Les homéopathes ont quand même des succès. Chaque adepte de cette approche rapporte des cas de guérisons dont il peut témoigner personnellement. Qu'importe alors les principes sur lesquels repose l'homéopathie soient vrais ou faux, puisque la seule chose qu'on lui demande est de guérir et qu'elle semble bien y parvenir. La valériane n'a-t-elle pas soigné l'anxiété durant tout le Moyen Âge sans qu'on en connaisse véritablement le processus actif ?
Mais l'homéopathie est-elle vraiment efficace ? Ces guérisons observées par les homéopathes proviennent-elles de leurs traitements, sont-elles une simple évolution naturelle de la maladie ou proviennent-elles encore d'une complaisance psychologique du malade appelée "effet placebo" ? (voir encadré). Une seule façon de répondre à ces questions: les essais cliniques contrôlés qui permettent de mesurer l'effet thérapeutique véritable du produit des autres facteurs pouvant influencer le cours de la maladie.
Plusieurs générations de chercheurs ont tenté de mesurer rigoureusement l'efficacité de l'homéopathie. Au XIXe siècle déjà, on comptait une vingtaine d'essais cliniques réalisés dans divers hôpitaux de grandes villes européennes. Au début du siècle, encore, d'autres études étaient menées par des homéopathes américains qui commençaient à douter de la véracité des enseignements reçus.
En Allemagne, avant la guerre, l'homéopathie jouissait de la protection des nazis {voir annexe-II}. L'homéopathie avait, en effet, tout pour plaire aux idéologues du Reich comme Rudolf Hess parce que sont fondateur était d'origine arienne et par ce que la théorie éthyologique des homéopathes convergait avec la propagande nazis sur les tards héréditaires. Quoi qu'il en soit, durant cette période, on tenta de faire la preuve de l'efficacité des dilutions en les soumettant à des épreuves comparées auprès d'enfants orphelins allemands.
Ces essais ne respectaient pas la rigueur des normes actuelles et il serait anachronique de les citer toutes, mais il est important de savoir que "les résultats désastreux obtenus par l'homéopathie", durant les essais américains et allemands, furent un facteur important de la désaffection de l'homéopathie par le corps médical de ces pays dans la première moitié du XXe siècle2.
Tous ces travaux sont rapportés par le Dr Jean-Jacques Aulas2 qui, avec son équipe, a effectué une lecture exhaustive des recherches comparatives depuis la fondation de l'homéopathie jusqu'à aujourd'hui. Les conclusions du Dr Aulas cherchent à être nuancées mais les résultats qu'il rapporte n'en sont pas moins révélateurs. De plus de 1,163 substances utilisées par les homéopathes comme remèdes, une infime minorité ont été testées et, de celles qui ont été testées méthodiquement, aucune n'est parvenue à prouver son efficacité de manière probante.
Des recherches réalisées en France et en Angleterre au cours des deux dernières décennies semblent supporter les croyances des disciples d'Hahnemann, mais elles ont pour la plupart été réalisées sous le parrainage des compagnies qui vendent les produits homéopathiques et elles souffrent de graves lacunes méthodologiques qui, d'après le Dr Aulas, en invalident les conclusions2,3,4.
Hill & Doyon (1990)24, de l'Unité 287 de l'Inserm, qui ont également effectué une revue de 40 études cliniques, en arrivent aux mêmes conclusions négatives. Ils observent que peu d'études sont conduites de manière rigoureuse et qu'aucune de celles qui sont menées de manière crédible ne donnent de résultats en faveur de l'homéopathie.
LA SOLUTION FRANÇAISE
Lorsque l'on fait le décompte des résultats d'études expérimentales et cliniques, on remarque que seuls les chercheurs homéopathes obtiennent parfois des résultats positifs. Les chercheurs sceptiques eux n'obtiennent que des résultats négatifs.
Les sceptiques accusent les homéopathes de tricher et les homéopathes leur renvoient les mêmes reproches. En sciences, les fraudes ne sont pas rares, surtout lorsque des intérêts commerciaux sont en jeu4,11,27,. Même lorsque la bonne foi des chercheurs n'est pas remise en question, on connaît le rôle délétère des préjugés des chercheurs sur le cours de sa recherche. Ce phénomène est bien connu sous l'appellation "d'effet Rosenthal". D'après ce principe, un chercheur a tendance à obtenir les résultats qui confirment ses attentes. La méthode scientifique ne résout donc pas à elle seule la controverse.
Pour contourner ce problème, le gouvernement français eut l'idée de rééditer une solution aussi vieille que pratique. Elle consistait à bâtir une équipe de recherches composée de savants appartenant aux deux groupes opposés. En 1985, la ministre Georgina Dufoix, une chaude partisane de l'homéopathie, a commandé des études cliniques pour éprouver les dilutions homéopathiques3,8 et "confondre" la communauté scientifique française qui s'était jusque là inscrite en faux contre l'homéopathie.
