Julien, je vous rappelle que j'ai utilisé cet argument pour montrer que les "conclusions" que vous présentiez étaient absurdes. Je ne l'ai pas utilisé pour démontrer l'absence de discontinuité réelle entre eucaryotes et procaryotes, mais pour invalider un argument. On ne peut pas dire à l'heure actuelle qu'aucun procaryote ne possède les gènes impliqués dans la construction du RE, et affirmer ça sur la base des quelques génomes de procaryotes séquencés revient à dire que puisque je me suis promené dans la rue entre minuit et minuit cinq et que je n'ai vu aucune voiture rouge, alors les voitures rouges n'existent pas. Je répète (histoire que ça rentre) que cette métaphore n'est destinée qu'à démontrer l'inanité de votre affirmation, pas à fournir des preuves directes en faveur de l'évolution (qui n'en a au demeurant pas besoin, mais faisons naïvement comme si c'était le cas). Le cas du cytosquelette est encore plus frappant : Jean-François et moi avons cité des références mentionnant l'existence des composants du cytosquelette chez des procaryotes. La seconde affirmation que vous "citiez" était donc tout simplement fausse.
>Il a donc été postulé que les bactéries ne dérivaient pas des archébactéries mais que les deux groupes descendaient d’un ancêtre commun *imaginaire*.
Tsss... "Il a donc été postulé". Ce "postulat" a-t-il été unanimement accepté ?
Bon, je vais mettre les choses au point : il est en effet plausible que les archébactéries et les eubactéries descendent d'un ancêtre commun (lequel ne serait, hélas pour vous, pas du tout imaginaire, puisqu'il serait dans cette hypothèse matérialisé par les bactéries archaïques que l'on retrouve dans les roches datées de -3, 5 milliards d'années) qui ne serait réellement ni l'un ni l'autre. Il n'existerait en effet pas d'équivalent vivant connu de cet ancêtre, ce qui n'en fait pas une hypothèse moins plausible.
Ceci dit, comme leur nom l'indique superbement (j'imagine que vous n'aviez pas remarqué), les archébactéries sont considérées comme étant plus archaïques. Il est donc également envisageable que les eubactéries en descendent.
Comme la documentation fossile nous manque et que les techniques de phylogénie moléculaire, bien qu'efficaces, sont encore très jeunes, nous n'avons pas de certitudes au sujet de l'évolution de ces groupes. Les uns peuvent descendre des autres, tout comme les uns et les autres peuvent descendre d'un ancêtre commun. Mais si vous voulez contester l'existence d'un passage, il est inutile d'insister de manière minable sur les incertitudes que l'on rencontre dans la reconstruction de l'arbre évolutif. Le tout est que la transition soit possible (la théorie de l'évolution fournit tous les mécanismes adéquats) et qu'elle ait "laissé des traces" - sous la forme de ressemblances profondes entre les groupes (ce qu'on appelle une "homologie profonde" : derrière la nageoire du dauphin, la main de l'homme et l'aile de la chauve-souris se cachent les mêmes os, ce qu'évidemment le créationnisme ne saurait expliquer ; tout au plus peut-il pathétiquement lancer une accusation de "raisonnement circulaire", totalement infondée quand on a une vague idée de l'histoire des sciences, mais passons. De la même manière, derrière les différences structurelles entre les procaryotes et les eucaryotes se cachent les mêmes molécules organiques ; là encore, les créationnistes sont obligées de sortir un improbable argument du genre : "puisqu'ils accomplissent des fonctions communes, normal qu'ils aient des structures communes"... je pense que chacun pourra tirer les conclusions qui s'imposent sur la valeur de tels raisonnements). Si vous voulez démolir l'idée d'un passage, c'est à ces preuves et à ces raisonnements qu'il faut s'attaquer, pas à un branchement incertain dans un arbre phylogénétique.
>L’hypothèse de « continuité » fait appel (encore) à l’imaginaire alors que l’hypothèse de discontinuité est vérifiée jusqu’aux micro-organisme sans la moindre spéculation.
"Sans la moindre spéculation" ! Il y a des jours où je me demande si vous ne faites pas exprès d'aligner les perles. Après l'histoire de la tente et du tyrannosaure, après "la théorie créationniste a le mérite de s'appuyer sur les faits", voici "l'hypothèse d'une discontinuité est vérifiée jusqu'aux micro-organismes sans la moindre spéculation" !
