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Complots et autres...


Re: Ree:Crédulité du public face aux médias -- André
Postée par Gaël , Oct 19,1999,09:06 Index  Forum

“Vous auriez dû remarquer que quand je parle de complot je ne fais jamais référence aux ET, au contraire, j’ai spécifié «peu importe le sujet traité».”

Concernant la question du complot, vous avez l’air de croire que tout vient d’un problème de langage. Ce n’est pas le cas. Ce n’est pas spécifiquement le “complot ET” qui gêne les sceptiques, c’est de manière générale toute théorie du complot, qu’il s’agisse d’ET, du gouvernement, des juifs, des franc-maçons, de quelques milliardaires qui jouent avec l’économie mondiale, ou quoi que ce soit d’autre.
Le complot, c’est juste cette explication ad hoc qu’on trouve pour désigner un bouc émissaire quand tout va mal sans qu’on en soit soi-même responsable (ou qu’on refuse sa responsabilité) et qu’on refuse d’attribuer ça au hasard.
C’est aussi souvent un explication quand certains phénomènes dûs au hasard nous semblent suivre une évolution “intelligente”, comme s’ils étaient contrôlés et allaient vers un sens précis. Mais ce n’est qu’une impression dûe à une mauvaise connaissance des probabilités, des lois statistiques, et aux défauts naturels de cette non-faculté mythique que l’on nomme “intuition”.
Je ne dis pas qu’il n’y a jamais eu de conspiration. Il y a des choses cachées, il y a des complots. Ils sont généralement assez minables et ne durent pas bien longtemps. Une conspiration de grande ampleur, pour cacher durablement des vérités majeures, est totalement impossible de nos jours. Les rares fois dans notre siècle où des groupes s’y sont essayé, ça a très vite foiré.
Regardez l’agriculture soviétique, avec Lyssenko. Malgré toute la force du totalitarisme en URSS de 1930 à 1960, le lyssenkisme a échoué. Lyssenko tenait les rennes et dictait sa politique agricole en fonction de sa croyance à l’hérédité des caractères acquis, mais tous les biologistes savaient ce qu’il en était réellement et protestaient, souvent au péril de leur vie. Personne ayant un minimum de culture ne pouvait ignorer ce qui se passait.
Il en a été de même pour le nazisme et sa lutte contre la “physique juive”, et les tentatives pour imposer des théories grotesques sur la terre creuse ou la glace cosmique.
Si des états aussi forts ont été incapables de monter des conspirations contre la vérité, qui le pourrait ? Et surtout qui le pourrait aujourd’hui, où l’accès à l’information est toujours plus facile et rapide.

“En général, la population ressent des complots, de la manigance, un peu partout, à tord ou a raison. De nos jours, ils ont tout à fait raison de croire qu’il y a des complots qui se trame dans leur dos, comme dans le cas du fonctionnement de l’économie, de la justice, de l’agriculture, de pharmacologie etc. Personne n’a vraiment le temps, ni le désir d’approfondir les sujets en question, sauf quelques émissions de tv comme «60 minutes» qui traite trop rapidement d’un sujet et qui donne comme résultat, «il y a complot en quelque part», mais où, pourquoi, par qui, qui est vraiment responsable?”

C’est la grande erreur : chercher un responsable. Un bouc émissaire, à tout prix.
Bien souvent les soi-disant complots n’ont pas de responsable mais sont le résultat d’un dysfonctionnement du système; de nombreuses responsabilités sont partagées sans qu’il n’y ait vraiment de coupable précis ni de planification organisée du dysfonctionnement en question.
Mais voilà, le peuple veut toujours jeter quelqu’un dans l’arène, il faut que les lions bouffent pour satisfaire le besoin de vengeance; et il faut une explication simple (simpliste) et claire (stupide) : la théorie du complot est l’explication universelle qui convient en toute occasion, surtout quand il n’y a pas de preuve en dehors de la minable tautologie constamment resservie à toutes les sauces : “on ne connaît pas la vérité : c’est bien la preuve qu’il y a un complot pour la cacher”...

“Effectivement, il est difficile de partir d’une sphère de langage et de la traduire dans une autre. Prenons par exemple le cas des médiums, en ésotérisme il y a tout un langage associé à ce type d’activité.”

Problème : le langage des ésotéristes, contrairement à celui de la plupart des autres “sphères”, est totalement flou. il est composé de termes qui se veulent souvent très techniques, mais qui au fond ne signifient rien, n’ont aucun référent. Chacun peut y mettre ce qu’il veut et ainsi avoir l’impression de comprendre, donc d’être intelligent, et surtout intuitif puisque, le langage ésotérique étant insaisissable par la raison (car insignifiant), c’est la pseudo-faculté “intuition” qui résout tout (intuition dont l’existence attend toujours sa preuve).

“L’historien lui pourra traduire par le chamanisme, (ou vice versa, l’ésotériste par le chamanisme) car toutes ces formes de communication avec les esprits ont eu leur heure de gloire à cette période. Pour bien comprendre le phénomène, il est indispensable de se renseigner sur au moins l’histoire du chamanisme (pour ce qui a trait aux communications avec les esprits).”
“Le psychologue, psychiatre, pourra très bien parler de relation entre le conscient et de l’inconscient. Il pourrait utiliser des termes comme projection, transfert, inconscient, schizophrénie etc.”
“Le religieux, pourrait se référer à son expérience lors de ses prières, de ses révélations, de ses états de contemplation etc.”

Ce qui pour vous est une manière d’être polyglotte n’est pour moi qu’un moyen de pratiquer des amalgames grossiers. Comme quant Jung voulait confondre complexe parental et esprits des ancêtres.
D’ailleurs, à propos de Jung, dans un message précédent vous disiez que le paranormal médiatique était un bon moyen de connaître l’inconscient collectif... Je trouve ça assez gênant. Avant de faire appel à l’inconscient collectif comme sujet d’étude, il faudrait prouver que celui-ci existe. Jusqu’à présent, en anthropologie religieuse, c’est un concept dont on n’a pas vraiment eu besoin (a quelques rares auteurs près).

Vous raisonnez bien comme un ésotériste : pour vous toutes les contradictions sont superficielles et il faut retrouver l’Unité derrière les illusions du langage. (ce qui me paraît évidemment être une façon de marcher sur la tête)
Pourtant quand on parle de communication avec les esprits, on parle bien d’un phénomène précis, toutes les explications ne peuvent être vraies simultanément. Soit il s’agit d’un phénomène «réel» et les esprits existent, soit il s’agit d’un phénomène psychologiques et ils n’existent pas. Il ne s’agit pas d’un malentendu sur le langage utilisé, mais d’énoncés vrais ou faux sur une situation précise. L’explication du chaman fait appel à toute une vision du monde qui est fausse si l’explication psychologique est vraie. Ces explications sont incommensurables et il est aussi vain et illusoire de chercher des points d’intersection entre elles que, par exemple, de chercher des rapports entre le taoisme et la physique quantique. (Ces analogies ne sont que des compromis que désire un ésoterisme qui, bien qu’il attaque sans cesse la science, est toujours soucieux de réussir à trouver des justifications ou des preuves scientifiques)

Se superposant à cette réalité là du phénomène, il y a aussi son aspect social et culturel, qui fait que l’explication du chaman peut avoir une cohérence interne - une rationalité - aussi forte que l’explication du psychologue. Cette cohérence n’en fait pas un phénomène “réel” : n’importe quelle explication fausse peut être très bien structurée.

Gaël.


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