Au début de ton texte, tu as fait une belle analyse pour nous dérider... et je ne m'en froisse nullement ;-)
* * *
DENIS :
Aux échecs, avoir les blancs est un avantage énorme. Dans les parties de grands-maîtres, les blancs gagnent beaucoup plus souvent que les noirs. Sans compter que plus de la moitié des parties sont nulles. Grosso modo, 53% de nulles, 28% pour Blanc et 19% pour Noir, je pense.
ÉVARISTE :
Oui. Les calculs que tu fais sont justes (55% des points pour les Blancs et donc, comme dirait La Police, 45% pour les Noirs... et 0% pour l'arbitre :-)
Tout de même... Voyons ça de plus près.
Tout d'abord, l'avantage (constaté) des Blancs ne tient que pour une part (non négligeable, il est vrai) à la nature du jeu. Je veux dire que cet avantage PRATIQUE peut ne pas en être un en THÉORIE. Je m'explique.
a)
Je connais des joueurs (dont un entraîneur ex-soviétique coté à 2400 et des poussières) qui font BEAUCOUP PLUS de points avec les Blancs qu'avec les Noirs. Oui ! oui ! beaucoup plus de points.
En particulier, l'entraîneur en question (Roman Pelts) m'a déjà donné la raison pour son cas : avec les Blancs, il se sent plus d'attaque et, comme il a les Blancs... il se croit obliger de gagner à tout prix. Avec les Noirs, il est précautionneux : il joue positionnel «au boutte» et se fait un devoir et un plaisir de contrer les assauts ennemis. Moins ambitieux, il est plus efficace.
ATTENTION.
Tu pourrais être tenté de répliquer :
Oui, Évariste, je crois volontiers que certains joueurs gagnent plus avec les Noirs qu'avec les Blancs mais, tout de même, les statistiques PROUVENT que les Blancs ont un gros avantage.
Alors, Évariste de répondre :
Les statistiques ne prouvent peut-être qu'une chose... les Noirs souffrent souvent d'un complexe d'infériorité (p.c.q. ils savent que les statistiques les défavorisent).
Mais étant donné que les statistiques montrent aussi que certains joueurs font plus de points avec les Noirs qu'avec les Blancs, c'est que cela est possible et que, donc, il n'est pas a priori déraisonnable de penser que l'avantage des Blancs ne soit que statistique et non pas théorique.
b)
Rien ne dit que, dans l'absolu, les Blancs bénéficient d'un avantage THÉORIQUE réel. Il se pourrait même qu'ils soient perdants. L'argument principal pour appuyer cette thèse est que le jeu d'échecs est un jeu à information complète (je n'ai peut-être pas le vocabulaire exact).
Or, dès leur premier coup, les Blancs doivent se commettre. Les Blancs sont donc les premiers à se commettre.
Les Noirs, avant même de jouer leur premier coup, ont une information qui pourrait leur être fort utile, ce qui n'était pas le cas pour les Blancs.
D'ailleurs, la partie la plus courte possible est gagnée par les Noirs... après que les Blancs se soient compromis un grospeu :
1.g4 e5 (ou 1...e6)
2. f3 (ou 2.f4)
2...Dh4 mat au king-kong !
c)
J'avais un troisième point, i'm'semble, mais je l'ai oublié à cause du bulletin des nouvelles :-(
Voilà ! Ça m'est revenu.
Même si on arrivait à prouver mathématiquement ce que la pratique nous montre (avantage indéniable des Blancs), il n'y aurait pas matière à paniquer. En effet, au fil des tournois, chaque joueur a les Blancs dans 50% des parties.
d)
Dans un tournoi, celui qui perd une partie augmente ses chances de gagner la suivante. Par exemple, celui qui a 2 en 3 affrontera (habituellement) un adversaire qui aura lui aussi 2 en 3, tandis que celui qu a 3 en 3 aura normalement une plus forte opposition pour sa quatrième partie.
