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Re:On continue:précision, logique, philo, etc.


Re: On continue:précision, logique, philo, etc. -- Jean-François
Postée par Gaël , Apr 02,1999,10:17 Index  Forum

Salut.

Bon le débat commence à m’ennuyer, nous avons de plus en plus tendance à écrire des messages toujours plus longs pour répéter toujours les mêmes arguments... enfin je vais quand même répondre, mais tu m’excuseras si je me montre un peu plus radical : j’aimerais bien que cette controverse coûteuse en temps et en énergie se termine enfin.

A propos de la logique je ne suis pas d’accord, il n’y a pas de nécessité de voir les philosophes s’accorder sur certaines règles. Ou alors si tu veux énoncer de telles règles tu es dans l’espace, totalement déconnecté de la réalité concrète de la philosophie et de son histoire : même en ignorant les philosophes postmodernes il suffit de lire Nietzsche, Cioran, Kierkegaard, Hegel, Heidegger, et bien d’autres (ainsi que les philosophies orientales), pour se rendre compte que certains philosophes se foutent éperdument de cette exigence de logique et qu’il n’existe pas le moindre accord sur aucune règle d’aucune sorte. Je considère cette réalité concrète, observable et évidente comme suffisante pour réfuter n’importe quel argument théorique en faveur d’une limitation de la philosophie par la logique. Si tu es conséquent avec toi-même, ta vision scientifique des choses doit te faire admettre que seules les théories qui sont en accord avec les observations ont droit de cité. Tes théories sur la logique en philosophie étant contraires aux obervations, le débat pour moi s’arrête ici.
Tu me parles aussi de ta “méfiance envers ceux qui change leurs discours au gré de leurs besoins”. Dans ce cas tu ferais mieux de cesser de discuter avec moi : je n’ai aucune intégrité, aucun respect pour la cohérence, et je me sens en droit de changer d’opinion en fonction de l’humeur ou des besoin du jour (ou de l’heure). Je ne discute certainement pas pour chercher une connaissance, mais parce que cela me plaît; et non pour convaincre (même si parfois je me laisse prendre au jeu), mais pour connaître les autres. Pour moi le but de notre discussion est de discuter, non de construire une réflexion. Il m’arrive souvent de tenir des discours opposés à mon point de vue réel (si j’en ai un, ce qui n’est pas certain).

Pour ce qui est de la précision des définitions, il suffit de voir de quelle manière ont évolué les principaux concepts, chaque philosophe les utilisant à sa manière dans un sens souvent légèrement différent de celui de ses prédécesseurs, sans jamais le définir précisément. Le plus typique est “l’Etre”, qui a tellement été utilisé dans tellement de sens différents que plus personne ne sait vraiment ce qu’il peut bien signifier. D’ailleurs, même très précisément définis, la plupart des concepts qu’utilise la philosophie sont simplement dénués de sens. L’exemple le plus significatif est la scolastique médiévale, dont la plupart des concepts sont issus de la philosophie aristotélicienne, et qui était une philosophie extrêmement technique qui tenait à s’exprimer avec une précision totale et en suivant strictement les règles de la logique... Mais elle est tombée en désuétude car elle usait de concepts dénués de signification.
Alors pour ma part je trouve plus efficace la philosophie qui préfère s’exprimer de manière floue, en tentant plus de faire ressentir que comprendre, car l’histoire a prouvé que cette méthode était aussi valable que l’autre. Toutes deux ont leurs avantages et leurs défauts. Et ici, comme pour la logique, le fait que de nombreux philosophes ces deux derniers siècles (généralement les mêmes que ceux que j’ai déjà cité) ainsi que tous les présocratiques, aient préférés s’exprimer de manière imprécise, est un fait concret, une réalité de la philosophie, qui est suffisant pour réfuter tout argument théorique en faveur de la précision en philosophie (remarques analogues à celles du paragraphes précédent).

Il y a de multiples manières de pratiquer la philosophie. Je les respecte toutes. Je trouve de l’intérêt à celles qui s’exprime avec logique et précision. Mais je ne comprend pas pourquoi certains tenants de ces courants, eux, ne respecte pas les courants opposés et veulent nous imposer leur exigence de logique et de précision, et leur idée de la philosophie.

