Voici un exposé simple du cas du chat. C’est extrait de : Bruno Jarrosson ; Invitation à la philosophie des sciences ; Seuil 1992.
« Avant la mesure, remarque Schrödinger, plusieurs états quantiques d’un système apparaissent et se superposent dans la fonction d’onde, sans que l’on puisse dire pour autant que le système est dans plusieurs états à la fois puisque l’on a rien observé.
Supposons (…) un chat enfermé dans une boîte (…). Le poison contenu dans la fiole peut tuer le chat. Le poison sera libéré ou pas selon le résultat aléatoire que donnera une mesure quantique sur un quanton donné. Le résultat de la mesure détermine donc la vie ou la mort du chat. Pour connaître le résultat de la mesure, il faut naturellement l’effectuer, donc disposer d’un système de mesure qui réduit le paquet d’onde du quanton. Avant la mesure, le quanton est décrit par une fonction d’onde qui comprend plusieurs états. Après, l’état du quanton est fixé.
Considérons maintenant le système global que représentent la boîte avec le chat, le poison, le quanton et son système de mesure. Cet ensemble est lui aussi un système quantique. Par conséquent, si on déterminait la fonction d’onde de ce système quantique, elle contiendrait deux états, reflets des deux états du quanton : un état où le chat est mort et un état où le chat est vivant. Ces deux états se superposent et cohabitent dans la fonction d’onde. A priori, le chat est donc à la fois mort et vivant. Paradoxe !
Qui réduit le paquet d’ondes ? Qui décide si le chat est mort ou vivant ?
Pour certains physiciens, c’est l’esprit de l’observateur qui fixe le paquet d’ondes et donc sélectionne un des états.
Cette explication séduisante – et pour cela assez en vogue—n’explique pourtant pas pourquoi les différents esprits des différents observateurs sélectionnent le même état. Elle n’explique pas ce que l’on appellera l’intersubjectivité (…) D’autre part, on peut photographier le chat sans qu’un humain l’observe et regarder l’épreuve photographique un siècle plus tard. Dira-t-on alors que le sort du chat est resté suspendu pendant tout ce temps là ?
Deux options sont possibles : ou le paquet d’ondes est réduit, ou il ne l’est pas. S’il ne l’est pas, les deux états subsistent indéfiniment. S’il l’est, on se demande alors par qui ou par quoi. Ainsi se présente le paradoxe du chat de Schrödinger. »
Plusieurs choses me semblent poser question sur la métaphore elle-même, vos lumières svp.
Deuxième paragraphe : lorsque la totalité du système est considérée, la fonction d’onde n’a deux composantes que si la mesure n’a pas été faite.
Premier paragraphe : il est clair que tant que la mesure n’est pas faite, demeurent les conditions initiales : ampoule non explosée et chat vivant.
Le premier paragraphe pose donc une vérité univoque connue avant toute observation : que je pense seulement au chat ou que je pense à l’ensemble du dispositif, cette réalité demeure tant que la mesure sur le quanton n’a pas été faite. Alors comment passe-t-on au deuxième paragraphe ?
C’est en fait dans l’avenir, après la mesure sur le quanton et avant l’observation du chat, que la fonction d’onde superpose deux états, en réalité deux possibles exclusifs l’un de l’autre, puisque le premier paragraphe pose clairement l’alternative : le résultat est aléatoire mais l’alternative est certaine : le résultat de la mesure décidera de la vie ou de la mort. Remarquons en passant que la photographie visionnée après un siècle n’apporte pas grand-chose : un siècle ou bien dix minutes entre la mesure et l’observation du chat, c’est ici la même chose.
Nous en sommes donc à ceci : avant la mesure, il existe bel et bien une réalité connue indépendante de l’observateur : le chat est vivant. Entre la mesure et l’observation du chat, il existe encore une réalité indépendante de l’observateur, mais il ne sait pas laquelle parmi les deux possibles : mort ou vivant. De plus, si le chat est mort, on peut bien répéter la mesure à l’infini, cette mesure quantique au résultat aléatoire n’aura plus aucun effet sur le réel.
Ce n’est que dans la deuxième phase, après la mesure sur le quanton et avant l’observation du chat, que peut se formuler l’idée d’un chat à la fois mort et vivant, mais cela vient de l’aléatoire du résultat de la mesure, et la véritable formulation sera donc du type : il est 2/5 vivant et mort à 3/5, ce qui est une situation probabiliste ordinaire, sans aucun paradoxe.
Ici, si quelque chose est vraiment créé par l’esprit de l’observateur et sans lien avec la réalité extérieure, c’est précisément cet inobservable, le chat mort et vivant. Notons du reste que le paradoxe est bien forcé tout artificiellement, car il suffisait de demander que soit prise comme une entité provisoirement insécable la chose suivante : « le chat mort ou vivant », ce que peut faire toute pensée sans éternuer ( il faut peut-être insister, il ne s’agit pas de penser : j’ai l’un ou bien j’ai l’autre, il s’agit de penser : j’ai : « l’un-ou-l’autre »), et il n’y avait plus de paradoxe, plus de mystère non plus.
