Postée par Jean-François , Mar 29,1999,11:46 | Index | Forum |
Gaël: “Non. Absurde. Il n’y a que les scientifiques qui exigent un langage non-ambigu, car il est nécessaire pour la pratique scientifique."
Un langage précis est nécessaire pour la pratique de la philosophie aussi.
G: "Mais il serait grotesque de demander des définitions précises pour des discours qui ne se réclament pas de la science mais du mysticisme, de la littérature ou de la philosophie."
Pour la philosophie, ce n'est pas vrai. On ne peut pas organiser une pensée structurée sur des définitions mouvantes. Pour le mysticisme (ou le religieux, ou la vie de tout les jours), je le concède facilement. Seulement, il faut alors faire attention aux mots très chargés de connotations scientifiques (voir "photons" et "mécanique quantique", par ex.), car eux restent hors du domaine mystique.
Là ou j'en ai particulièrement contre certains "mystifiants" (voir "Raël", "Scientologie", etc.) c'est qu'ils utilisent le langage scientifique pour laisser croire qu'il possèdent une "Vérité" que le commun des mortels ne peut pas comprendre; en ajoutant comme corrolaire que puisque la majorité ne peut pas la comprendre, c'est forcément une Vérité Capitale et Trancendantale. Cela biaise totalement la démarche scientifique, car en science il n'y a pas de Vérité, il n'y a que des explications valables temporairement. Et si en science, il y a un langage particulier (jargon), c'est qu'il faut être précis; une grande partie de "l'éducation scientifique" tiens justement en l'apprentissage de ce jargon. Cela ne veut absolument pas dire que les explications scientifiques ne puissent être exprimées en "clair" (beaucoup de scientifiques se préoccupent de plus en plus de l'aspect de la divulgation des progrès scienttifiques), ni qu'elles sont du domaine de la "Révélation Capitale et Transcendantale". Et, de ce que (du peu que, je l'accorde) j'ai vu, Omraam agit exactement comme ça: il recouvre son langage de terme pseudo-scientifiques pour laisser croire qu'il comprend "quelque chose" d'indiscible, de merveilleux, et de Vrai.
G: "Demandera-t’on à Lewis Carroll ou à James Joyce de définir précisemment les termes qu’ils inventent ?"
Pour L. Carroll, oui! C'est à la fois un écrivain et un mathématicien, qui adore les jeux de logique. Tu peux être sûr que ces néologismes ont une définition stricte. J. Joyce (comme Queneau en français, par ex.) joue avec le langage et ne créé pas inutilement de nouveaux termes, et tu peux être sûr qu'il réfléchissait à ce qu'il "inventait".
Maintenant, les artistes ne sont pas tenus à des règles stricts, en autant qu'ils se prétendent artistes. Dire qu'un philosophe n'est pas dérangé par le manque de précision des termes qu'il utilise revient à dire que ce n'est pas un philosophe. Accepterais-tu que ton banquier utilise le terme "franc" (ou dollar) soit dans le sens de centime (ou cent) concernant les intérêts qu'il te verse, et dans le sens de "millions de francs" quand il s'agit des intérêts que tu lui dois. J'espère que non. Et j'affirme qu'un banquier qui agirait de la sorte ne serait pas un banquier... un artiste peut-être, mais pas un banquier. De la même manière, un philosophe (sérieux, pas un "mystique") qui mêle les définitions de ces concepts, au gré de sa fantaisie, n'est pas un philosophe.
Et, en ce qui me concerne, un mystique qui n'est pas foutu de me sortir une définition solide (je dit solide, je ne parle pas de vraie ou fausse, seulement une construction qui se tienne logiquement, qui soit accessible à ma compréhension, et qui ne change pas selon les évênements et les besoin du gourou) de ce en quoi il croit... ben, je m'en méfie car j'ai l'impression d'être en face d'un fumiste (ou d'un arnaqueur).
G: "A ma connaissance, aucun philosophe n’a jamais tenté de rendre invalide la mécanique quantique. Ce qui leur est reproché c’est de la sortir de leur contexte mais je ne vois pas en quoi ça l’invalide. S’ils la sortent de leur contexte c’est pour, en établissant des analogies avec des domaines très différents (généralement les sciences humaines), tenter de trouver des principes explicatifs ou des concepts dans ces domaines où généralement ils savent bien que la mécanique quantique n’est pas applicable."
Si elle n'est pas applicable dans ce domaine, je me demande quelle peut bien être la valeur de ce qu'il vont trouver! Alors, à moins de corrompre (in- ou volontairement) le concept scientifique, ils n'obtiendront rien de valable. Et, s'ils changent le sens du concept, il doivent impérativement dire comment et dans quelles proportions. Sans cela, ils agissent en faussaires.
G: "Bref, utiliser un tournevis pour voir si avec on pourrait pas aussi se curer le nez. Mais il est clair pour tout le monde que, fondamentalement, le tournevis ne sert pas à se curer le nez."
