1) La place de l'écrit dans le canon juif des Ecritures, parmi les Ketoubim (les Ecrits ou Hagiographes) et non parmi le Corpus propheticum (les Prophètes).
2) Absence de toute mention de Daniel dans l'Eloge des pères et des gloires d'Israël de Sir 49 (Ecclésiastique chapitre 49).
3) La présence de vocables perses et grecs qui postulent une époque relativement récente.
4) L'auteur connaît mal l'histoire babylonienne (Balthasar donné comme fils de Nabuchodonosor, alors qu'il est fils de Nabonide ; Darius le Mède inconnu de l'Histoire), tandis qu'il se meut à l'aise dans le milieu du IIème siècle.
Objections point par point :
1) D'après les auteurs, c'est au synode de Jamnia entre 90 et 100 de notre ère que le canon des Ecritures hébraïques a été fixé définitivement (Bible Osty, p.15) .
Mais ce concile a uniquement servi à examiner puis à rejeter les livres apocryphes que certains voulaient inclure dans le canon. En effet, d'après Flavius Josèphe, le canon des Ecritures hébraïques était fixé depuis longtemps; du temps d'Artaxerxès donc au Vème siècle avant notre ère. Il écrivit : " Il n'existe pas chez nous une infinité de livres en désaccord et en contradiction, mais vingt-deux seulement qui contiennent les annales de tous les temps et obtiennent une juste créance. Ce sont d'abord les livres de Moïse, au nombre de cinq, qui comprennent les lois et la tradition depuis la création des hommes jusqu'à sa propre mort. [...] Depuis la mort de Moïse jusqu'à Artaxerxès, successeur de Xerxès au trône de Perse, les prophètes qui vinrent après Moïse ont raconté l'histoire de leur temps en treize livres. Les quatre derniers contiennent des hymnes à Dieu et des préceptes moraux pour les hommes. " Contre Apion (I, 38-40 [VIII]) vers l'an 100 de notre ère.
Josèphe ne précise pas comment il les compte ce qui est sûr c'est que les 12 petits prophètes sont regroupés en un seul livre. Origène et Jérôme donnent le même chiffre que Josèphe car ils rattachent Ruth au livre des Juges et Lamentations à celui de Jérémie. Mais de toute façon ces 22 livres correspondent à 39 livres canoniques actuels, dont le livre de Daniel fait partie, les exégètes sont d'accord la dessus (voir Bible Osty, p.14).
Voici ce que Josèphe dit à propos des livres écrits ultérieurement : " Depuis Artaxerxès jusqu'à nos jours tous les événements ont été racontés, mais on n'accorde pas à ces écrits la même créance qu'aux précédents, parce que les prophètes ne se sont plus exactement succédé. Les faits montrent avec quel respect nous approchons nos propres livres. Après tant de siècles écoulés, personne ne s'y est permis aucune addition, aucune coupure, aucun changement. Il est naturel à tous les Juifs, dès leur naissance, de penser que ce sont là les volontés divines, de les respecter, et au besoin de mourir pour elles avec joie. " Contre Apion, I, 41-43 (VIII).
2) L'Ecclésiastique d'après les auteurs aurait été écrit vers 190 avant notre ère (Bible Osty, p.1421) et donc avant le livre de Daniel qu'ils datent vers 165 avant notre ère. Cette même liste qui va du chapitre 44 au chapitre 50 omet Ezra et Mordekaï (tous deux de grandes figures aux yeux des Juifs d'après l'Exil), le bon roi Yehoshaphat ainsi que Job; de tous les juges, elle ne nomme que Samuel. La liste est donc loin d'être exhaustive, on peut de toute évidence en conclure que cet argument ne tient pas.
3) Les passages de Daniel 1:1-2:4a et 8:1-12:13 sont écrits en hébreu, tandis que Daniel 2:4b-7:28 est écrit en araméen. Voici ce que dit une encyclopédie biblique à propos du vocabulaire employé dans la partie araméenne de Daniel : " Un examen du vocabulaire araméen de Daniel révèle que les neuf dixièmes de celui-ci peuvent être attestés directement par des inscriptions en sémitique occidental ou des papyrus du Ve siècle av. J.-C. ou antérieurs. Les autres termes ont été retrouvés dans des sources comme l'araméen nabatéen ou palmyrénien qui est postérieur au Ve siècle av. J.-C. S'il est possible, du moins théoriquement, que ce reste de vocabulaire soit brusquement apparu après le Ve siècle av. J.-C., il est tout aussi possible d'avancer qu'une forme orale précéda la forme écrite datant du Ve siècle av. J.-C. Toutefois, l'explication de loin la plus probable est que le dixième manquant ne représente rien de plus qu'une lacune dans notre connaissance actuelle de la situation linguistique, lacune que nous pouvons nous attendre à voir comblée avec le temps. " - The International Standard Bible Encyclopedia, par G. Bromiley, 1979, vol. 1, p. 860.