Si donc je viens de perdre une partie «parce que j'avais les Noirs» (sic), et que mon ami vient de gagner «parce qu'il avait les Blancs», j'ai plus de chance de gagner ma prochaine partie que mon ami car j'aurai probablement les Blancs et lui les Noirs (c'est une des règles d'appariement : alterner les couleurs autant que possible... mais surtout attribuer à un joueur le même nombre de Blancs que de Noirs, si possible.
DENIS :
Au go, on convient toujours (même dans les parties amicales) d'un "komi" de 5½ points qui annule presque exactement l'avantage des noirs (qui commencent).
ÉVARISTE :
Pour des parties amicales, il arrive que le plus fort prennent toujours les Noirs, si tel est le désir du plus faible. Ou bien le plus fort rend un certain avantage (le handicap), par exemple au chronomètre. il peut aussi rendre du matériel, ou laisser sont adversaire jouer les x premiers coups sans réplique des Noirs (mais les Blancs ne doivent pas traverser leur quatrième rangée dans ces coups sans réplique).
DENIS :
Je sais qu'il se donne aussi des handicaps aux échecs (une tour, un cavalier...) mais c'est loin d'être aussi universellement systématique qu'au go.
ÉVARISTE :
En effet.
DENIS :
C'était aussi l'opinion de Bruce Amos, de Toronto (est-il encore actif?) qui a été un des plus forts joueurs canadiens dans les deux jeux.
ÉVARISTE :
Je ne sais pas.
DENIS :
Jean Hébert, un des meilleurs joueurs d'échecs du Québec (et pas pire joueur de go) a aussi, je pense, la même opinion.
ÉVARISTE :
Jean est même un des meilleurs joueurs canadiens. Au beau temps de sa jeunesse, il a déjà gagné le titre de champion du Canada. Jean est maître international (MI). Au jeu par correspondance, il est grand-maître (GM ou GMI).
Je ne savais pas (ou j’avais oublié) que Jean s’adonne au go. Depuis quelque temps, il écrit des livres d’échecs. Du bon travail, paraît-il.
DENIS :
Autre argument: le pouvoir discriminant des deux jeux. Imagine un débutant moyen (d'un jeu ou de l'autre). Disons, quelqu'un avec un QI de 100 et qui a consacré 20 heures au jeu. Convenons qu'un joueur est "une coche" au dessus d'un autre s'il score à 90% contre lui (il gagne 90% des parties, les nulles donnant un demi-point).
ÉVARISTE :
Y'a queukchose qui cloche dans ta coche ;-)
Aux échecs, il y a des classes (200 points par classe). Par exemple :
1200-1399
1400-1599, etc.
La formule Elo des cotes a été construite de manière que si deux joueurs ont 200 points de différence, alors, statistiquement, le plus faible fera 25% des points contre le plus fort. Donc le plus fort ne fera «que» 75% des points... et non pas 90%.
Par ailleurs, il faut travailler très fort pour amasser deux cents points de plus que notre cote actuelle. Ce n'est pas l'affaire de seulement 20 heures supplémentaires d'étude ou de pratique.
De plus, le QI n'a pas grand chose à voir. Selon un sondage auprès de forts joueurs, le principal ingrédient pour devenir fort aux échecs est LA VOLONTÉ DE VAINCRE.
La puissance de visualisation était le premier facteur hors-tempérament... et elle ne venait qu'en sixième position, si je me souviens bien, derrière par exemple une bonne résistance physique, une bonne capacité de récupération nerveuse (en tournoi, le joueur est sous tension toute la partie), etc.
Prenons le cas de ton frère.
Coco Labelle a déjà dit que son QI est dans les 160. Moi aussi, remarque, sauf que lui c’est en Celsius et moi en Fahrenheit.
i’m’semble que j’ai déjà fait cette farce ici... et que j’ai déjà pondu un texte semblable à celui-ci. En tout cas, si c’est une redite, ce sera peut-être utile à ceux que le sujet intéresse et qui aurait manqué l’autre message.
