander les services d'une masseuse REIKI pour le "bénéfice" des employés. Comprenez bien que nous ne doutons pas des bénéfices objectifs d'un massage corporel, mais nous sommes beaucoup plus sceptiques à propos des effets d'un massage de l'aura ou d'un massage de "l'Être". Par ailleurs, nous trouvons risible le discours ésotérique des REIKI(11) qui croient dans l'existence de formes "d'énergies" qui seraient jusque-là restées inconnues des physiciens. On la mesure comment cette énergie? En joules?
Bien sûr, nous sommes dans la réalité. Nous connaissons trop la complaisance de nos collègues et de nos administrateurs face à ce fatras. Nous demandons, mais nous n'espérons pas vraiment que la DSP change son fusil d'épaule. Aussi, serons-nous raisonnables et ne formulerons qu'une seule requête formelle. Nous demandons que la masseuse REIKI arrête de faire brûler de l'encens dans le CLSC. Nous aimerions pouvoir continuer notre pratique professionnelle sans que cette odeur de brûlé vienne nous rappeler qu'ici c'est la science et le simple bon sens qui sont mis au bûcher. Si la masseuse REIKI tient absolument à faire des holocaustes à la gloire du "KI", pourrait-elle avoir l'amabilité de se trouver un autre Autel?
Bill
Psychologue clinicien
XXX
1- Atlan, Henri (1993) L'argument d'efficacité: Médecine scientifique contre nostalgie sciento-mystique. La pensée scientifique et les parasciences, Ed Albin Michel. pp 183-193
2- Bensaid, N. (1988) Le sommeil de la raison Paris Ed, Seuil.
3- Blanchard, Paul (1981): Le retour du religieux, L'état du monde 1981, Ed Boréal Express, pp 68-74.
4- Boy, D. & Michelat, G. (1993) Premiers résultats de l'enquête sur les croyances aux parasciences, La pensée scientifique et les parasciences, Ed Albin Michel. pp 209-223.
5- Corporation professionnelle des psychologues du Québec (1994) Les thérapie alternatives: de la pensée magique à l'évaluation scientifique.
6- Hahnemann S (1856), Exposition de la doctrine médicale homéopathique ou Organon de l'art de Guérir. Edition O.E.I.L. Paris
7- Introvigne, Massimo (1994) La magie à nos portes, Fides.
8- Maître, Jacques (1993) L'astrologie aujourd'hui. . La pensée scientifique et les parasciences, Ed Albin Michel. pp 69-80.
9- Renard, JB (1998) Élément pour une sociologie du paranormal. Religiologie, 18 (automne 1998).
10- Saillant F. & al. (1993) Thérapie douce et quête des sens. Revue internationale d'action communautaire 24/64. pp 63-72.
11- Top (2000) Qu'est-ce que le Reiki? http:// reiki.atpasserel.com/reiki
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