Le livre de Daniel contient quelques termes dits perses, mais cela n'a rien d'étonnant étant donné les rapports fréquents des Juifs avec les Babyloniens, les Mèdes, les Perses et autres. De plus, la majorité des noms étrangers employés par Daniel sont des noms de fonctionnaires, de vêtements, des termes de droit, etc., pour lesquels il n'y avait apparemment pas d'équivalents dans l'hébreu ou l'araméen de l'époque.
Le livre contient également 3 mots grecs (Daniel 3:5), ces 3 mots sont des noms d'instruments de musique. D'après S.Driver, "on peut affirmer en toute confiance que ces mots ne peuvent avoir été utilisés dans le livre de Daniel que s'il a été écrit après la dispersion des influences grecques en Asie grâce aux conquêtes d'Alexandre le Grand". Pourtant, aussi loin qu'on remonte dans l'Histoire connue, les Grecs avaient des liens étroits avec l'Asie occidentale. Est-ce donc un argument recevable de soutenir que des instruments de musique aux noms grecs n'avaient pas cours à Babylone au VIe siècle avant notre ère?
4) Nous avons déjà abordé la question de Belshatsar sans trouver de preuves convaincantes allant dans un sens ou dans l'autre. Pour Darius le Mède, le fait qu'il soit inconnu de l'Histoire ne prouve rien. Avant le milieu du XIXème siècle Belshatsar et Sargon étaient uniquement mentionnés dans la Bible, depuis les découvertes archéologiques ont prouvé leur existence. Certains pensent que Darius peut être identifié à Goubarou (à ne pas confondre avec Ougbarou gouverneur de Gutium) établi gouverneur de Babylone par Cyrus selon la Chronique de Nabonide mais ils ne peuvent pas l'affirmer car nous ne connaissons pas sa nationalité ni l'étendue de son pouvoir (Darius dans le livre de Daniel pouvait promulguer des édits tels que celui consigné en Daniel 6:6-9). Tout ce que nous savons de ce Goubarou c'est qu'il exerça son autorité pendant 14 ans et qu'il gouvernait, en gros, le territoire de l'empire babylonien.
Autres éléments allant dans le sens d'une datation ancienne :
1) Des fragments du livre de Daniel, que l'on fait remonter à environ 100 avant notre ère, figurent parmi les pièces les plus abondantes qui composent les manuscrits de la mer Morte (The Biblical Archaeologist Reader, édité par Edward Campbell, Jr, et David Nœl Freedman, 1970, vol. III, p. 242). Le livre de Daniel était donc déjà répandu et respecté à cette époque.
Une encyclopédie biblique déclare : " Il faut à présent cesser de faire remonter Daniel à l'époque maccabéenne, ne serait-ce que parce qu'il n'aurait pas pu y avoir un intervalle suffisant entre la rédaction de Daniel et son apparition sous forme de copies dans la bibliothèque d'une secte maccabéenne. " (The Zondervan Pictorial Encyclopedia of the Bible)
2) Flavius Josèphe rapporte que les prophéties de Daniel furent montrées à Alexandre le Grand lorsqu'il entra dans Jérusalem. Cela se passa vers 332 avant notre ère, plus de 150 ans avant la période maccabéenne. Josèphe relate l'événement en ces termes : " On lui montra le livre de Daniel, où il était annoncé qu'un Grec viendrait détruire l'empire des Perses, et le roi, pensant que lui-même était par là désigné, se réjouit fort. " (Antiquités judaïques, XI, 337 [VIII, 5]). L'Histoire rapporte également qu'Alexandre accorda de grandes faveurs aux Juifs, peut être à cause de ce que Daniel avait dit de lui dans la prophétie.
Emmanuel
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