Alors, puisque selon vous il n'y a pas d'ascendance commune, expliquez-moi donc "sans la moindre spéculation" comment ces groupes sont apparus ? La formule "sans la moindre spéculation" excluant évidemment tout recours à des forces surnaturelles, au livre-de-la-Genèse-pris-au-pied-de-la-lettre et à toutes les fables dans ce genre, cela va sans dire.
Bon, sinon, vous écrivez "jusqu'aux micro-organismes". De plus en plus fort. Vous savez, il n'y a pas de discontinuité chez ce qu'on pourrait appeler les "métaorganismes" (je traduis en français : les organismes pluricellulaires). Ceux qui sont munis de parties dures - et ils sont nombreux - se fossilisent bien ; il n'y a donc pas de discontinuité chez eux. Il y a ce que vous appelez à tordd des "gradualismes" entre les reptiles et les oiseaux, entre les poissons et les amphibiens, entre les "singes" et l'homme... Vous vous réfugiez donc chez les micro-organismes pour vous forcer à y voir des "gouffres infranchissables" qui, de toute évidence, ne le sont pas. Merci de ne pas employer la formule "la discontinuité est vérifiée jusque chez les micro-organismes", mais préférentiellement "une réelle discontinuité peut être, avec beaucoup de mauvaise foi et une solide ignorance (ça aide), imaginée chez les micro-organismes, et chez les micro-organismes seulement. Pour les autres, on a bien essayé, mais c'est trop dur". Ce sera plus juste.
>Dans l’épisode P/E vous avez bien admis la discontinuité ?
Discontinuité, oui. Infranchissable, non.
>Vous nous avez bien confirmé que selon vos connaissances aucun procaryote vivant connu ne combine plusieurs caractères différenciant les P/E ?
Oui.
>Si une théorie prédit la discontinuité, ne seraient-ce pas là des faits incontestables en sa faveur ?
Le créationnisme ne prédit pas la discontinuité. Il affirme que tout a été créé tel quel en 6 jours il y a 6000 ans par un Dieu surnaturel. De telles spéculations s'accomodent aussi bien d'un monde vivant continu que d'un monde vivant discontinu - le fameux "les organismes se ressemblent parce qu'ils accomplissent les mêmes fonctions" servant de roue de secours tautologique : c'est évidemment parce qu'ils ont des points communs qu'ils arrivent à accomplir les mêmes fonctions, et non l'inverse, à moins de sombrer dans une téléologie de bazar dont la plupart des théologiens, loin d'être aussi euh... fondamentalistes que les créationnistes, ne veulent plus.
Pour en revenir au sujet de départ, le créationnisme ne peut faire aucune prédiction digne de ce nom car, par nature, il s'accomoderait de toutes les observations possibles et imaginables. La continuité, la discontinuité, les fossiles, les absences de fossiles, les points communs, les différences, les erreurs du lundi et les rectifications du mardi. Rien de tout cela n'est incompatible avec le "modèle" créationniste, ce qui revient à dire que celui-ci prédit tout et n'importe quoi avec une égale probabilité. Autrement dit qu'il ne prédit rien.
Une discontinuité réelle entre les êtres vivants, ne pouvant pas avoir été introduite par mutations (par exemple au niveau du code génétique), plaiderait contre l'évolution mais pas pour autant pour le créationnisme en tant que tel. C'est un amalgame que les créationnistes font souvent : les arguments qu'il servent sont systématiquement anti-évolutionnistes, mais jamais pro-créationnistes. Non parce qu'ils préfèrent essayer de démolir le modèle concurrent plutôt que d'étayer le leur, mais parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement. Leur "modèle" ne pouvant faire aucune prédiction précise, puisqu'il est irréfutable, en est réduit à "prédire" les observations qui contrediraient le modèle voisin. Mais non ! Si vous oubliez un quart de seconde l'évolution, ce qui n'est pas courant chez les créationnistes, vous vous rendez compte que rien n'appuie le créationnisme en tant que tel. On peut imaginer une foule d'observations qui démoliraient vraiment l'évolution (dont, comme par hasard, aucune n'existe) - comme des différences réelles au niveau du code génétique ou des cas de complexité irréductible - mais aucune qui soutiendrait directement la création. Quand vous aurez compris que l'infalsifiabilité de ce modèle suffit à la disqualifier sur le plan épistémologique - qu'il n'est même pas nécessaire de préciser que les arguments "anti-évolution" n'en sont pas -, vous aurez fait un grand pas en avant.
>J’adopte une attitude plus rationnelle.
Pff... non, rien.
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