Ce sujet touche une corde sensible. Et je pense que c'est un cas où "raisonner avec le coeur" mène à une conclusion différente de "raisonner avec le cerveau". Tu tiens au contraste qualitatif (infini) entre l'homme et les autres animaux, qu'importe que ça coince ou pas du point de vue pragmatique et rationnel.
Tu dis : "C'est bien ce calcul, cette quantification de la vie humaine sur une échelle mesurée en vie animale qui m'a fait dresser les cheveux sur la tête."`(le gras est de moi)
Tu confirmes ce que je viens de dire. Ton rejet est instinctif et viscéral. Ton "raisonnement" est émotif. Pas rationnel. Un tipeu comme Julien ( je m'excuse ;-) ) qui tient à sa révélation (la bouée de salut de son âme) plus qu'à la prunelle de ses yeux, ce qui le force à nier des milliers de faits qui ne s'accordent pas avec ses dogmes. Toi, tu tiens à être d'essence sur-animale, incommensurablement supérieure. Moi, je n'y tiens pas du tout. Je suis donc moins émotivement "attaché" que toi.
Kraepelin : "Je crois que tout objet peut être techniquement quantifié en acceptant dans sacrifier la substance. Mais la substance est-elle quantifiable? Je ne crois pas!"
Je vois à peu près ce que tu veux dire. Selon toi, ou on est un homme, ou on n'en est pas un. Ou on est un chat, ou on n'en est pas un. Ou un poisson. Ou une pomme. L'essence de "pomme" ne souffre pas le passage continu entre "pomme" et "pas pomme".
Je ne suis pas d'accord. Je pense que tes essences sont des constructions de l'esprit et que la réalité est plus fine que les compartiments dans lesquels l'esprit essaie de la forcer. Par exemple, je pense qu'il y a passage continu entre la pomme et la poire, entre la chaise et le fauteuil, entre le bleu et le vert, entre le chocolat et le caca, et entre l'homme et le poisson.
Kraepelin : "À partir de quel critère établit-on que l'homme arrête d'être un préhomme et devient un homme? Je ne crois pas que personne ait trouvé une réponse satisfaisante à cette question. (...)
Je suis bien incapable de te dire à partir de quel critère je pourrais établir qu'un préhomme est devenu un homme au sens moral."
Le coeur-pivot de ma "démonstration" ne porte pas du tout sur les critères qui différencient l'homme du pré-homme. J'avais écrit : "Remarques que le problème n'est pas du tout la difficulté de déterminer la valeur précise de T. Le problème est plus fondamental. Il vise l'existence même de ce T critique. Quelle que soit la valeur (arbitraire) que tu peux proposer pour T, ça coince".
Le coeur-pivot de ma démonstration porte sur le Quelle que soit...
Quel que soit le critère qu'on peut imaginer, proposer, convenir, etc., le premier homme (selon ce critère) va satisfaire le critère de justesse et son père l'aura raté de justesse. Un peu comme un étudiant qui, avec une note de 61% réussit le cours alors qu'un autre, avec 59%, le rate. Même si les deux étudiants sont pratiquement de "même force", il y a une différence essentielle et qualitative entre le succès et l'échec. Et quelle que soit la note de passage convenue (50%? 40%?) le même phénomène se produit à cette nouvelle frontière où le continu devient discret. Réussir de justesse ou rater de justesse.
Bien sûr, la nature (l'essence) humaine n'est pas unidimentionnelle, comme une note d'examen. L'intensité mentale est formidablement multidimensionnelle. Que faire si A a plus de mémoire à long terme que B mais que B a plus de mémoire à court terme que A? Lequel des deux a le plus de mémoire? Même chose pour les mille facultés qu'on pourrait mettre en liste.
Mais je persiste à penser que (quitte à me répéter) quel que soit le critère utilisé, certains individus vont le réussir de justesse et certains autres vont le rater de justesse. Ma "démonstration" traite simultanément de TOUS les cas de figure. D'où sa "beauté". ;-)
Dans un autre post, ( https://forum-sceptique.com/archives/41759.html#41759 ), tu dis : "Je ne crois pas que Denis soit un monstre. Devant une pareille éventualité (tuer un homme ou tuer 25 gorilles), je suis persuadé qu'il sacrifierait les gorilles."
Quitte à passer pour un monstre et à prendre une plonge dans ton estime, je sacrifierais plutôt l'homme. Sans rire. Misère!
On dirait que nos opinions se détachent dans ce bout-là et j'aimerais bien qu'on essaie d'y voir plus clair. Il faudrait cartographier cette "frontière étrange", comme au redico. Tiens, je pense qu'une bonne façon d'essayer de le faire serait de comparer nos choix (appuyer sur le bouton A ou sur le bouton B) dans quelques situations hypothétiques où l'on doit peser sur l'un ou l'autre des boutons. Sous peine, disons, qu'une machine incorruptible pèse sur les deux boutons si on refuse de choisir.
Cas 1 :
Peser sur A fait mourir un gorille au hasard.
Peser sur B fait mourir 10 sardines au hasard.
Moi, je pèse sur B. Toi?
Cas 2 :
Supposons que l'espèce des perdrix à pattes bleues est menacée (il n'en reste que 10 spécimens vivants) et que l'espèce des pintades à gorge jaune, elle, est florissante, avec des millions d'individus.
Peser sur A fait mourir les 10 dernières perdrix à patte bleue.
Peser sur B fait mourir 1000 pintades à gorge jaune.
Moi, je pèse sur B. Toi?
Cas 3 :
Peser sur A détruit entièrement la ville de Bagdad. Tremblement de terre. 5 millions de morts.
Peser sur B détruit la ville de Reykjavik, en Islande. 125 000 morts.
Moi, je pèse sur B. Toi?
Cas 4 :
Considérons ton (hypothétique) voisin d'en face, âgé de 90 ans.
Peser sur A fait le fait mourir à l'instant.
Peser sur B fait mourir à l'instant TOUS les gorilles, TOUS les chimpanzés, TOUS les éléphants et TOUS les dauphins de la planète.
Moi, je pèse sur A. Toi?
Si, pour les cas 1 à 4 nous avons des choix identiques, nos "valeurs" sont moins différentes que si nous avons 1, 2, 3 ou 4 désaccords.
Et notre discussion prendra certainement une tournure différente. ;-)
Denis
--modified at Sun, Dec 22, 2002, 03:03:35
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