La première étude fut donc réalisée par une équipe mixte composée de chercheurs sceptiques et de plusieurs grands noms de l'homéopathie française. On choisit d'abord de mettre à l'épreuve "Opium 15CH" et "Raphanus 5 CH", des dilutions censées hâter la reprise des transits intestinaux après une chirurgie abdominale. Aux yeux des homéopathes, ce choix était judicieux parce que, d'une part, ces dilutions pouvaient être prescrites sans tenir compte du "tempérament" des sujets et, d'autre part, parce que plusieurs études antérieures14,16,54 réalisées par des homéopathes avaient apparemment montré l'efficacité de ces produits.
La méthodologie randomisée et en double aveugle fut d'une rigueur particulièrement étanche, évitant tous risques de fausse interprétation et tous risques de tricherie4. L'étude, d'une grande ampleur porta sur 600 sujets et impliqua la participation de 12 hôpitaux. L'essai réalisé et publié dans "The Lancet" montra l'inefficacité complète des deux dilutions homéopathiques testées36.
Après cet échec retentissant, la ministre Dufoix fut destituée et son remplaçant s'empressa d'arrêter le programme de recherche. Il faut comprendre que l'homéopathie est une grosse industrie d'exportation en France et que là-bas le chômage est une préoccupation politique aussi importante qu'ici. En faisant des études rigoureuses sur l'homéopathie, le gouvernement français se tirait littéralement dans le pied.
Au Québec, les chercheurs ont également opté pour la solution française. Deux recherches cliniques en double aveugle ont été réalisées au Centre hospitalier de l'Université Laval par une équipe mixte composée de médecins sceptiques et homéopathes. La première28 fut réalisée, en 1992, sous la direction du Dr Michel Labrecque. L'étude portait sur une combinaison de dilutions homéopathiques (thuya, antimonium crudum, nitricum acidum) présumées capables de faire disparaître des verrues plantaires. Il s'agissait aussi d'un symptôme de choix puisque les homéopathes se vantaient d'obtenir 80% de succès dans le traitement des verrues plantaires. Pour le réaliser, les chercheurs ont composé deux groupes identiques de patients présentant des verrues plantaires. Au premier groupe, ils ont donné les remèdes homéopathiques mis à l'épreuve. Au second groupe, les chercheurs ont donné des granules de sucre inactifs (placebo).
Les résultats furent très révélateurs. Parmi les 86 patients traités par l'homéopathie, 2O,0% ont vu disparaître leurs verrues après 18 semaines. Mais, ironie, dans le groupe contrôle soigné seulement par des granules de sucre, le taux de guérison s'est élevé à 24,4%. Les résultats du sucre étant supérieurs à l'homéopathie, on n'a même pas eu à procéder à une analyse statistique.
Plus récemment, une autre équipe du CHUL dirigée par le Dre Lucie Baillargeon, a, elle aussi, réalisé un essai clinique avec un autre remède homéopathique6. Il s'agissait, cette fois, d'un remède (Arnica Montana) supposé capable de hâter la coagulation sanguine. Les résultats de cet essai montrent, eux aussi, qu'il n'y a pas de différence mesurable entre le groupe traité par l'homéopathie et le groupe traité par des comprimés inactifs.
Nous avons rejoint séparément par téléphone les docteurs Labrecque, Baillargeon et Latulippe du Département de médecine familiale de l'Université Laval à Québec, qui ont conçu ou participé à ces expériences. Chacun d'eux a fait une revue de la littérature scientifique publiée à cette date, et comme Jean-Jacques Aulas4, Hill et Doyon24, ils constatent qu'aucun argument sérieux ne permet de croire dans les propriétés curatives des dilutions homéopathiques.
Ce contraste entre l'efficacité clinique apparente et les résultats expérimentaux négatifs n'est pas particulier à l'homéopathie. Le professeur Goyer (titulaire de pharmacie à l'Université de Montréal) observe le même phénomène avec des médicaments *allopathiques+ expérimentaux. Certains d'entre eux montrent des résultats spectaculaires atteignant 80% dans les études *ouvertes+, où le chercheur connaît au départ les clients qui reçoivent le médicament expérimental. Mais ces résultats sont ramenés à zéro lorsque les mêmes médicaments sont comparés à un placebo dans un schème de recherches rigoureux où les sujets expérimentaux ne sont connus qu'à la fin du processus (double aveugle). Pourquoi ? D'après le Pr. Goyer, il s'agit, d'une part, d'une erreur provoquée par un biais psychologique (effet Rosenthal) qui fait qu'un chercheur trop confiant surestime, en toute bonne foi, un médicament en réalité inefficace et, d'autre part, d'une "optimisation" de l'effet placebo propre à la relation thérapeutique dans les études ouvertes (effet Hawthorne). En effet, un chercheur qui présente à un malade un médicament dans lequel il croit, n'a pas tout à fait la même attitude que lorsqu'il présente un comprimé qu'il sait être un placebo. La seule manière de contourner ce préjugé est de réaliser une étude en aveugle sans savoir au départ qui prend le remède et qui prend le placebo.
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