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Re:Science vs religion, Heidegger Rep à Gaël


Re: Science vs religion, le retour. -- Gaël
Postée par decroix rene , Apr 24,1999,05:01 Index  Forum

Citer Heidegger pour la défense du mythe , c'est confondre illustration et démonstration.
Il est à noter que les éléments utilisés par Heidegger, en contre-point du soleil du berger, sont des éléments qui lui sont fournis par la science, des éléments qui ont valu à la science les foudres du mythe. Il est à rappeler que la préoccupation principale de Heidegger fut, pendant une longue période, d'évincer les scientifiques du cercle des décideurs de l'université allemande, et qu'il s'appuyait alors sur la composante mythique de la stratégie culturelle nazie .
Le choix de Heidegger dans cette discussion est néammoins très pertinent : il serait interessant en effet de recenser tous les courants qui l'ont utilisé . Certes on trouvera dans son voisinage des personnalités comme H. Arendt , P. Ricoeur, etc., mais on pourra différencier toute une zone qui utilise essentiellement Heidegger pour la promotion d'un fondement mythique aussi bien de l'ontologique que du social . Alors, à partir de cet ensemble, on verra que les liens s'organisent d'eux-mêmes vers les sources les plus communes de l'Horreur .
Ceci suggère pour ce débat l'essai d'un appareil simple, avant les développements philosophiques , à savoir la comparaison non pas seulement de ce qui est cru, pensé, ou su, mais du couple formé par ce que l'on croit et ce que l'on en fait .
On sait ce que fit Heidegger à partir de sa métaphysique qui lui faisait dire " La science ne pense pas " .
Mais d'une façon générale, il semblerait bien que l'histoire nous dise que c'est toujours dans le mythe que le rituel sanglant , les massacres, l'Horreur décidée ( précision pour que l'on ne rétorque pas en citant les catastrophes technologiques) , ont trouvé justification .
Par ailleurs, il ne me semble pas très convaincant de dévaloriser un scepticisme par simple entachement de positivisme . Du reste, il y a plusieurs positivismes , mais pour ici nous pouvons penser au positivisme qui se veut essentiellement une attitude méthodologique, comme on pourrait aussi bien le dire du réductionnisme, cet autre lieu commun de la critique dédiée à la science . Le scepticisme n'interdit pas le comme si , et on ne voit pas comment travailler une hypothèse sans considérer , temporairement mais sans réserve , qu'elle doit se comporter comme si elle était vraie .
Or ce relativisme est foncièrement refusé par la conscience mythique ( certains penseront au pari de Pascal, mais c'est sans doute autre chose) . La vérité mythique est absolue . C'est du reste la difficulté à vivre cet absolu qui fit du mythe nazi , dans lequel Heidegger était partie prenante en rêvant d'être partie inaugurante, ce que l'on a pu appeler" le mythe du mythe", exigeant une perpétuelle fuite en avant , et cette concrétisation historique serait peut-être en écho de l'idée heideggerienne de l'être apparaissant dans le retrait de l'étant , et tout aussi bien réciproquement . Ainsi le mythe donne l'être par preuve de l'être dans l'existence, dans l'action, en définitive dans l'intensité de la sensation d'être . La science au contraire appartient à la catégorie du devenir -- et au plus fortement , on peut se souvenir que G. Bachelard déjà considérait parfois moins une découverte qu'une création du monde, par la science . Et ce devenir appelle tout naturellement le scepticisme , remède incontournable contre l'arrêt de pensée -- serait-ce dans la contemplation -- , contre la mort de la pensée . Dans la pensée mythique , la faute impardonnable est le doute ; dans la pensée scientifique, le viatique indispensable est le doute . Mais le doute n'est pas un état que se donne l'âme pour s'y repaître , contrairement à l'immersion dans un univers mythique , et c'est dans l'action alimentée par ce doute que le sceptique pourra prendre une allure de positiviste.
L'allusion à l'époché est interessante : il faut se souvenir que Husserl désavoua son pourtant briallant élève, Heidegger . Si quelqu'un ne pratique pas la suspension du jugement, c'est bien Heidegger, c'est bien le mythe . Sauf sans doute dans l'autre sens du mot jugement : car on se dit volontiers dans ces zones : Par-delà le Bien et le Mal .
Mais plus simplement , peut-être ne faut-il pas confondre suspension du jugement et suspension de l'analyse . Et il se trouve qu'effectivement le mythe pratique la suspension de l'analyse : dans ces pays, l'analyse est vulgaire, on ne cultive que la synthèse , au plus brillante qu'elle sera immédiate .
Quant à la vérité , ce qu'il ne faut pas confondre cette fois, c'est quelqu'un qui croit que l'accès à une vérité objective ne peut se faire sans la cience et quelqu'un qui prétend que la science possède toute la vérité : où se trouverait aujourd'hui un scientifique exibant une telle prétention? Le scientifique ne dit d'ailleurs pas qu'il n'y a pas de vérité dans le mythe, pour la simple raison qu'il suffit que le mythe existe pour que, forcément, il exprime une réalité du monde : Durkheim déjà , puisqu'il a été question de positivisme, à propos de la religion, faisait clairement et fortement figurer cette évidence dans sa célèbre étude .

Avec l'accusation de positivisme, vient souvent celle d'orgueil . Alors une suggestion : si l'orgueil est à la science, la vanité est au mythe , comme il va entre celui qui dit je serai et celui qui dit je suis .
Dès lors,cet orgueil n'est pas le contraire de l'humilité, dont manquait tant Heidegger.

Aussi grand herméneute soit-il, Heidegger est parfois fragile philosophiquement , et on peut sans doute en relever une illustration dans le texte cité . A un moment, il donne une définition scientifique de la table : des charges électriques se mouvant dans le vide , et il désigne ainsi la choséité de la table pour le scientifique : c'est proprement absurde , car il vient de donner un segment de définition s'appliquant universellement , ce qui est le contraire de la désignation d'une choséité particulière. C'est comme s'il prétendait que toute la définition d'un homme donné par un scientifique serait : un ensemble de particules élémentaires . Mais on y relévera peut-être un trait heideggerien, plus généralement un trait ésotérique , dans la tendance à une sorte de holisme cosmique, pour dire vite .
Amicalement , rené decroix .



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