Ah non, ça ne va pas du tout, c'est bien trop facile. Tu ajoutes des hypothèses ad hoc pour renforcer ton idée, ce qui est parfaitement inacceptable, puisque tu protèges ainsi tes affirmations contre toute analyse logique. Tout cet échafaudage repose sur la non-falsifiabilité de ton argument de départ. Et comme je disais, on ne peut pas prouver la non-existence de dieu, ni de la «morale absolue» telle que définie. C'est le même genre de question, où un a priori inobservable est offert comme preuve de sa propre existence. Ça fait un système très solide, mais entièrement indépendant de la réalité. En tant que sceptique, je trouve ça entièrement irrecevable.
Je répète par ailleurs que le fait que l'idée de comportement moral soit universelle ne prouve, ni ne supporte, ni même ne *suggère* d'aucune façon qu'il existe une morale absolue. Tu fonctionnes à l'envers, comme Gene: tu veux voir/décréter une morale absolue, donc tu déniches des faits sélectionnés pour leur compatibilité avec ta thèse.
Les normes pratiques que nous nous imposons, c'est la morale dans les faits. C'est là que tout ce joue. Une morale absolue sans contenu est inutile si elle ne répond pas à la question, «que dois-je faire?» C'est une hypothès non seulement superflue, mais qui ne cadre pas avec la réalité empirique. Comparons avec Kant. Kant propose un modèle moral absolu *formel* pour nous aider à répondre à cette question. Que veut dire «formel?» Ça veut dire qu'il n'offre pas de règle concrète (la raison étant que les règles générales s'appliquent toujours très mal dans les situations spécifiques), mais un système purement logique d'évalutation de l'action. La faculté humaine de base postulée est donc le jugement et rien d'autre. Il n'a aucun besoin de spéculer sur une morale absolue, surtout si on entend par là un ensemble de règles «parfaites» prédéterminées, éternelles et à la fois assez flexibles pour s'appliquer partout et en tout temps. En fait, l'idée même d'une telle moralité ne fait aucun sens. Voilà pourquoi ton analogie du livre (à par sa presque parfaite anti-testabilité) est trompeuse: il y a une contradiction fondamentale dans le concept lui-même.
Il y a donc absolu et absolu, comme il y a, que ça fasse ton affaire ou non, relatif et relatif. Dans cette variété kantienne d'absolu, la règle de conduite elle-même n'est prévisible que dans ses grandes lignes. Il y a donc absolu au sens où l'outil intellectuel du jugement est absolu (je ne le décris pas pour l'instant, mais il s'agit d'un système logique qui de premier abord ressemble à la règle d'or mais ne l'est en fait pas du tout), mais jamais ses conclusions. Je ne dis pas qu'il faut adopter Kant: simplement, il faut nuancer.
Enfin, je sais bien qu'il est plutôt déroutant de penser la morale comme une construction sociale. Mais on ne peut pas accepter seulement les choses qui nous réconfortent ou nous rassurent. De toute façon, je ne vois pas en quoi ça nous aide, de pouvoir justifier la morale dans l'absolu--surtout si on n'y a pas accès! Personnellement, je trouve ça pas mal plus convainquant quand on peut me démontrer *pourquoi* ceci ou cela est la marche à suivre, cad la justifier ici et maintenant, que quand on répond simplement, «parce que».
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