Dernier truc sur ces sujets, tu dis : “ Mais, les concepts doivent avoir une définition, sinon la compréhension (je ne parle pas de compréhension Absolue ou Parfaite) entre différentes personnes n’est pas possible.”
Si, la compréhension est tout a fait possible sans définition, et d’ailleurs c’est presque toujours ainsi que cela se passe, parce que les sens que nous accordons à un mot ne sont pas ses définitions (illusion de théoricien et de rationaliste) mais l’expérience que nous avons de ce mot, de tous les sens qu’il a pu nous sembler avoir dans toutes les situations et les contextes différents où il nous est apparu. Chez certains philosophes, on nous donne dans le texte une définition précise qu’il faut utiliser pour ce texte, et ce texte seul. Mais ces cas sont très minoritaires en philosophie. La plupart du temps le concept ne se comprend que par rapport aux différents sens qu’il a pu avoir chez différents auteurs, et tout cela reste très intuitif et empirique - c’est à dire tout sauf rationnel. Ici aussi, les faits réfutent la théorie.

Tu me demandes aussi en quoi l’anthroplogie a bénéficié d’analogies avec la linguistique structurale. Tu as l’air très étonné par cette affirmation de ma part, et ton étonnement m’étonne en retour : il me semblait que je parlais là de quelque chose de très connu et reconnu. Tout le mouvement structuraliste des années 50 - 60 (en anthropologie, sémiologie, philosophie, sociologie et psychologie) est basé là dessus, et Levi-Strauss, fondateur du structuralisme en anthropologie, a toujours très fortement revendiqué l’héritage de Ferdinand de Saussure (père de la linguistique structurale). En gros, sans entrer dans les détails qui sont assez complexes, il s’agit, comme en linguistique structurale, d’accorder dans les sciences humaines une importance particulière à la forme et aux formalisations. De la même manière que la linguistique structurale s’est penchée surtout sur la structure interne du langage et les rapports que les mots entretenaient entre eux plutôt que du rapport de représentation et du référent, l’anthropologie structurale s’est intéressée à la structure interne des sociétés et a conçu toutes les formes d’échanges et d’actes sociaux comme un langage, en évitant tout rapprochement avec ce qui est extérieur à ce langage. Une autre analogie importante est en rapport avec l’orientation principalement synchronique de la linguistique structurale, qui a été totalement reprise par l’anthropologie. Cela a mené à une vision relativiste et anhistorique, où la notion de progrès culturel était nié. Il y a de nombreux autres points communs mais je ne vais pas entrer dans des détails laborieux.
D’ailleurs une bonne partie de ce que l’on nomme dans ce débat le postmodernisme a été très influencé par le structuralisme. Au fait : postmodernisme est un terme que les américains utilisent pour la philosophie française contemporaine, mais ici le terme de postmodernisme est limité à l’architecture des années 70 (dont il est issu), et à l’art des années 80 et début 90. Les philosophes quant à eux se reconnaissent plus dans les désignations (tout aussi pompeuses, certes) de post-structuralistes, déconstructionnistes ou neo-nietzschéens, selon leurs orientations. Ici on ne reconnaît pas d’unité à une “pensée” postmoderne, malgré certaines revendications communes.

Pour tout ce qui concerne l’analogie; remarque identique à celles que j’ai faites sur la logique et la précision. Le fait que l’analogie ait été appliquée avec succès à plusieurs reprises dans l’histoire des sciences humaines est suffisant pour réfuter toute tentative théorique d’attaquer la validité de l’analogie. Et les exemples que j’ai utilisés ne sont que ceux qui me sont venus à l’esprit sur le moment, on pourrait sans doute en trouver de très nombreux autres. Ta réflexion sur mon exemple à propos de l’évolution montre que soit tu ne m’as pas compris, soit tu m’as compris mais tu en est réduis à utiliser des arguments spécieux. Tu me dis :
“Tu parles d’une forme de sélection, oui, mais pas de “sélection naturelle”. Et, je suis sûr que ceux qui tiennent une telle analogie font remarquer que c’est une analogie.”.
Quelle importance de faire remarquer ou non, dans ce cas, qu’il s’agit d’une analogie ? personne ne serait assez stupide pour imaginer que les théories scientifiques possèdent un bagage génétique. Comme je l’ai déjà dit (nous passons notre temps à répéter les mêmes arguments), n’importe quel lecteur habitué à la philosophie contemporaine sait qu’il faut prendre comme des analogie ce genre d’utilisation de concepts scientifiques, c’est une évidence.

