Jodie a écrit : 22 févr. 2024, 01:15
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'' ... produit un inconscient cognitif dont la conscience n'est le plus souvent qu'un alibi.''
Pouvez-vous développer, si vous en avez le temps.
Sommairement, avec prudence et mesure, je vais tenter une approche de cette problématique.
Nous sommes le produit d'expériences, de rencontres, d'interactions multiples, et continuelles, qui ne s'arrêtent jamais, y compris pendant notre sommeil, de rapports avec notre environnement, notre niche écologique (cf. les niveaux d'organisation).
Par écologique il faut comprendre ce qui nous permet de nous maintenir en vie et d'être.
Le cerveau n'est pas un organe exceptionnel. C'est un abus de langage, j'y reviendrai par la suite. Le cerveau permet des possibilités particulières et uniques qui n'ont pas d'équivalent sur cette planète, dans l'univers du vivant. Du moins, il n'y en pas d'autres connus à ce jour. Il faut rester lucide, rationnel, analyste. Le cerveau n'est que le produit d'une lente et longue évolution, inscrite non pas dans un plan d'ensemble (l'évolution est tout sauf "logique", avec une idée directrice, un axe majeur), mais dans un cursus d'expériences dont l'une est la rencontre, entre autres, de l'être humain avec le feu qui a permis aux individus de disposer de confort, de protection, et de pouvoir améliorer significativement la qualité des apports nutritionnels. La nourriture cuite, carnée entre autres, a permis l'ingestion de protéines et autres nutriments dont la qualité a été optimisée (digestion et dégradation plus faciles,...). Ce qui permis la modification progressive du cerveau, sur le plan neurophysiologique ( je retranscris ce que j'ai retenu, en synthèse, parce c'est très complexe et affaire de spécialistes, ce que je ne suis aucunement).
Le cerveau humain n'est pas une finalité dans l'histoire de l'évolution, mais une étape. Cette histoire continuera et prendra d'autres formes. Mais nous ne serons certainement plus présents pour le constater. L'apparition du vivant remonte à 3,500 000 milliards d'années, ce qui rend humble, modeste, et calme les ardeurs. Le vivant a eu le temps de s'adapter et ce en fonction des environnements changeants qui n'ont pas manqué.
Comparativement, cela fait au final très peu d'années que le fonctionnement du cerveau est étudié, depuis l'apparition de la m"decine scientifique moderne, dont les jalons ont été posés par Claude Bernard en 1865.
Le cerveau humain a aussi été "façonné" par l'homme au cours des âges, et c'est ce qui le distingue de celui de nombre d'autres espèces animales.
Le cortex néo-associatif spécifique à l'espèce humaine aurait très bien pu ne jamais apparaître, et se développer à ce point, il est le produit d'évènements internes et externes, dans le jeu des interactions. La somme des mécanismes mis en oeuvre est époustouflante.
L'inconscient cognitif est la résultante de mémoires diverses (et non pas "la mémoire", considération bien trop réductrice et limitée). Mémoires de ce qui est agréable (avec le plaisir), désagréable (avec la punition), qui sont engrammées puis automatisées, ce qui va produire par la suite des comportements, des réactions pour agir dans et sur l'environnement. C'est un processus parfaitement inconscient, et cet inconscient correspond à une cognition incarnée qui échappe au conscient.
Le cerveau fonctionne suivant deux modes: celui intuitif et l'autre, analytique.
L'inconscient cognitif, fruit d'expériences, qui aboutissent à des automatisations comportementales, nous permet de conduire une voiture sans que nous ne nous souciions de la place de nos pieds sur les pédales, des rapports de la boîte de vitesse (pour les boîtes manuelles). L'optimisation de ces automatisations se constate dans le cas du pilotage d'une moto où les paramètres sont considérables. Pas d'automatisations réussies, pas de conduite sécurisée.
La conduite d'une moto est une excellente école avec des extensions comme la conduite sur circuit, le trail, le moto-cross. C'est l'inconscient cognitif à l'œuvre, sinon la rencontre avec l'environnement pourrait être fatale !
Et le conscient, là-dedans? Dans le cas du motocycliste, il peut se laisser aller à des sensations, se consacrer à la qualité de son pilotage, affiner les paramètres,... tout comme le pianiste qui pourra après avoir maîtrisė la technique, l'indépendance des mains, le solfège, l'apprentissage des gammes, des accords,... se consacrer à la sonorité, l'expression, la création,...
C'est cet inconscient qui permet au conscient de s'exprimer, qui lui fournit un socle, et les deux reposent sur une machinerie neurophysiologie monstrueuse de complexité. Le langage n'étant qu'une extension du fonctionnement du cerveau, et pas un objet , tout comme la conscience, indépendants de ces processus neurophysiologiques qui sont la résultante des stades de l'évolution. La conscience est apparue après l'expression du vivant, le langage a suivi. Comment exactement, et quand ? Je n'en sais rien, c'est infiniment compliqué, et sujet à hypothèses émises par un nombre conséquent de spécialistes, qui ne peuvent pas se cantonner à un seul domaine d'investigation et d'expertise.
