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Re:Vache folle


Re: Vache folle -- Gaël
Posted by lecteur , Dec 09,2000,12:26 Index  Forum




Affolantes vaches
L'encéphalopathie spongiforme bovine comparée à un Tchernobyl sanitaire

Jean-Simon Gagné


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JSGagne@lesoleil.com

QUÉBEC - En Europe, la psychose entourant la maladie de la vache folle ressemble parfois à un vaudeville, mais elle ne fait plus rire personne. À mi-chemin entre l'horreur et la science-fiction, portrait d'un mal qu'un scientifique anglais a décrit comme un « Tchernobyl sanitaire ».


Connaissez-vous Zoe Jeffries ? Cet automne, en Grande-Bretagne, l'adolescente de 14 ans de Manchester a incarné le combat désespéré contre la forme humaine de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), mieux connue sous le nom de vache folle. Les images terribles montrant la jeune fille agoniser en direct, au milieu des images rassurantes de son idole, l'acteur Leonardo Di Caprio, ont bouleversé les téléspectateurs britanniques. Mais qui ne frémirait pas devant le mal qui a emporté la petite Jeffries, le 28 octobre ? Toujours mortelle, l'affection transforme en moins de deux ans le cerveau humain en une sorte d'éponge pleine de trous. Aucun vaccin ou traitement efficace n'est connu. Les premiers symptômes ressemblent à ceux d'une profonde dépression. La victime s'isole, elle présente des signes d'incohérence et elle devient la proie d'hallucinations abominables. Puis, c'est la perte complète de la mémoire, les spasmes musculaires terribles, la démence complète et la mort dans un état voisinant celui du légume de supermarché.
On croit que Zoe Jeffries aurait contracté une variante particulière de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en mangeant de la viande de boeuf contaminé, probablement au cours des années 80. Quatre-vingt-quatre Britanniques et deux Français ont subi le même sort. Et le pire est peut-être à venir. Comme la durée d'incubation de la maladie peut atteindre 10, 20 ou même 30 ans, le nombre de victimes potentielles pourrait varier de 1000 à plus de 320 000 en Grande-Bretagne. Jusqu'à tout récemment, les spécialistes croyaient que la maladie ne pouvait se développer chez les sujets de plus de 60 ans. Le décès d'un homme de 74 ans, l'an dernier, a fait voler en éclats cette hypothèse fumeuse. Autre mauvaise nouvelle : la viande contaminée circulait en Europe dès les années 70, et non à partir du milieu des années 80 comme on le croyait naguère.

La maladie de Creutzfeldt-Jakob « classique » (MCL) est pourtant connue depuis les années 20. D'origine génétique, elle n'affecte généralement qu'une personne sur un million. Une maladie très rare, en somme, que le médecin moyen possède fort peu de chance de diagnostiquer au cours de sa carrière. Quant à la nouvelle variante de MCJ, reliée à la maladie de la vache folle, elle a été découverte en 1996. Sa diffusion constituerait l'aboutissement logique de plusieurs décennies de négligence et de laisser-aller qui méritent une petite parenthèse.

Au commencement, il y avait la tremblante du mouton, une maladie signalée pour la première fois en Europe au milieu du XVIIIe siècle. Jamais, de mémoire d'homme, cette maladie du mouton ne s'était transmise à l'homme. Des générations de bergers pouvaient en témoigner. « Ce genre de maladie ne peut franchir la barrière des espèces », disaient alors les spécialistes. Dans ces conditions, personne ou presque ne s'inquiétait lorsqu'on s'est mis à fabriquer des farines animales avec des carcasses de bêtes malades et des déchets d'équarrissage. De même, personne ou presque ne rouspétait lorsque l'on nourrissait des bovins avec ces farines suspectes, sous prétexte de favoriser leur croissance. Si bien qu'au début des années 80, en Grande-Bretagne, les vaches étaient devenues carnivores, Margaret Thatcher était au pouvoir et l'heure était à la déréglementation tous azimuts.

Premiers cas en 86
Même lorsque l'on identifia formellement les premiers cas de vache folle, en 1986, le gouvernement britannique continua de jouer la carte de l'apaisement. Pour rassurer tout le monde, le ministre anglais de l'Agriculture, John Gummer, allait même jusqu'à faire manger un hamburger à sa fille devant les caméras de télévision. À l'époque, les mauvaises langues se demandaient toutefois si la boulette du fameux hamburger contenait bien du boeuf anglais. Fin de la parenthèse.

À la fin du mois d'octobre, une commission d'enquête britannique a rendu public un rapport dévastateur pour les services sanitaires de sa Majesté. Malgré les signaux d'alarme envoyés par les spécialistes, le gouvernement Thatcher aurait attendu jusqu'en juin 1988 pour interdire les farines animales dans l'alimentation des bovins. Pire, sous la pression du lobby agricole, il accordera ensuite un délai de cinq semaines aux éleveurs britanniques pour écouler leurs stocks, ce qui a probablement contaminé des dizaines de milliers d'animaux supplémentaires.

