C'est presque vrai, et totalement faux.
La religion se présente comme une solution (dans sa forme la moins primaire, c'est le Mystère qui devient réponse, point d'interrogation pour la science il est ici point d'exclamation ...) , effectivement, et la raison se présente, d'abord, comme une question, effectivement. C'est le mélange qui rend l'assertion complètement fausse.
Mais aussi, dire que la raison a suscité la question, c'est une simplification chronologique hasardeuse, comme beaucoup de chronologies voulant rendre compte des origines ( je me répète:j'ai déjà suggéré de se méfier du tropisme des origines, des solutions simplistes pour évacuer l'énigme de l'oeuf et de la poule ...): pourquoi au contraire la question ne susciterait-elle pas la raison?
J'ai proposé un premier âge de la raison comme étant celui des réponses avant question,et alors la religion n'est pas une réponse à une question qu'elle a suscité, c'est l'âge mythologique de la raison; je parle quand même de raison parce que je crois qu'il ne doit pas y avoir coupure dans le fonctionnement biologique cérébral (sauf abus de ma part du genre tirage de (belle) couverture, Claude Lévy-Strauss en serait peut-être d'accord) dans les processus électriques et chimiques neuronaux,d'un stade à l'autre; par contre le rationalisme constitue une mutation culturelle (y compris dans la religion elle-même), apparue avec la suspension de la question dans un différé de la réponse, une cassure dans la faculté de réponse immédiate et des adhésions spontanées (typiques à mon avis des sociétés communautaristes), apparue finalement, ai-je proposé, avec le Doute, acte de naissance ajouterai-je pour provoquer, de l'homme, si on définit l'homme par différence avec le reste du règne animal.
Dans ce qui précède, ne pas voir une prétention à une histoire de l'humanité, tous les stades peuvent être là au présent ( n'est-ce pas ce que disait Auguste Comte avec ses propres âges de l'esprit ?).
A un niveau plus primaire -- c'est ma phobie : toujours essayer de trouver le niveau le plus primaire (d'aucuns diront: c'est simple, regarde-toi dans un miroir ...) , et depuis quelque temps le forum m'en donne quelques belles occasions--, j'ai cru pouvoir prendre en compte l'hésitation, et on peut voir des animaux hésiter, avec parfois (tout dépend de l'enjeu de la décision)une angoisse, au moins une fébrilité, et alors, comme une tangente à un epsilon près promené à gauche et à droite de Pi/2, on bascule de l'accueil le plus chaleureux à la férocité la plus mordante.
Le corollaire serait que certains comportements qui expriment de véritables réflexes de pensée rejoignent ce stade animal.
Et c'est ainsi que l'on pourrait considérer -- à l'intérieur de mon hypothèse, qui ne tiendra peut-être pas -- que certains réflexes de rejet du rationalisme , y compris donc les modalités religieuses d'un tel réflexe -- je ne dis pas ici que tout esprit religieux pratique ce rejet--, sont en fait l'expression d'une certaine nostalgie de la plénitude animale. Retrouver cette délicieuse sensation déliquescente d'être "comme de l'eau dans l'eau", selon l'heureuse expression de Georges Bataille.
Et on observe le même epsilon, toute gentillesse et mains tendues tant que l'on erre loin du questionnement rationaliste, pas de conflits entre les modèles tant qu'ils peuvent s'inscrire dans un "pluralisme religieux" -- je ne considère donc pas pour l'instant les situations de guerres entre religions -- , ou autre nébuleuse isomorphe, pour employer deux expressions du jour ( d'où une partie des alliances apparemment contre nature que tu évoquais tantôt), mais si l'un veut se déplacer vers ce type de questionnement, alors le sourire de l'autre se fait grimace, et la main fraternelle se fait meurtrière.
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