C'est aussi pour cette raison que lorsque l'on parle de "libre-arbitre", il serait bon de s'interroger quand à ce que l'on entend exactement, et à quel niveau d'organisation on se situe.
Nous ne sommes pas ce que nous pensons être : nous évoluons le plus souvent dans des croyances et nous nous donnons, en principe, les moyens d'essayer de comp6le pourquoi du comment en utilisant le mode analytique de notre cerveau qui fait appel aux informations stockées de notre inconscient cognitif constitué d'un bric à brac d'éléments de connaissance, mais aussi de jugements de valeur, de stéréotypes,... Notre conception du monde est articulée sur ces éléments qui travaillent "à l'insu de notre plein gré"

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Nous ne nous appartenons pas : nous croyons, parce que nous disposons de la fonction du langage et dune conscience, que nous pouvons maîtriser bien des opérations. C'est oublier un peu vite que nous ne pensons indépendamment de ce que nous sommes, de nos constituants intimes. Par contre, nous pouvons créer des associations originales, inédites, différentes.
La question de l'alibi ? Le conscient dépend de cet inconscient cognitif auquel nous n'avons pratiquement pas accès, et que nous ne pouvons pas modifier ou contrôler. Ses "motivations" ne dépendent pas de notre bon vouloir.
Cet inconscient repose sur le fonctionnement de chaînes de réseaux neuronaux qui ont été codées. C'est de la neurophysiologie reposant sur des bases physico-chimiques, et pas des idées évanescentes. Il faut toujours se méfier du langage, langage bien limité pour rendre compte des réalités scientifiques. L'individu ne saurait être réduit, ou se résumer, au langage qu'il emploie. Ce n'est qu'un aperçu, un habillage, qui obéit à d'autres fonctions, à d'autres règles, celles entre autres, de la coopération, de l'entraide, mais aussi de la dominance hiérarchique.
Les biais cognitifs sont indexés à cet inconscient.
Il n'y a rien de nouveau, ces questions ont occupé des générations de chercheurs. Les explications étaient souvent affaire de langage, avec des formulations de nombreuses hypothèses. Désormais, les possibilités technologiques permettent d'étudier, via des expériences et des études, ce qui peut se passer en direct dans le cerveau (mise en évidence d'influx, d'activations de zones cérébrales), ce qui a permis de confirmer, ou de réfuter, ou encore d'ouvrir d'autres pistes de recherches.
Certaines décisions, pour le traitement d'opérations intellectuelles (dans le cadre d'un protocole expérimental) sont prises avant que les informations ne parviennent à la conscience. Ce qui pose des questions existentielles : a-t-on le choix des opérations? Décide-t-on vraiment de tout?
Le conscient, via le langage, va toujours pouvoir trouver des explications, la rhétorique va y pourvoir, ce qu'on appelle de l'argumentation logico-langagière qui s'autorėfėrence.
Dans la réalité des faits, les expériences en question, c'est quand même troublant et déstabilisant.
Les possibilités offertes à un être humain, sur le plan conscient sont si inouïes, qu'elles lui font oublier la trivialité rude du fonctionnement de la machinerie interne.
Nous avons l'illusion de penser que nous pouvons échapper à notre "destin", qui n'est que l'expression du vivant en activité.. Quoi que nous fassions, nous sommes la seule espèce vivante à savoir que l'aventure s'arrêtera un jour. L'échéance nous en est inconnue, nous n'avons pas les moyens d'en maîtriser l'intégralité des paramètres.
Rien ne nous empêche de bricoler et de créer. De rêver, d'espérer,...
Les chercheurs ont découvert qu'à l'intérieur de cet inconscient cognitif les souvenirs pouvaient être recombinés et "arrangés". Les traces mnésiques existent, mais le contenu ne reste pas stable. Étonnant, non? Pourquoi? L'évolution est facétieuse...
Cette question des souvenirs a permis, d'ailleurs, de mettre un frein aux prétentions psychanalytiques à ce niveau.
Ce n'est pas pour rien que les psychanalystes détestent les neurosciences car elles mettent à bas bien des dogmes et des erreurs conceptuelles qui ont retardé les possibilités d'investigation.
"Nous ne nous appartenons pas " n'en prend que plus de saveur...
Bruno Dubuc est autrement plus qualifié, expérimenté et habile pour aborder cette complexité.
J'espère ne pas avoir raconté de somptueuses âneries, la marge de manoeuvre est faible et l'exercice périlleux.

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La conscience nous paraît l'élément le plus important de notre équipement d'être humain. Elle nous aveugle, en dépit des possibilités qu'elle nous offre. Ce n'est qu'une partie parmi d'autres. Il faut plutôt la penser à l'intérieur d'un ensemble (un niveau d'organisation), qui lui-même fait partie d'un autre niveau, etc... (cf. un post précédent). Ce qui rend l'exercice ardu, puisqu'il est pratiquement impossible d'être observateur et observé, dans son fonctionnement.