La catastrophe ne faisait que commencer. Après leur interdiction en Grande-Bretagne, les farines animales britanniques furent écoulées à rabais sur le marché français. Dès lors, le problème atteignait des dimensions quasiment incontrôlables, d'autant que des filières de distribution illégales s'étaient mises en place via la Belgique. Quand on se résolut à abattre 4,3 millions de bovins anglais, en 1998, des millions d'Européens avait consommé de la viande contaminée. Au moins 750 000 bovins malades étaient passés dans la chaîne alimentaire.

À cause d'un prion
Encore aujourd'hui, on ne s'entend pas sur la nature exacte de la vache folle. La maladie a-t-elle été transmise du mouton à la vache ou bien provient-elle d'une mutation de l'agent infectieux chez une seule vache, qui aurait ensuite été transformée en farine animale ? L'avenir nous le dira peut-être. En attendant, on croit que la maladie serait transmise par un prion infectieux, une protéine qui communique sa défectuosité au cours d'un processus lent, mais mortel. La barrière des espèces n'est plus étanche. Beaucoup d'animaux de zoo britanniques ont été contaminés par l'ingestion de farine provenant des carcasses de bovins malades, y compris un lion, des tigres, des gazelles et différents singes. Plus inquiétant encore, la maladie pourrait être transmise au rejeton par sa mère dès la naissance. Plusieurs vaches n'ayant jamais développé la maladie ont ainsi donné naissance à une lignée contaminée.

Cannibalisme
De manière générale, le mal ne se transmet pas d'un humain à un autre. Sauf que cette règle rassurante tolère quand même une exception étonnante, constatée chez les Fores de Nouvelle-Guinée. Jusqu'au début des années 60, les membres de la tribu se livraient à un rituel qui consistait à manger certaines parties du corps de leurs défunts, notamment le cerveau. Cette forme singulière de cannibalisme, que les Fores associaient à un hommage aux morts, avait favorisé l'apparition d'une maladie mortelle appelée Kuru ou « maladie de la mort qui rit ». L'abandon du rituel, sous la pression de missionnaires horrifiés, a entraîné la disparition progressive de la maladie. Le dernier Fore infecté par l'ingestion de tissus humains serait décédé l'an dernier, d'un mal qui ressemble étrangement à celui de la vache folle...

Des chercheurs tenaces ont réussi à transmettre la maladie à un mouton en lui injectant le sang contaminé de l'un de ses congénères. C'est probablement ce qui a incité Héma-Québec à exclure les dons de sang des personnes ayant séjourné plus de six mois en France et en Grande-Bretagne entre 1980 et 1996. La mesure, qui concerne 3 % des donneurs québécois, n'a pour l'instant qu'un caractère préventif.

Aucun exemple de contamination par transfusion sanguine n'a encore été signalé chez l'humain, même si la prudence reste de mise. En France, 76 enfants français auraient ainsi contracté la forme « classique » de la maladie de Creutzfeldt-Jakob après avoir reçu des hormones de croissance extraites d'hypophyses prélevées sur des cadavres. Au Japon, des méninges prélevées sur des cadavres pour certaines opérations au cerveau ont aussi causé la mort de 33 personnes.

Palme de l'inconscience
La palme de l'inconscience revient cette fois encore à la Grande-Bretagne, où l'Agence de contrôle sanitaire a dû ordonner le rappel de toutes les doses de vaccin contre la poliomyélite. Malgré une interdiction remontant à 1989, certaines doses auraient été confectionnées à partir de sérum de boeuf britannique, donc potentiellement contaminé. Selon le journal britannique The Independent, le vaccin suspect aurait été administré à sept millions d'enfants avant son rappel impromptu. De quoi rendre fous de rage les parents, vous en conviendrez...

Combien de gens périront des suites de la vache folle ? L'avenir le dira. Le procès des coupables ne fait d'ailleurs que commencer. En Grande-Bretagne, le gouvernement a déjà convenu d'octroyer une aide d'environ 20 000 dollars à chaque victime de la maladie. Ce n'est apparemment qu'un début. En France, les parents de deux victimes ont déposé une plainte « pour empoisonnement, homicides involontaires et mise en danger de la vie d'autrui » contre des responsables britanniques, français et européens. Un scénario qui ne manque pas de rappeler celui du sang contaminé. Mais au delà des responsabilités des uns et des autres, qu'il appartiendra aux tribunaux de déterminer, la crise interroge aussi la soumission gênante des gouvernements face à de puissants lobby économiques qui font passer le profit avant la santé publique.

Devant pareil danger, même la science, de plus en plus soumise aux intérêts privés, n'apparaît pas toujours d'un grand secours. En 1995, au plus fort du désastre, le premier ministre John Major, digne successeur de Mme Thatcher, contraignait ses hauts fonctionnaires, y compris plusieurs scientifiques réputés, à mentir pour rassurer la population. Plusieurs experts de la maladie recevaient aussi de plantureux contrats d'une organisation de défense des éleveurs, ce qui les plaçait en situation de conflit d'intérêts patent. Au milieu des années 90, le gouvernement britannique rêvait même d'associer à une vaste campagne de promotion du boeuf... l'organisme indépendant qui devait le renseigner sur les dangers de la maladie de la vache folle.

Et vous croyez encore qu'il n'y a que la vache qui soit devenue folle ?




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