Une note d'abord sur le point 3 : encore une fois, vous avez esquivé mon objection. Toute mutation non-neutre provoque un changement dans l'action du gène. Or, ce que j'explique depuis le début, c'est qu'un changement d'action est déjà un changement de fonction, si faible soit-il. Il peut être si faible que nous ne le percevrons même pas ; peu importe tant que la sélection, elle, le perçoit. Quoiqu'il en soit, ce que nous jugeons bon d'appeler un véritable "changement de fonction" n'est qu'une accumulation de ces petits changements d'action. Chacun est favorisé par la sélection naturelle, ce qui est permet d'assurer que la séquence ne va pas "s'égarer" dans l'océan des presque 10 puissance 600 séquences possibles non-fonctionnelles : dès qu'elle s'éloigne un tout petit peu de l'espace restreint (mais uni, toutes les séquences fonctionnelles étant reliées plus ou moins lointainement par une série d'intermédiaires également fonctionnels) des séquences utiles, la sélection condamne impitoyablement cette erreur. Peu importe que 99, 99,9 ou 99,99 % des essais mènent à des erreurs de ce type.
Vous me répétez ensuite une remarque que vous avez déjà faite (et qui a déjà été réfutée) à plusieurs reprises : Pourquoi croyez vous que l’accumulation de « variations avantageuses » aboutiraient à une nouvelle fonction ? Plus vous améliorez une fonction, plus vous convergez vers LA séquence optimale et à ce point, vous êtes dans un cul de sac; vous n’arrivez pas à une AUTRE fonction. Et si ce gène se dédouble « pour » muter, toutes mutations sur ce gène seront néfastes puisque vous ne pouvez plus l’améliorer.
Où est l'erreur ? Elle est énorme - si énorme qu'on ne la verra d'ailleurs pas forcément. Elle se situe à la base. Vous présupposez qu'il existe un nombre défini de "fonctions" et que chacune d'entre elles serait accessible directement à la sélection naturelle - autrement dit, que celle-ci serait capable d'améliorer les fonctions préexistantes en sélectionnant chaque gène qui l'accomplirait mieux (ce qui est vrai), et que cela l'empêcherait de faire apparaître de nouvelles fonctions en la cantonnant à de légères retouches sur ce qui existe déjà (ce qui est faux).
En réalité, vos deux points sont faux : j'ai déjà expliqué à deux reprises que la sélection naturelle ne "voyait" pas les fonctions. Je ne vois pas la nécessité d'y revenir en détails : elle connaît les "entrées" (l'existence d'un organisme) et les "sorties" (sa capacité à survivre et à se reproduire) mais pas à la "boîte noire" qu'il y a entre les deux. Autrement dit (je traduis), ce que vous appelez des "fonctions", elle s'en contrefiche. Tout ce qui compte est que l'organisme se reproduise et si possible mieux que ses congénères. Comment il le fait, c'est son problème et celui des mutations.
Mais ce n'est que la première méprise à laquelle votre manière erronée de présenter les faits peut mener : la seconde est infiniment plus importante et plus tordue. Elle affirme qu'il existe un nombre prédéfini de "fonctions" - et qu'en l'améliorant, la sélection enferme à jamais un gène dans une de ces fonctions prédéterminées, lui fermant la porte aux autres plus qu'elle ne la lui ouvrirait. Le piège est ici dans la notion de fonction. J'ai déjà expliqué qu'elle ne correspondait à aucune réalité objectivement observable : en réalité, à chaque fois qu'un gène mute et change d'action, il change aussi très légèrement de fonction. Que l'esprit humain préfère parler d'"amélioration d'une fonction préexistante" plutôt que de "changement de fonction" parce que c'est plus pratique n'a strictement rien à voir avec ce qui se passe dans la réalité : quand une mutation transforme un gène et que cette mutation est favorisée par la sélection naturelle, c'est un changement de fonction qui s'amorce.