Étienne Klein, Aurélien Barreau,... et nombre d'autres chercheurs sont passionnants.
Ce sont des références dans ce monde dérégulé.
L'être humain victime de ses créations?
Thierry Ripoll le laisse sous-entendre...
Le cerveau humain actuel ne serait plus adapté à son environnement, devenu d'une complexité démoniaque *.
https://www.marianne.net/agora/entretie ... ironnement
Ripoll rejoint Barreau sur ce terrain, avec une note d'espoir.
* Le cerveau horreur d'être confronté à une surcharge cognitive (neurophysiologiquement, c'est fatigant), et à ce qu'il ne comprend pas. Le monde moderne va trop vite pour lui, les informations sont à flux continu, les sollicitations trop nombreuses. Un cerveau, c'est un objet archaïque qui a évolué... lentement... très lentement...
Ce qui pourrait expliquer le retour du fait religieux et des pseudo-sciences chez les jeunes générations, d'après plusieurs sondages. Les sociétés sont devenues terriblement anxiogènes, réfléchir demande des efforts et des compétences, c'est devenu très compliqué de décrypter les informations, il est plus aisé, réconfortant et rassurant de céder aux sirènes des solutions toutes faites et du prêt à penser. La dernière pandémie et les confinements ont précipité les personnes vers ces options faciles.
Faire un pèlerinage à Lourdes est moins coûteux que de se plonger dans un ouvrage de Pascal Boyer ou de Thierry Ripoll.
Pour donner une idée de la dimension environnementale et des interactions humaines...
Par exemple, prenons l'art pariétal, caractéristique de représentations symboliques humaines.
Attardons nous sur Sapiens.
L'étude de plusieurs grottes a permis de déterminer des époques, avec des traces successives.
Certaines ont connu de longues périodes d'inactivité, elles semblent ne pas avoir été occupées, aucun vestige n'a été retrouvé. Entre les périodes d'activité, qui peuvent se compter, en certains cas, en centaines d'années, voire en millénaires, les outils, techniques, et thèmes des représentations graphiques n'ont que peu varié. Les groupes humains étaient constitués de chasseurs-cueilleurs qui n'étaient pas fixés sur un territoire.
L'environnement était plutôt stable, les interactions, hors périodes ģéoclimatiques tumultueuses, semblent avoir été limitées.
L'item principal était la survie, celle du groupe et celle de l'individu et les moyens de l'assurer.
Il s'est écoulé des dizaines de millénaires à ce rythme.
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Les événements se sont accélérés au néolithique, à partir du moment où des populations se sont fixées au sol et ont commencé à développer des techniques modernes (agriculture, élevage, créations artistiques élaborées, structures hiérarchiques complexes, organisation et gestion du groupe...). Les conditions de survie ont été moins rudes, les notions de confort se sont progressivement développées,... L'activité cérébrale nécessaire s'est progressivement optimisée, les paramètres et contraintes ont considérablement varié.
L'être humain a commencé à agir dans et sur son environnement physique. Les interactions ont été modifiées et ont suivi une courbe croissante pour ne plus jamais s'arrêter.
Le cas de Néandertal.
Au fur et à mesure des recherches, il apparaît que Néandertal n'était pas un être frustre, carré et bestial, quelque peu arriéré, par rapport à Sapiens.
La difficulté étant qu'il existe peu de traces exploitables, que les groupes d'hominidés n'étaient pas homogènes dans leurs comportements, qu'ils pouvaient être disséminés et très éloignés les uns des autres sur un territoire, qu'il existe, d'après les études, des variations dont l'une est la coexistence, voire la cohabitation, observées. Le rapprochement intime, entre Sapiens et Néandertal a pu se produire. Que s'est-il passé dans ces cas? Néandertal est très difficile à étudier en raison du peu de matériel disponible. Existait-il différents stades d'évolution pour cette espèce?
Quant aux raisons de sa disparition, il n'existe sans doute pas un seul scénario possible, en l'état actuel des connaissances.
L'hétérogénéité probable des populations ne facilite pas le travail.
La plupart des traces ont disparu, de temps à autre, des exhumations fructueuses relancent les interrogations.
Il existe d'autres espèces recensées dont on ne sait pratiquement rien (Denissova) pour les mêmes raisons.
Le cerveau (inconscient, conscient, langage, abstraction, symbolisation,...) risque de conserver une bonne partie de ses mystères...Pour connaître l'homme, il faut tenter de déterminer ses origines et remonter à l'émergence du vivant, ce qui suppose non un seul domaine d'investigation et d'expertise, mais un travail conduit en interdisciplinarité où l'archéologie voisine avec l'anthropologie, l'ethnologie, la biologie,...
Il est possible, comme je le notifiais dans un précédent post, que l'éthologie fournisse des éléments de réflexion avec de nouveaux apports.