Quand des scientifiques lisent les philosophes qui font de telles analogies, je comprends qu’il puissent être énervés par cette utilisation, et je comprend que, habitué à utiliser les concepts scientifiques dans leur sens bien précis, ils n’arrivent pas à les comprendre de la manière dont les philosophes s’en servent.
Les énoncés de la philosophie, on les prend comme on veut. Chacun a le droit de les interpréter à sa manière. Je ne nie pas aux scientifiques le droit de les interpréter dans un sens différent du sens que leur accorde celui qui les a écrit, de la même manière que je ne nie pas au philosophes le droit d’interpréter à leur façon les concepts scientifiques, quel que soit le sens que leur donnent les scientifiques. Mais de la même manière que généralement les philosophes savent qu’ils n’utilisent pas les concepts scientifique dans le sens des scientifiques, il faudrait que les scientifiques se rendent compte qu’ils ne donnent pas aux énoncés philosophiques le sens que leur donnent les philosophes. Que valent des critiques portés sur un discours que l’on interprète dans un sens autre que son sens originel ?

D’autre part l’analogie est vraiment créative. Tu m’en parles comme s’il ne s’agissait que d’exemples. Tant que tu le prendras comme cela tu ne comprendras pas ce que je veux dire.
Par exemple en art, lieu habituel de la créativité, tout a toujours fonctionné uniquement par analogie. L’artiste naturaliste par analogie avec la nature. L’architecte classique par des analogies en partie avec les formes naturelles, en partie avec les lois de la géométrie. Les impressionnistes par analogie avec les théories scientifiques sur la lumière. Puis le modernisme a beaucoup appris par des analogies avec l’art primitif ou les estampes japonaises. Des artistes un peu mystiques comme Mondrian on fonctionné par analogie avec des théories ésotériques. Et depuis quelques décennies la production artistique, “postmoderne”, est essentiellement mue par des analogies avec la philosophie, la sociologie, la sémiologie et parfois les sciences dures.
En psychologie, on a vu la psychanalyse freudienne se développer sur la base d’une analogie entre la méthode scientifique et l’étude de la psychologie humaine. cette analogie était fausse, inapplicable, mais créative, car malgré les défauts de la psychanalyse on ne peut nier l’immense apport de Freud aux sciences humaines et à la philosophie. Quant à la psychologie analytique de Jung, elle s’est largement fondée sur des analogies avec les différentes traditions religieuses.
En économie, “science” pour le moins douteuse, on voit des théories se créer par analogie avec les plus exactes des sciences, mathématiques et physique (applications de la théorie du chaos aux systèmes économiques).
Ce sont encore des exemples parmi d’autres, comme ceux que je t’ai fourni dans mon message précédent. Quelle que soit la valeur de ces différentes analogies, quelle que soient les déformations auxquelles on livre les concepts, elles mènent toujours à des résultats intéressants dans les domaines où elles sont appliquées.

Ceci dit si quelqu’un utilise un terme scientifique hors de son contexte, comme dans ton exemple sur Axle, en pensant que ce terme a la même signification là où ils l’appliquent que pour les scientifiques, je trouve normal de le détromper. Mais je ne crois pas qu’en général les personnes qui parlent du magnétisme animal pensent parler du même magnétisme que celui des scientifiques. Et en tout cas les philosophes ne sont pas du tout dans ce cas d’utilisation “naïve”.


Sur tout ce qui suit dans ton message à propos de la science et des hypothèses, je suis à peu près d’accord et je crois qu’il s’agit plus d’incompréhensions formelles que de questions de fond. En fait j’ai un peu l’impression que nous disons la même chose.

Gaël.


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