Tout le monde sait ce qu'est un tournevis ou un fer à souder, pas mal moins de gens (les philosophes en premier lieu) comprennent les restrictions qu'imposent l'utilisation du terme "mécanique quantique". Donc, une image plus juste serait qu'ils proposent aux gens de se curer l'oreille avec un tournevis ou un fer à souder parce qu'ils viennent de le renommer "coton-tige" (Q-tips) ET qu'ils ont changé sa forme habituelle.
G: "Le problème c’est que, comme je l’ai déjà dit, Sokal reproche une attitude qui est assumée et revendiquée depuis plus de 30 ans par les auteurs qu’ils critique, et qui forme même une des bases du postmodernisme !!! On ne peut reprocher à des philosophes dont l’un des principaux chevaux de bataille est la contestation de la valeur et l’objectivité de la logique, et qui préconisent une dérive de la philosophie vers la littérature, d’écrire avec plus de style que de logique."
Si! Absolument! On peut parfaitement reprocher à des soi-disant philosophes de se prétendre philosophes et d'agir en romanciers. La philosophie demande une rigueur dans le jugement que ne demande pas la littérature. (Et, personnellement je reproche facilement à BHL d'être plus "chemise-blanche-négligeamment-ouverte-sur-mon-torse-allant-avec- ma-coiffure-bohème" qu'un véritable penseur; il passe plus de temps à établir image que sa réflexion.) On peut parfaitement reprocher à quelqu'un de se présenter comme quelque chose et de ne pas agir comme tel. Cela s'appelle de la "fausse représentation". De plus, il est parfaitement valable de demander à des personnes qui présentent un modèle dit "philosophique" de justifier ce modèle selon les règles de la philosophie... Ne serait-ce que pour voir s'ils savent de quoi ils parlent... Et ces règles permettent, voire encouragent, la critique. La philosophie n'est pas dogmatique au même point que la psychanalyse (avec le culte des ancêtres poussé à l'extrème: quand St Freud, St Jung, St Lacan parlent, on se tait et on gobe), elle permet la critique et l'évolution des théories. Si les post-modernismes veulent "une dérive de la philosophie vers la littérature", qu'ils prouvent qu'ils font vraiment de la philosophie ou qu'ils deviennent romanciers, donc renoncent à leur prétention de philosophes. Question d'humilité.
G: "Ce serait aussi absurde que de reprocher aux scientifiques de partir de l’hypothèse que tout peut s’expliquer par des mécanismes matériels."
Non, ce n'est pas pareil. Cela serait plus de reprocher leur manque de rigueur aux scientifiques qui prétendent agir selon cette "hypothèse" ("que tout peut s’expliquer par des mécanismes matériels", sic., je ne la discute pasmême si je ne la trouve pas adéquate), mais qui ne tiennent pas compte des faits pour établir leurs hypothèses. Et, ce serait parfaitement justifié! Il faudrait leur dire (en bon Québécois ;-) ): "Branchez-vous! Ou vous êtes des scientifiques, ou vous êtes des artistes! Mais on peut pas être les deux en même temps."
G: "Par contre on peut reprocher aux scientifiques d’être attachés à cette hypothèse au point d’oublier qu’il ne s’agit que d’une hypothèse et de refuser toute valeur aux théorie spiritualistes..."
Là encore je dirai qu'il y a mélange des genres. On ne peut absolument pas reprocher aux scientifiques de n'utiliser que cette hypothèse dans le cadre purement scientifique de leurs travaux. Tout comme, on ne peut pas reprocher aux scientifiques "de refuser toute valeur aux théorie[s] spiritualistes" dans ce même cadre, scientifique.
On peut faire des reproches à un scientifique qui dit que la science explique tout, donc que les autres théories (incluant les spiritualistes) ne sont jamais valables tant qu'elles s'opposent aux théories scientifiques. Le problème c'est qu'en disant cela, un tel scientifique ne serait plus dans un cadre scientifique (à moins qu'il puisse le prouver expérimentalement; je lui souhaite bonne chance ;-) ) et serait donc hors de son champs de compétence. Sa parole aurait alors la même valeur que celle de n'importe qui, i.e. pas grand chose. On serait même en droit de lui signaler qu'il dit n'importe quoi.
G: "Etudier un peu par exemple la logique hindouiste, qui a la même fonction que la nôtre (fournir des règles formelles pour penser de façon claire et cohérente) et qui est aussi ancienne mais qui est basée sur des principes différents (et qui ont subi autant d’évolutions que les nôtres), devrait nous aider à nous rappeler qu’il n’y a pas qu’une seule logique, et nous amener à un peu plus d’humilité."
Le problème, là encore provient de l'utilisation du terme "logique", qui n'est paut-être pas celui qu'utilisent les "logiciens" hindous. Je ne vois pas ce que tu appelles "logique hindouiste", mais cela m'apparaît être du domaine religieux et non philosophique.
Jean-François
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