En fait, il n’y a de paquet d’ondes que pour le quanton, pas pour le système global dont l’histoire peut bien être aléatoire mais n’est composée que d’une succession de phases univoquement déterminées, tout à fait indépendantes de tout observateur et de toute mesure (un capteur au niveau du cœur du chat par exemple, transmettant l’information en permanence : et toute la métaphore s’écroule ; certes le système n’est plus isolé, mais le capteur n’a aucune incidence sur l’ampoule) .
C’est peut-être que le réel réduit lui-même les paquets d’ondes en passant du microscopique au macroscopique, la caractéristique humaine n’intervenant que par les dimensions humaines qui fixent par rapport à elles l’échelle du microscopique au macroscopique, comme le disait un fort ancien en écrivant : « l’homme est la mesure de toute chose. » Que l’homme, ayant découvert quelque potion magique, réussisse à entrer dans le quanton, et alors peut être que, là non plus, il n’y aura plus de paquet d’ondes …
Je me suis dit que, dans l’esprit de son auteur, cette mise en scène était probablement ironique.
Un lecteur un peu physicien aura bien sûr pensé à la difficulté suivante : le chat mort-vivant ça ne marche que dans le système isolé, or le système isolé est inobservable, bien évidemment, puisque l’observation suppose une ligne avec l’extérieur, celle porteuse d’information. Peut-être aura-t-on vu que cet argument est contenu dans mes remarques qui ne voulaient pas utiliser de langage spécifiquement physique, pour rester dans le langage de la parabole composée par le physicien. L’auteur du livre ne manque pas de relever cet argument du système isolé. Mais il est bien évident que cet argument n’échappait pas à Shrödinger, et lui-même écrivait, dans une discussion précisément sur cette affaire de rapport objet/sujet :
« Nous ne pouvons faire une constatation de fait à propos d’un objet naturel donné (ou d’un système physique) sans « entrer en contact » avec lui . Ce « contact » est une interaction physique réelle. (…) On ne peut obtenir une information quelconque à propos d’un objet en le laissant rigoureusement isolé. » Erwin Shrödinger ; Physique quantique et représentation du monde ; ( 1931, 1951, 1954) Seuil 1992 p. 69)
Mais Schrödinger réplique, et à mon avis par une simple ( on m’excusera du peu …) considération de bon sens qui relativise bien des spéculations sur le subjectivisme, que les lacunes de l’information obtenue par l’observation n’impliquent pas du tout que le modèle que je construirai à partir d’elle sera lui aussi lacunaire.
Pour ma part, j’ai toujours pensé qu’il y avait un glissement grave ( décidément je prends avec le forum la manie de ce glissement épistémologique …) qui disqualifiait bien des exposés pourtant très riches, en assimilant l’incertitude des observations avec l’incertitude sur le réel , l’inaccessibilité au réel en soi avec l’inexistence d’un réel en soi, etc.
Mais, ne manque pas de relever Schrödinger, c’est là un très vieux débat, que nous pourrions suivre sur 2500 ans, par contre ce qu’il y a de nouveau dit-il ( je ne suis pas bien sûr, quant à moi, ne serait-ce qu’en pensant à la pensée magique) c’est l’affirmation que l’observateur modifie l’observé ; je me permets de préciser selon ce que j’en comprends : non pas seulement dans le sens que l’observé se modifierait dans l’image qui se détache de lui pour nous parvenir, mais dans le sens d’une modification de son être même ( mais justement, la magie …) . Et il n’est pas absolument d’accord (italiques dans le texte):
« Là où je garde un doute, c’est uniquement en ceci : use-t-on d’un langage approprié quand on appelle l’un des deux systèmes en interaction physique le « sujet » ? Car l’esprit qui observe n’est pas un système physique et ne peut être mis en interaction avec aucun système physique. Et il pourrait être préférable de réserver le terme « sujet » pour désigner l’esprit qui observe. » (p.72)
Je vais risquer une image, (c’est le cas de le dire) : il n’est pas rare que notre œil construise avec ce qu’il capte à l’extérieur une image qui pourrait être le départ d’une pensée que nous concevons fort bien, et qui pourrait avoir une parfaite cohérence interne (c’est un point que nous négligeons je crois), mais que nous appellerons illusion parce que nous ne croyons pas à l’image transmise : alors il y a eu interaction entre l’observateur ( moi) et l’objet regardé, et le produit de cette interaction (c’est la source d’illusion) est cette image (l’illusion), hors de toute maîtrise de l’observateur (point essentiel : machine dans une machinerie …c’est mon dada ), mais le sujet (encore moi, le même) décrète que c’est une illusion, et il atteindra une réalité autre en comprenant le mécanisme de la construction de cette illusion.
Peut-être que le tiers intervenant pourrait se dire : la raison. Et alors un corollaire se propose : s’il n’y pas la raison, au sens fort de rationalité ( pour ma part je conserverai ce terme aujourd’hui méprisé de « rationalisme ») et pas seulement d’appareil logique toujours là de toute façon, c’est clair : il n’y a pas de sujet, au sens de Shrödinger en tout cas ( et si on me permet : au mien aussi , mais peut-être est-ce justement ce qui pourrait m’avoir fait abuser illégitimement de Schrödinger ?…)
Dite’me un peu s’que vous pinchez ed’tout cha (patois , France, Pas de Calais)
|