Un exemple concret sera peut-être plus compréhensible : l'appareil de Golgi est un caractère propre aux eucaryotes. Chose intéressante, certains n'en ont pas, mais ce n'est pas le problème : le Golgi est en réalité une expansion d'une structure préexistante, le réticulum endoplasmique (dont l'origine est elle-même intéressante mais nous éloignerait trop du sujet). Comment est-il apparu ? Les gènes qui le construisent ne sont pas sortis du néant. Ils sont apparus par mutations de gènes préexistants (éventuellement dupliqués au préalable, de manière à ce qu'une copie puisse évoluer sans que la perte de ses anciennes capacités ne pose de problème). C'est incontestablement un gain de fonction - et les gènes en question ont par conséquent bien dû en changer à un moment ou à un autre. Où a-t-il eu lieu ? Si nous prenons un calcul créationniste standard comme celui que vous nous proposez, nous devons admettre qu'un événement d'une improbabilité astronomique s'est produit. A un moment donné, un gène façonné optimalement pour une fonction A se serait trouvé par pur hasard convenir aussi à une fonction B - sans que la sélection naturelle ne l'ait jamais guidé dans l'océan des 10 puissance 600 séquences possibles pour ce faire. Cela paraît peu crédible. Il y a donc une erreur quelque part. Inutile de refaire les calculs : ils sont exacts - mais ce n'est pas en plaquant des calculs justes sur des notions fausses que l'on parviendra à les rendre valides. En réalité, il n'y a pas eu de "point de bascule" entre la fonction "Golgi" et la fonction de départ - "construction du réticulum". A un moment donné, une mutation d'un gène déjà impliqué dans la construction de ce réticulum a permis la construction d'une légère expansion - qui s'est révélée avantageuse. Petit à petit, toute une autre série de gènes impliqués dans divers mécanismes se sont révélés, sous certains variantes, capables de modifier cette petite expansion - de l'agrandir, de la perfectionner. Où est le changement de fonction ? Nulle part. Où votre calcul aurait-il été valable ? Nulle part non plus. Tout simplement parce que la sélection a guidé tout le processus. C'est elle qui a façonné les gènes construisant le réticulum pour qu'ils soient les plus efficaces possibles. Et c'est ce même processus qui a rendu accessibles les mutations permettant l'apparition d'un appareil de Golgi. En réalité, la notion de "changement de fonction" est arbitraire - car tout changement génétique ayant un effet non-nul est déjà un changement de fonction.
Encore une fois, je n'ai pas choisi un exemple observé en pratique : j'aurais pu (il y en a beaucoup qui sont au moins aussi spectaculaires) mais j'ai préféré privilégier la théorie, tout simplement parce que notre discussion se plaçait sur le terrain de la validité théorique des phénomènes. Quelles que soient vos petites phrases, votre capacité d'auto-persuasion ou la quantité d'insultes que vos messages contiendront, il n'en restera pas moins vrai que la sélection naturelle n'est pas soluble dans les probabilités. C'est un phénomène non-aléatoire, qui canalise la variation génétique dans le terrain étroit des séquences fonctionnelles, et qui empêche tout calcul probabiliste de s'appliquer à l'évolution. Le fait qu'il ait été observé en action rend vaines toutes les spéculations théoriques qui visent à le renveser ; mais même si aucune de ces observations n'avait eu lieu, ces objections resteraient sans objet - car d'un point de vue strictement logique, il est déjà solidement établi. Mais vous ne savez pas « quel 90% » des nucléotides seront inchangés.
Non, et alors ? Cela restreint le nombre de possibilités tout de même, cela me paraît clair. Par ailleurs, mon chiffre de 90 % était une limite inférieure - pour être réaliste, j'aurais dû écrire 99, 9 % (une mutation modifie rarement plus d'un nucléotide à la fois).
De plus, il ne s’agit pas d’une seule mutation, mais de plusieurs, c’est ce que nous concluons unanimement.
"Unanimement" ? Dans ce cas, vous êtes unanime tout seul, je le crains. La sélection naturelle agit mutation par mutation. Par conséquent, tout calcul basé sur une série de mutations se doit d'intégrer ce principe directeur. Il n'est pas difficile de comprendre ce que cela implique : pour être adéquat, le modèle utilisé ne doit pas modéliser un processus aléatoire, car la sélection n'en est pas un. Or, les probabilités ne modélisent justement que ce type de phénomènes. Par conséquent, tout calcul probabiliste appliqué à l'évolution adaptative (qui n'est rien sinon une série de mutations canalisées par la sélection naturelle) est nul et non avenu*.
* Je ne dis évidemment pas qu'on ne peut pas utiliser les probabilités dans certains aspects des modèles évolutifs, ou qu'on ne peut pas s'en servir pour modéliser l'évolution non-adaptative. Je rappelle simplement qu'elles ne permettent pas de construire de modèle recevable de l'évolution adaptative dans son ensemble.
Après plusieurs mutations, on se retrouve effectivement plongé dans une mer de 10E600 possibilités. La sélection naturelle n’y peut rien puisqu’elle ne « connaît » pas la prochaine fonction vers laquelle converger.