Jacques est tout juste maître aux échecs. Pour 99% des joueurs, ce serait une chose extraordinaire que d’être maître. Mais moi qui ai très bien connu Coco, je me permets de répéter ce que j’ai déjà dit à Coco-veut-un-biscuit : si ce n’était que de son talent, qui est IMMENSE, il devrait être grand-maître depuis belle lurette. Mais je suis absolument certain que Jacques a manqué de confiance en soi. Je lui ai déjà dit que si j’avais la moitié ou le quart de son talent, ça chierait des flammes sur l’échiquier.
DENIS :
Je pense qu'aux échecs, entre un débutant moyen et un champion du monde, il y a au maximum une dizaine de coches. Au go, il y en a au moins 20~25. Je pense qu'une seule partie de go a un pouvoir discriminant à peu près équivalent à un "4 dans 7" de parties d'échecs. Ça compense à peu près la longueur des parties.
ÉVARISTE :
Tu as peut-être raison, je n’en sais rien. Dans les deux jeux, le débutant n’a AUCUNE CHANCE de tenir son bout contre le champion du monde (s’il ne meurt pas d’une crise cardiaque ou autrement pendant la partie). Alors, la question du nombre de classes entre un débutant et le champion du monde est académique, rien de plus.
DENIS :
Autre argument : l'ordinateur. Présentement, aux échecs, les ordinateurs les plus puissants sont de la force (un peu plus forts?) que le champion du monde.
ÉVARISTE :
Pour arriver à rivaliser avec les (disons) 5 meilleurs joueurs du monde, un programme d’échecs doit rouler sur une série d’ordinateurs hyper-rapides et couplés (chacun des ordinateurs effectue une partie des calculs.
DENIS :
(Sais-tu où en est rendu le match Kramnik-"Deep Fritz" actuellement en cours à Bahrein?).
ÉVARISTE :
http://www.116.gotochess.com/English/chessNews/scotsman/021010.php
DENIS :
Je ne vois pas un match de championnat du monde [au jeu de go] "homme-ordinateur" avant l'an 2100.
ÉVARISTE :
Il a été bien plus difficile pour les damistes de jouer à l’aveugle que l’équivalent pour les joueurs d’échecs... de là à tirer des conclusions sur les difficultés relatives de ces jeux il y a un pas... qu’il faut s’éviter de franchir.
Par ailleurs, le jeu d’échecs est connu et pratiqué sur un bien plus grand nombre de grandes villes du monde. Pour IBM et d’autres compagnies, faire un programme qui battrait le champion du monde leur assurerait une crédibilité dont ces compagnies ne pourraient pas rêver s’ils arrivaient à vaincre le champion du monde de go. Alors, même s’il des efforts sérieux sont faits pour concocter un programme pour bien jouer au go, je suis certain qu’il y a beaucoup plus d’efforts consacrés à produire un programme d’échecs qui viendrait à bout du champion du monde.
DENIS ;
Mais, en fin de compte, je suis prêt à te proposer la nulle.
ÉVARISTE :
Moi qui suis pacifique, j’accepte.
DENIS :
Comme les deux jeux dépassent amplement la capacité mentale humaine, se demander lequel la dépasse le plus, c'est un peu comme se demander si on meurt plus vite en recevant sur la tête une brique de 1000 tonnes ou une brique d'un million de tonnes. On meurt pas mal exactement à la même vitesse...
ÉVARISTE :
Now you’re talking ;-)
DENIS :
P.S. Dernier argument. Le mot GO a une "saveur" positive alors que le mot ÉCHEC a une saveur négative. ;-)
ÉVARISTE :
Très juste et j’en suis pleinement conscient... et malheureux :-(
Ouf ! J’ai fini par le pondre, ce texte !
Bonne nuit.
Évariste Galois-exténué
|