Evidemment qu'elle ne la connaît pas : la sélection naturelle ne connaît aucune fonction (sinon celle de la reproduction). Elle se contente de sélectionner aveuglément les variantes dont elle constate qu'elles sont le plus efficaces "ici et maintenant". Or, celles-ci permettent, lentement mais sûrement, aux séquences génétiques de se déplacer dans l'espace théorique effroyablement grand des 100 puissance 600 séquences possibles - mais sans jamais quitter l'espace, plus restreint, des n séquences fonctionnelles. Les gènes auraient tendance à évoluer au hasard si elle n'était pas là (en fait, c'est ce qu'ils font quand ils ne sont soumis à aucune pression sélective - c'est le cas des mutations neutres, par exemple). Mais la sélection joue un rôle de guide incontestable.
Cette conclusion est effrayante pour un évolutionniste et je ne m’attends pas à ce que vous ouvriez les yeux. Vous allez les laisser fermés mais j’essaie de voir combien de temps vous pouvez tenir. Pff... vous avez une manière de prendre vos adversaires de haut qui rend votre petit discours propagandiste tout sauf crédible. Parce que, voyez-vous, il ne suffit pas d'être arrogant et sûr de soi (bien que j'admets que cela puisse impressionner pas mal de gens lors d'un débat sur scène, par exemple) - il faut aussi éviter de défendre des positions d'arrière-garde à l'aide d'arguments dont on vous a déjà démontré l'invalidité. Quand vous tentez votre chance face à un public de sceptiques, l'entreprise ressort carrément du suicide - vous aurez beau essayer de défendre la théorie de la Terre plate, le géocentrisme, le créationnisme ou la parapsychologie avec autant de conviction, d'aisance et de mépris pour la "science-officielle-qui-s'est-fermée-aux-hypothèses-alternatives-blablabla" que possible, l'entreprise est perdue d'avanc.
Voilà la preuve que vous n’avez rien saisi de mon calcul. Même si la sélection naturelle « empêche » qu’une séquence inutile émerge, ce ne sont que des séquences inutiles qui peuvent émerger.
Voilà une n-ième preuve que vous n'avez rien compris à la théorie de l'évolution (mais on le savait déjà). J'aime beaucoup le "ce ne sont que des séquences inutiles qui peuvent émerger" - ça revient tout simplement à nier la possibilité de mutations positives, et que ces mutations positives puissent s'accumuler. Or, ce sont deux phénomènes qui sont non seulement théoriquement valide (aucun raisonnement logique ou principe scientifique ne les contredit) mais qui sont vérifiés en pratique. L'efficacité de la sélection naturelle est un fait, Julien. Même les antidarwiniens les plus endurcis ne la nient pas : ils pensent juste que d'autres mécanismes sont à l'oeuvre (ce qui en soi est vrai ; simplement, si certains mécanismes proposés sont réels et aussi factuels, d'autres sont totalement farfelus).
Et non, vous faites exprès pour rien comprendre. La sélection naturelle ne « connaît » pas la langue française, elle ne « voit » pas le but final. Elle ne peut théoriquement que sélectionner ce qui améliorerait une « phrase » pré-existante mais elle ne peut en aucun cas « diriger » les mutations vers une nouvelle fonction qui est l’une des 10E600 possibilités mais qui ne sera pas « trouvable » même en 15 milliards d’années avec 10E80 essaies toutes les millisecondes.
Ce que vous n'avez pas compris avec l'évolution, c'est qu'en génétique, améliorer une séquence préexistante revient à diriger vers une nouvelle séquence. Vous ne pouvez pas faire la distinction entre les deux parce que c'est la même chose : les transitions évolutives s'accomplissent grâce à une série d'intermédiaires, tous fonctionnels. Le changement étant canalisé par la sélection, tout calcul démontrant qu'il est très improbable d'obtenir une séquence fonctionnelle de manière aléatoire est nul et non-avenu, parce que la sélection n'est justement pas une manière aléatoire.
Votre seul échappatoire consiste à trouver un mécanisme biologique, une séquence, un organe, qui n'aurait pas pu être construit par la sélection naturelle - car il ne peut pas exister sous une forme plus simple tout en restant fonctionnel, ce qui contredit la nécessité de l'existence d'intermédiaires moins élaborés. C'est ce qu'on appelle la complexité irréductible. Quand vous aurez un exemple à proposer, nous pourrons parler plus sérieusement (la recherche de la complexité irréductible n'a guère de chances d'aboutir, puisque tout laisse à penser que toute la complexité biologique connue est bien le fruit de la sélection naturelle - et de fait, nous n'avons pas encore un seul exemple recevable - mais c'est une entreprise qui doit malgré tout être menée, ne serait-ce que dans un souci de scepticisme).
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